Acte 1 : la dérive autoritaire
Nous sommes en 2001. Le Tahoêraa vient de remporter les élections territoriales. Sans surprise, Gaston Flosse est élu président du gouvernement de la Polynésie française. Pourtant, lorsqu'il présente son gouvernement à la presse, sur la photo officielle prise sur le perron de la Présidence, il manque un homme. Cet homme, c’est Patrick Peaucelier. Compagnon de Gaston Flosse depuis les années 70, il a été vice-président du gouvernement puis ministre des Finances entre 1991 et 2001. Mais après les élections territoriales, Patrick Peaucelier a été brutalement remercié par le président Flosse. Pour lui, la raison est très claire : Gaston Flosse a voulu faire passer un message à ses ministres et ses collaborateurs. Si lui, Patrick Peaucelier, un proche de Gaston Flosse, qui contestait parfois les décisions du président, pouvait être viré, alors tous les autres ministres sont sur un siège éjectable. "Il ne supporte plus la contradiction, c’est pour ça qu’il m’a renvoyé" déclare-t-il dans une interview datant de septembre 2004 au mensuel Tahiti Business.
Il faut dire qu’en 2001, Gaston Flosse est à son apogée. Un an plus tôt, il a inauguré la Présidence. Un bâtiment dont le luxe n’a rien à envier à celui de l’Élysée. Il a aussi créé la compagnie aérienne Air Tahiti Nui en 1998, et vient de commencer la construction de l’hôpital du Taaone. Toutefois, comme le montre l'épisode avec Patrick Peaucelier, Gaston Flosse devient de plus en plus autoritaire. À l’époque, il a déjà aussi son propre service de sécurité, les fameux GIP que certains n'hésiteront pas à qualifier de milice. Avec la majorité absolue à l'Assemblée, entre 2001 et 2004, Gaston Flosse gouverne sans rencontrer d’opposition.
Acte 2 : une opposition qui se cherche
En 2001, l'opposition est incarnée principalement par le Tavini Huiraatira, avec à sa tête Oscar Temaru. Ce dernier est maire de Faa'a depuis 1983, la commune la plus peuplée de Polynésie, et lui permet de disposer d'une assise électorale solide. Avec deux élus à l’Assemblée en 1986, puis quatre en 1991 et enfin onze conseillers en 1996, le Tavini ne cesse de progresser lors des élections. À la fin des années 2000, certains au sein du parti indépendantiste étaient persuadés qu’ils seraient bientôt majoritaires en Polynésie.
Sauf qu’après les élections territoriales de 2001, c’est la déception. Le Tavini marque le pas. Les chiffres ne montrent pas de réelle progression. D'autant que de son côté, le Tahoêraa gagne 10 points en passant de 38,8% en 1996 à 48,8% en 2001 et obtient 28 sièges sur 49. Il est clair que le discours indépendantiste a du mal à convaincre.
En 2001, il y a aussi le Fetia âpi mené par Boris Léontieff. Ce parti propose une alternative autonomiste au Tahoêraa. Avec sept sièges à l’Assemblée, le Feti’a âpi apparaît comme la troisième voie entre le Tahoêraa et le Tavini. Mais en 2002, Boris Léontieff disparaît brutalement avec trois autres membres du Fetia âpi, lors d’un accident aérien en mer. Il sera remplacé par Philip Schyle à la tête du parti. Un parti qui ne se relèvera jamais vraiment de la disparition de son chef de file. À l'époque, l'opposition est aussi au sein du gouvernement, avec Nicole Bouteau, la ministre du Tourisme, qui démissionne en 2002 après un désaccord avec Gaston Flosse et qui crée en 2003 son propre parti, No 'oe e te nunaa.
Acte 3 : le vote d'un nouveau statut et la prime majoritaire
Il y a une constance chez Gaston Flosse. Dès son arrivée au pouvoir en 1982, il n’a eu de cesse de réclamer de nouvelles compétences et un nouveau statut pour la Polynésie. Il y a d'abord eu le statut d’autonomie interne en 1984 qui lui permettra de devenir le premier président d’un gouvernement polynésien. Puis, le statut d’autonomie de 1996 qui permet de ne pas imposer de limites au nombre de ministres composant le gouvernement. En 1999 et 2000, Gaston Flosse négocie ardemment avec la majorité socialiste pour obtenir un nouveau statut. Sans succès.
C’est finalement le président de la République, Jacques Chirac, dont il est proche, qui le lui accordera en 2004. Le 27 février de la même année est, enfin, promulgué un nouveau statut pour la Polynésie. Celle-ci y est consacrée comme un "pays d'Outre-mer" qui "se gouverne librement et démocratiquement". Au dernier moment, Gaston Flosse introduit une nouvelle disposition électorale qui n'était prévue au départ : l’instauration d’une prime majoritaire pour la liste arrivée en tête dans chaque circonscription. Le 2 avril 2004, le conseil des ministres à Paris dissout l'Assemblée de Polynésie française. Le Tahoêraa est prêt, les candidats sont désignés, la machine orange se met en route.
Acte 4 : une opposition divisée
Du côté de l’opposition, il y a urgence. La nouvelle loi électorale oblige les partis à s’allier pour pouvoir battre le Tahoêraa. Le Tavini commence à discuter avec les autres formations politiques. Un accord est trouvé avec le Âi’a âpi d’Emile Vernaudon, mais aussi le Here Âi’a ainsi que le Ia mana te nunaa de Jacqui Drollet. Le syndicat 'O 'oe to 'oe rima dirigé par Ronald Terorotua se joint au mouvement. Une liste d’union est formée. Elle s'appelle l’Union Pour La Démocratie, l'UPLD.
Le temps de la campagne, Oscar Temaru met de côté la question de l'indépendance. La tête de liste de l'UPLD s'en prend à la gouvernance de Gaston Flosse. Le maire de Faa'a dénonce les dépenses du président de la Polynésie française de l'époque, mais aussi la menace que la prime majoritaire fait peser sur la démocratie.
"Le 23 mai, il faut aller voter. Chaque bulletin va compter. Il faut voter utile et la seule liste qui peut renverser ce gouvernement (NDLR : de Gaston Flosse), c'est la liste d'Union pour la démocratie."
Oscar TemaruMeeting de campagne de l'UPLD - mai 2004 (RFO - Polynésie)
Sauf qu’au final, d’autres listes se présentent, comme celle de Nicole Bouteau, l’ancienne ministre du Tourisme de Gaston Flosse qui a fondé le parti No ‘oe e te nunaa. Il y a aussi le Feti’a âpi de Philip Schyle. Du côté de la mouvance indépendantiste également, l’union n’est pas totale, puisque Stanley Cross présente une liste Te Hono e Tau i te Honoaui. Enfin, Heiura les verts fera liste commune avec l'UPLD mais uniquement aux Îles-Sous-le Vent.
Au final, notamment aux Îles du Vent, la circonscription avec le plus grand nombre de sièges, sept listes se présentent en ordre dispersé face au Tahoêraa uni derrière son leader Gaston Flosse.
Acte 5 : le 23 mai 2004
À Faa'a, à 8 heures du matin, comme le veut la tradition, Oscar Temaru sonne la cloche qui annonce l'ouverture des bureaux de vote dans la commune. À ce moment-là, il est loin de se douter de la surprise qui se profile. Le matin du 23 mai 2004, personne ne croit vraiment que la défaite de Gaston Flosse est possible.
20h, avenue Bruat (l'ancien nom de l'avenue Pouvanaa) à la Présidence, la fête pour les résultats s’annonce grandiose. Un millier de personnes sont présentes Elles ont revêtu leurs plus beaux habits orange. Les premiers chiffres venant des archipels éloignés sont de bon augure. Le Tahoêraa remporte 17 sièges sur 20.
Pourtant, à mesure que la soirée passe, l’ambiance devient plus tendue. Aux Îles-Sous-le-Vent, les chiffres sont décevants. Malgré les moyens importants déployés en direction de cette circonscription, la progression est quasi inexistante.
Vers 22h30, les résultats de Tahiti et de Moorea tombent. Les visages se ferment, les larmes commencent à couler. C'est un véritable coup de tonnerre. L'UPLD est en tête avec environ 400 voix d’avance. La liste menée par Oscar Temaru remporte la prime majoritaire. Une douche froide pour les personnes présentes à la Présidence. "Les Polynésiens veulent peut-être l'indépendance" déclare Gaston Flosse à tous ses convives
À quelques kilomètres de là, le contraste est saisissant. C’est dans une salle de classe de la commune de Faa'a, entouré de quelques militants et de proches, qu’Oscar Temaru découvre les résultats à la télévision. À cet instant, il prend conscience qu’il peut devenir le prochain président de la Polynésie française.
Acte 6 : Oscar, président
Le soir du 23 mai 2004, avec 28 sièges, le parti orange n’a pas perdu espoir. Il ne leur manque qu’une seule voix pour obtenir la majorité absolue. Sauf qu’en direct sur le plateau de RFO [NDLR : Polynésie la 1ère], Nicole Bouteau, qui vient d'être élue, annonce qu'elle ne donnera pas sa voix à Gaston Flosse.
"C'est historique, c'est une quasi révolution"
Nicole BouteauSoirée électorale 23 mai 2004 - RFO-Polynésie
Les sourires ainsi que les accolades entre Oscar Temaru et Nicole Bouteau ne trompent pas. Le Taui est bien en marche.
Dès le lendemain matin, les tractations vont bon train. En effet, avec 28 voix pour le Tahoêraa et 26 pour l’UPLD, tout reste possible. Rapidement, l’élue des Australes, Chantal Flores annonce qu’elle rejoint l’UPLD. Restent les voix de Nicole Bouteau et de Philip Schyle qui font alors l’objet de toutes les attentions, notamment celle de la ministre de l'Outre-mer à Paris, Brigitte Girardin, qui n'hésite pas à prendre son téléphone pour appeler les deux élus autonomistes.
Après de nombreuses rencontres et discussions, une majorité se dessine autour d’Oscar Temaru avec le Feti'a âpi de Philipe Schyle et le No 'oe e te Nunaa de Nicole Bouteau. Une "majorité plurielle" mais encore faut-il que cette majorité se traduise au sein de l’Assemblée ? Une première étape est franchie lors de l’élection du président de l’Assemblée de Polynésie française. Là encore, le Tahoêraa tentera une manœuvre en proposant le poste à Émile Vernaudon. Sans succès. Antony Géros est élu à la tête de l’hémicycle.
Le matin du 14 juin 2004, Oscar Temaru, au volant de sa voiture, roule sereinement vers son destin. Les partisans de l’UPLD se sont rassemblés en masse sous le préau de l’Assemblée. Ils vont assister à l’élection du leader du parti bleu qui s’apprête à devenir le premier président indépendantiste de la Polynésie française. Lors de son discours, il prend bien soin de rassurer ses alliés non-indépendantistes.
"Je le réaffirme sollennement, la question de l'indépendance politique (...) ne devra être posée que lorsque les conditions politiques, économiques et financières de la Polynésie le permettront."
Oscar TemaruDiscours à l'Assemblée de Polynésie française - 14 juin 2004
Ce jour-là, Oscar Temaru sera officiellement élu président de la Polynésie française par 30 voix. L'élu des Marquises, Jean-Alain Frébault, viendra conforter sa majorité plurielle. Comme les prémices de ce qui va se dessiner pour les 10 années à venir.
Article en majorité basé sur les travaux de Jean-Marc Regnault et Sémir Al Wardi
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