Moetai Brotherson, de retour du Japon, fait le bilan

Invité plateau : Moetai Brotherson
Le Président du Pays Moetai Brotherson était l'invité du journal du mardi 22 juillet. De retour du Japon, il s'exprime sur la grève qui paralyse l'aéroport de Tahiti Faa'a (ADT), sur le problème des transporteurs de Moorea, mais aussi sur le coup de gueule des prestataires touristiques de Teahupoo ainsi que sur son déplacement au Japon et en Azerbaïdjan.

Plus de 2 000 passagers bloqués à cause des vols annulés, ce sont les premières conséquences de la grève à  ADT. Les négociations sont au point mort. Sur l'île soeur, les transporteurs de Moorea réclament un contrôleur technique pour leurs véhicules. Depuis 2 ans, faute de contrat renouvelé, il n’y a plus de technicien. Les affaires deviennent compliquées pour les professionnels. Des mouvements de colère sur lesquels le président du Pays Moetai Brotherson s'est exprimé, il était l'invité du journal de ce mardi 22 juillet.

Grève à ADT

Aiata Tarahu : Vous avez rencontré les compagnies aériennes et le directeur d'ADT, qu'est ce qu'ils en ressort ? Est-ce qu'on va vers des négocations ou vers un durcissement du mouvement ?

Moetai Brotherson : Je pense que la loi est très claire là-dessus. Quand il y a un préavis de grève, et quand il y a une grève qui démarre, il faut qu'il y ait des négociations. Cela fait trois fois que la direction d'ADT a invité les syndicats à s'asseoir à la table des négociations, trois fois qu'ils ne sont pas venus. La première fois, parce que le directeur n'était pas là et qu'il ne voulait pas discuter avec la direction des ressources humaines. Et les deux autres fois, le directeur était là et les syndicats ne sont pas venus. Donc demain [mercredi 23 juillet, NDLR], il y a à nouveau une sollicitation à 14 heures et j'espère que les syndicats prendront leurs responsabilités et viendront s'asseoir à la table des discussions.

Aiata Tarahu : Qu'avez-vous avez demandé au directeur d'ADT ou aux compagnies aériennes que vous avez rencontré ce mardi 22 juillet ?

Moetai Brotherson : Je n'ai pas rencontré les compagnies aériennes, c'est mon conseiller technique aux transports internationaux qui les a rencontré. Ils se sont principalement enquis [renseignés NDLR] des conséquences en terme de passagers qui arrivent de l'international et qui devaient se rendre dans les îles, notamment les trois îles qui sont impactées [Bora Bora, Rangiroa et Raiatea où les aérodromes sont gérés par ADT, NDLR]. Et à l'inverse, les passagers qui devaient revenir des ces trois îles. Se posent des questions d'hébergement, il faut vérifier la disponiblité auprès des hôteliers, donc c'est le travail qui a été fait principalement avec les compagnies aériennes.

Avec le directeur d'ADT que j'ai rencontré à 15 heures ce mardi, j'ai fait un point de situation, notamment sur ces rencontres manquées avec les syndicats, qui sont regrettables. Parce qu'on ne peut pas faire grève et ensuite ne pas venir discuter. Donc j'espère que ce mercredi à 14 heures, ils seront au rendez-vous de ces discussions et qu'on pourra enfin entrer dans le vif du sujet.

Sur les points de revendications eux-mêmes, c'est comme toujours. Il y a, on va dire, plusieurs niveaux de revendications. Mais sur les principales, notamment celles qui concernent la reprise des personnels lors de la nouvelle concession qui est prévue, on l'a déjà indiqué et on l'indique à chaque fois, il y aura une reprise de ces personnels avec les avantages acquis. 

Aiata Tarahu : En tant que ministre du tourisme, en ce moment en plein JO, cette grève donne une image de la Polynésie très négative à l'international, quel est votre pouvoir pour y mettre un terme en sachant que le Pays est actionnaire à 49% d'ADT ?

Moetai Brotherson : Le pouvoir principal, c'est celui de discuter et d'écouter et de pouvoir, quand c'est possible, satisfaire les demandes, quand elles sont raisonnables et pertinentes. Ce n'est pas moi qui ai le pouvoir de réquisition. Je ne dis pas que ces demandes ne sont pas raisonnables ni pertinentes, mais si déjà on commençait à discuter, on pourrait faire le tri. Mais comme ils ne viennent pas à la table des discussions, c'est difficile. 

Colère des transporteurs de Moorea

Aiata Tarahu : Cela fait six mois que les transporteurs de Moorea demandent à rencontrer le Président, sans réponse de votre part, pourquoi ?
Moetai Brotherson : Je n'ai pas de demande des transporteurs de Moorea qui demandent à me rencontrer. Ils ont peut-être demandé à rencontrer leur ministre de tutelle, ça je vais le vérifier demain, mercredi. J'ai eu une demande personnelle de Mr Haring par sms, pour un dossier le concernant, je ne pense pas que cela réponde à la définition des transporteurs qui demandent à me voir.

Aiata Tarahu : Pas de recontre de prévue maintenant que vous savez qu'ils souhaitent vous rencontrer ? 

Moetai Brotherson : S'ils veulent me rencontrer et qu'ils m'appellent directement, je peux donner à nouveau mon numéro de téléphone ici sur le plateau, je reste ouvert bien évidemment. Avant d'aller et de vouloir voir systématiquement le président, il faut respecter l'ordre des choses et d'abord s'adresser aux services concernés, aux ministères concernés. Perdre un peu ce réflexe d'aller voir le président pour n'importe quel problème.

Projet d'aménagement du Belvédère de Moorea

Aiata Tarahu : Il y a aussi une autre problématique, celle de l'accueil des véhicules touristiques au Belvédère.

Moetai Brotherson : Ça, c'est un sujet qu'on a déjà évoqué avec Mr Haring quand nous étions à Moorea, pour le conseil des ministres délocalisé. Il y a un aménagement du Belvédère qui est attendu depuis 20 ans et nous allons y travailler, ce qui nous permettra d'accueillir les touristes. 

Recours contre Mereana Reid-Arbelot devant le conseil consitutionnel 

Aiata Tarahu : Un recours devant le conseil constitutionnel a été formé par René Hoffer, de la société civile, contre l'élection de Mereana Reid-Arbelot dans la troisième circonscription. La candidate du Tavini a été élue le 6 juillet dernier, au second tour des élections législatives. Elle a devancé Pascale Haiti-Flosse de la plateforme Amui Tatou. Moetai Bortherson, est-ce que c'est un recours qui vous inquiète ?

Moetai Brotherson : Non pas du tout, s'il y a bien des recours qui ne m'inquiètent pas, ce sont ceux de René Hoffer. Parce qu'il est coutumier du fait. Je crois que, aussi bien aux tribunaux ici qu'à Paris, tout le monde le connaît. C'est un cas d'école, il est même étudié à Sciences Po, mais pas dans le bon sens du terme, simplement sous l'angle de la boutade en se disant : "Tiens, encore un recours de René Hoffer."

Bilan du voyage au Japon

Aiata Tarahu : Vous revenez du Japon, où s'est tenu le dixième sommet triennal des dirigeants des îles du Pacifique. On vous a vu aussi à Singapour en mai dernier. Qu'est ce que ces différents voyages apportent concrètement à la Polynésie ?

Moetai Brotherson  : Concrètement, ils ne changent pas le prix du pain quand vous allez l'acheter. Mais ça permet de jeter les bases de coopération qui sont, je pense, de toute première importance pour notre Pays et pour notre peuple. Je vais vous donner deux exemples concrets, dont j'ai discuté avec le premier ministre du Japon.

Celui de l'aquaculture. Vous savez qu'au Japon se trouve les universités les plus avancées en terme d'aquaculture ? Aujourd'hui, un jeune Polynésien qui veut étudier l'aquaculture et faire un master d'aquaculture, il est obligé d'aller à Montpellier, où il va étudier la sole électrique et la truite. Et quand il reviendra, il faudra qu'il s'adapte à nos espèces, à notre environnement. Au Japon, on trouve des espèces qui sont plus proches des nôtres. On trouve des techniques d'aquaculture qui sont à la fois respectueuses de l'environnement et plus proches de ce que l'on peut transposer ici. Donc aujourd'hui, je vais prendre l'université de Kindai : elle accueille des étudiants de tout le Pacifique sauf nous. Je pense qu'il serait intéressant à l'avenir, au travers de conventions avec l'Université de Polynésie française, qu'on puisse envoyer nos enfants là-bas, étudier l'aquaculture. Ça peut se mettre en place très rapidement., maintenant qu'on a entamé le dialogue. Moi, la question que je me pose, c'est pourquoi le dialogue n'a pas été entamé avant. Il faut former nos jeunes.

Un deuxième secteur sur lequel on peut les former, c'est celui de l'économie numérique. Vous avez, je crois, au Japon, des studios parmi les plus réputés au monde pour tout ce qui est animation et jeux vidéos. Là-aussi, vous avez par exemple la Kyoto University of Arts and Design, qui pourrait demain accueillir des étudiants de Polynésie, dans le cadre de leur cursus. Je pense que c'est intéréssant. 

En marge de cela, ce sommet du PALM nous a permis de voir le panel de solutions qui sont proposées par le Japon à nos voisins du Pacifique. Je vais vous donner deux exemples encore une fois. Le premier exemple, c 'est le déploiement d'une unité mobile médicale. Ce sont des hôpitaux en container qui sont modulaires et qui sont déployés en deux semaines. Ils en ont construit un à Palau, avec un scanner, tous les équipements les plus modernes, et ça a été fait en deux semaines. Je pense que ça peut être intéressant quand on voit l'état de l'hôpital d'Uturoa... ce sont des pistes qu'il faut explorer. Là, on est plus dans l'expérimentation, on est dans un système de production.

Aiata Tarahu : On n'utilise pas ce qui se fait ici, on sollicite ce qui se fait ailleurs ?

Moetai Brotherson : Entre la recherche et développement et des choses qui sont éprouvées, je pense qu'il vaut mieux partir sur quelque chose d'éprouvé.

Un deuxième exemple, c'est celui de l'assainissement. Il nous as été exposé des espèces de mini stations d'épuration, qui sont destinées à l'habitat dispersé, que l'on peut accoler à des maisons qui sont existantes ou de nouvelles constructions. Et qui permettent de récupérer et de recycler les eaux grises, les eaux des toilettes retombent dans les toilettes et le reste peut être à nouveau bu. Je pense que ce sont des systèmes intéressants et là encore, on est pas dans la science fiction ou de la recherche et développement. C'est un système qui va être déployé aux Caraïbes sur un projet de 3500 habitations.

Voyages en Azerbaïdjan

Aiata Tarahu : Toujours concernant les relations avec les pays étrangers. L'opposition et une partie de la population dénonçaient le troisième voyage de votre parti politique, le Tavini Huiraatira, en Azerbaïdjan. Sans rentrer dans les risques que pourrait représenter un accord avec ce pays, on a le sentiment que, comme le précédent gouvernement, vous, comme le parti politique, n'apprend pas de ses erreurs.


Moetai Brotherson  : C'est une question qu'il faut poser au Tavini Huiraatiraa. Moi ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'y a pas d'accord entre l'Azerbaïdjan et la Polynésie. Et il n'y en aura pas. Il faut lire le statut, les compétences des uns et des autres sont bien définies. Je rassure la population. Il n'y a pas d'accord et il n'y aura pas d'accord entre la Polynésie et l'Azerbaïdjan, tant que nous ne seront pas un pays indépendant. Aujourd'hui ce qu'il y a, c'est le soutien d'une organisation non gouvernementale envers une autre organisation non gouvernementale, qui est le Tavini Huiraatira.

Aiata Tarahu : Lors du dernier déplacement en Azerbaidjan, le drapeau de la Polynésie a été utilisé, et non plus le drapeau des indépendantistes, donc aujourd'hui il y a encore plus d'inquiétude ? 

Moetai Brotherson : On peut alimenter ces inquiétudes ou on peut simplement passer à autre chose et parler de sujets qui sont vraiment intéressants pour les Polynésiens. 

Aiata Tarahu : Mais vous êtes en accord avec ce déplacement du parti indépendantiste ?

Moetai Brotherson  : Ce que je dis, c'est que nous sommes réinscrits sur la liste des territoires à décoloniser des Nations Unies, depuis le 17 mai 2013. Depuis cette date, nous n'avons eu de cesse que de solliciter que l'État vienne à la table des discussions, ce qu'il n'a pas fait. Donc demain, si l'État se décide enfin à venir à la table des discussions, on n'aura plus besoin d'aller en Azerbaïdjan. C'est aussi simple que ça. Je ne dis pas que l'opposition ou la population qui s'inquiétent ont tort, je ne vais jamais mettre en tort quelqu'un qui s'inquiète. Ils ont certainement des raisons de s'inquiéter. Ce que je veux dire, c'est que si demain l'État se décidait enfin, conformément à ses engagements aux Nations-Unies, à venir à la table des discussions, on aurait pas besoin de solliciter les organisations non gouvernementales comme l'Azerbaïdjan. 

Tensions à Teahupoo à J-4 des JO

Aiata Tarahu : Au vu des tensions chez les prestataires touristiques de Teahupoo, pensez-vous que la compétition va réussir à fédérer ? 

Moetai Brotherson : Il faut dissocier le sport du reste. La compétition a déjà fédéré, nous étions à la cérémonie culturelle du 'ava, donc on voit bien que l'esprit olympique est déjà là. Sur les restrictions d'accès, je tiens à rappeler qu'il y a eu des COPIL tous les mois, et lors de chacun de ces COPIL, les conditions d'accès, les conditions de filtrage, tout ça a bien été à chaque fois réitéré à tous les participants, dont les maires. 

Je vais prendre l'exemple de ces forains qui se plaignent. Lors d'un de ces COPIL, on a abordé justement ce sujet en les prévenant et en leur disant : écoutez, est-ce que c'est vraiment ce que vous voulez ? Parce que vous allez ouvrir vos baraques mais il n'y aura pas grand monde. Ce n'est pas la WSL [compétition de surf Tahiti Pro], donc ils ont été prévénus.

Menace de grève à l'OPT

Aiata Tarahu : Une autre menace de grève plane sur l'OPT (office des postes et télécommunications). L'intersyndicale refuse des coupes dans la masse salariale, elles sont jugées inacceptables par les syndicalistes. Est ce que le gouvernement va revoir sa copie ?

Moetai Brotherson : Le gouvernement est toujours prêt à discuter. En revanche il faut, là, encore une fois, que chacun assume ses responsabilités. Parce que quand je vois les syndicalistes reprocher certaines décisions qui ont été prises avant que nous arrivions au pouvoir, je ne les ai pas vus se lever à ce moment-là, quand certaines décisions, qu'ils critiquent aujourd'hui, ont été prises. Ceux qui, aujourd'hui, sont très vocaux, l'étaient beaucoup moins hier, c'est ce que je dis. Maintenant, la table des discussions est toujours ouverte, encore faut-il venir aux discussions.

Pour l'instant, la copie du gouvernement est simple. C'est de dire, il faut que tout le monde à l'OPT prenne conscience que l'OPT est en danger de mort. Je l'ai dit dès mon arrivée. Maintenant si les gens ne veulent pas prendre conscience de ça, et continuent d'avoir des exigences au-delà du raisonnable, allons-y gaiement et demain, chacun assumera ses responsabilités. 

Aiata Tarahu : Et si demain la grève est déclenchée à l'aube de l'ouverture des JO ?

Chacun prendra ses responsabilités. Encore une fois, je ne fais pas dans les miracles. Je suis là pour écouter les gens, je suis là pour discuter jusqu'à pas d'heure, s'ils veulent venir le dimanche à 5 heures du matin je suis là, s'ils veulent venir ce soir à 23 heures je suis là, mais il faut venir.