Moea, l’ancienne SDF devenue agent de service hospitalier

A 51 ans, Moea en a vécu 15 dans la rue.
Plus personne ne la verra traîner dans la rue avec d’autres sans-abri près du parking de Paofai. Celle qui a vécu une quinzaine d’années dehors, vivotant de petits boulots, a carrément changé de voie. Après la rue, Moea s’est décidée à travailler et vivre normalement. Depuis 3 ans, elle est ASH à la clinique Paofai.

Elle n’a pas bénéficié du récent dispositif dévoilé lors de la journée internationale des sans-abri qui permet à quelque uns d’entre eux d’être formés puis embauchés par une dizaine d’entreprises engagées dans l’insertion.

Non, Moea, ancienne SDF, n’a pas suivi ce cursus. En la découvrant vêtue d’une blouse de couleur bleue et portant une charlotte sur la tête, qui pourrait s’imaginer que cet ASH, ou agent de service hospitalier depuis 3 ans à la clinique Paofai, en a d’abord vécu 15 ans dans la rue ?

Le parcours de Moea est vraiment atypique. Née à Nouméa, "je suis une enfant faamu confiée à une famille popaa et j’ai eu une enfance comblée !", écrit-elle dans une lettre où elle se présente, trop timide pour le faire oralement. Une vie qui aurait pu être dorée si elle n’avait pas commencé à quitter le domicile familial et à se rebeller contre sa mère adoptive.

Tout plaquer

Après le décès de son père, dès 18 ans la jeune Moea a effectué des allers et retours entre l’île sacrée où sa mère et elle étaient installées, et Tahiti, histoire de changer d’air et de commencer à gagner sa vie. Ménages ici ou là dans le quartier Paofai, petits boulots, serveuse au Yacht club d’Arue et au snack Coconut station, aide monitrice de voile grâce à Doudou de Saint-Cyr.

Elle retourne ensuite à Raiatea auprès de sa mère, mais se dispute encore avec elle. Je t’aime, moi non plus. Au bout d’un an, énième départ, elle revient à Tahiti. C’est là qu’elle rencontre celui qui deviendra le père de ses 4 enfants. Il en avait déjà 2 d’un autre lit. Une famille recomposée avec six enfants à élever et à gérer. Moea était heureuse ainsi à Taravao. Mais son homme est difficile à supporter. "Alcoolique et violent", avoue-t-elle. Des cris, des coups à répétition. Elle en a marre et plaque tout, un tane trop méchant et des enfants aimants. Sauf le petit dernier d’à peine 2 ans et demi qu’elle embarque avec elle. Lequel est rapidement récupéré par son père.

Pour subvenir à ses besoins, Moea trouve un travail dans une entreprise de nettoyage. Durant 3 ans, elle s’implique à fond dans son métier. Elle fait même partie de l’équipe des travaux exceptionnels, les T.E, des employés que l’entreprise déploie sur de gros chantiers qu’il faut nettoyer de fond en combles, rapidement et même de nuit. Le travail est alors bien payé, mais après une mésentente avec la cheffe d’équipe, Moea démissionne sur un coup de tête.

La rue, son domicile

Cette rupture de contrat lui fera définitivement tourner le dos à une vie normale. Et c’est la rue qui lui tend les bras, un engagement qui va durer cette fois-ci pendant plus de 15 ans !

Plus d’horaires à respecter, plus de chef à qui rendre des comptes, Moea vivote en faisant encore une fois des ménages chez des particuliers ou en aidant des automobilistes à garer leur voiture sur le parking de Paofai à Papeete. Car c’est à cet endroit-là qu’elle a élu "domicile", un quartier qu’elle connaît bien.

La rue, son ancien domicile ; la clinique, son lieu de travail.

La rue est donc sa nouvelle maison, où elle cohabite avec d’autres SDF. Une colocation qui se passe plutôt bien puisqu’avec eux, chaque jour, c’est la fête. "Dès que tu es dans la rue, avec l’argent gagné, tu achètes à boire et à fumer !", pour tuer le temps, se souvient Moea.

Et aider les automobilistes à se garer sur le parking, à l’époque encore gratuit, pouvait lui rapporter jusqu’à 5 000 cfp par jour. De l’argent facilement gagné mais vite dilapidé. Moea en gardait quand même pour se nourrir ainsi que ses chiens. Des compagnons à quatre pattes chargés d’assurer aussi sa sécurité. Puisque la rue, c’est un peu une maison sans toit, ni loi.

Ainsi, être une femme au milieu d’hommes souvent alcoolisés n’est pas très conseillé. Dans ce cas, avoir des chiens à ses côtés a un effet dissuasif. De quoi repousser des collègues trop collants ou éviter de mauvaises rencontres !

Heureuse rencontre

Mais c’est aussi sur le parking de Paofai qu’un jour Moea a fait une belle rencontre. Il y a 3 ans, elle y croise le chemin de Virginie qui travaille à la clinique toute proche. A force de se saluer, la conversation s’engage, le courant passe entre les deux femmes. Virginie lui conseille même de prendre une patente puisque Moea continue de temps en temps à travailler chez des particuliers du quartier. Avec le temps, confiance et complicité s’instaurent. C’est ainsi que Virginie, qui est en fait directrice adjointe de la clinique, lui propose, si elle le souhaite, de remplacer un ASH, un agent de service hospitalier sur le départ. 

Volontaire mais intriguée, Moea, d’abord craintive, finit par accepter l’offre. En effet le ménage chez les gens, elle sait y faire pense-t-elle. Cependant le ménage en milieu hospitalier est particulier : des protocoles doivent être scrupuleusement respectés. Pendant 6 mois, elle est encadrée et travaille en binôme avec Johanna. "J’ai appris le métier sur le tas", reconnaît finalement Moea, qui pensait avoir la main malgré des années à s'occuper de maisons de particuliers.

Moea présente sa collègue et amie Johanna. ©Polynésie la 1ère/ET

Après sa période d’essai, pendant deux ans, l’entretien des bureaux des services administratifs est son quotidien. Puis viennent les services de soins : obstétrique, maternité, ambulatoire ou urgences, qui nécessitent "de suivre des standards de nettoyage, un ordre et des produits particuliers", indique Moea. Et aujourd’hui, elle est affectée aux blocs opératoires, des lieux qui demandent "une performance particulière, spécifique", précise Virginie, devenue sa supérieure hiérarchique. Des endroits où nettoyage et désinfection doivent être exécutés rapidement et à fond, par exemple lors d’un "code rouge afin que le patient puisse être opéré dans des conditions optimales".

Mais dans le bloc, "c’est une ambiance unique, où la solidarité entre tous les personnels soignants est requise", souligne Moea qui "aime le stress et quand ça booste". Un peu lorsqu’elle travaillait dans l’équipe des T.E de son ancienne entreprise de nettoyage. Sauf qu’ici, elle n’a plus à déblayer des chantiers, mais à assurer une parfaite hygiène des lieux à entretenir. "Elle est très courageuse, car elle a bravé les regards, a appris un métier spécifique avec des contraintes et des protocoles particuliers. En 3 ans, elle n’a jamais été malade ou absente", admet Virginie, "elle est consciente de la chance qu’elle s’est donnée".

Se doucher chez soi

Dans la rue, ses anciens frères de galère sont fiers d’elle et la félicitent quand ils la croisent. Sans oublier de lui demander une petite pièce en souvenir du bon vieux temps ! Ce que fait volontiers Moea, elle qui gagne sa vie et loue maintenant un appartement non loin de la clinique. Un choix stratégique quand il y a une urgence, et fort utile pour s’assurer d’une hygiène parfaite quand on travaille en milieu hospitalier. Il est désormais loin le temps où elle devait faire sa toilette dans les douches du parc de Paofai quand le public ou les piroguiers étaient enfin partis. Ou bien lorsqu’elle "habitait" dans la vieille maison de l’ancienne reine en face de la grande poste de Papeete. En échange, elle y entretenait l’antique bâtisse et prenait sa douche dehors avec un simple tuyau d’arrosage !

Moea ancienne SDF n'oublie pas ses frères de galère. ©Polynésie la 1ère/ET

Moea vit et travaille désormais comme tout un chacun. "J’ai une vie normale", dit-elle, sans renier ses 15 années passées dans la rue. Une vie normale où elle peut revoir ses enfants, dont le "petit dernier", 17 ans à présent, et à qui elle a fait récemment un cadeau. "Je lui ai donné 60 000 cfp pour qu’il s’achète un boom box". Le père du garçon n’en croyait pas ses yeux, et pensait même que c’était de l’argent sale !

Ses enfants peuvent maintenant être fiers de leur mère. Dans la rue, elle ne voulait pas leur parler, par honte après avoir perdu toute estime de soi. "J’ai connu les galères et les difficultés et aujourd’hui, mon souhait c’est de revoir et embrasser mes enfants", a-t-elle écrit dans sa lettre de présentation. Une lettre qu'elle termine en "remerciant Père Christophe, un sauveur sur mon chemin, et Virginie pour sa bonté, sa gentillesse et son amour qui m’a sauvée".

Une reconnaissance qui prouve bien qu’elle a quitté la rue pour s’engager dans une autre voie.