Sur la plage Vaiava, la fameuse plage de sable blanc de Punaauia, au niveau du PK 17,5, niché entre les six aito, plus exactement entre les 2ème et 3ème arbres de fer, se trouve un fare local monté sur pilotis qui fait face au lagon. C’est l’un des fare traditionnels qui existent encore à Tahiti. Il appartient à Tea Hirshon.
Elle en a d’autres implantés ici et là sur son grand terrain qui commence de la route de ceinture et va jusqu’à la plage en question. Laquelle est bordée d’un lagon dont la couleur vire du bleu turquoise au gris vert en fonction des couleurs du ciel. Ce décor de carte postale, Tea Hirshon y vit depuis plus de 55 ans, depuis qu’avec l’héritage de son père elle a acheté cette bande de terre qui, à l’époque, n’intéressait pas les gens. "C’était le district", raconte Tea, un peu comme on dit "c’est la campagne". Personne n’était donc intéressé par ce terrain envahi par la broussaille. "Je l’ai payé 6 millions cfp", se remémore la maîtresse des lieux. Aujourd’hui, qui pourrait donner un prix à ces 6 000 m2 tant la pression de la spéculation est forte dans ce coin de Tahiti ? Alors Tea se garde bien de vendre ce joyau les pieds dans l’eau malgré les nombreuses sollicitations.
Un coin de paradis, dont elle savoure chaque jour la beauté une fois qu’elle franchit le portail donnant sur la plage et la mer. Du sable blanc à 180 degrés qui éclaire le fond du lagon. Et en dévoile toute la transparence. De part et d’autre, des tâches sombres parsèment le fond, des patates de corail qui il y a encore quelques années attiraient et abritaient de nombreux poissons. Mais ils ont fui ailleurs.
La rançon du succès depuis que la plage du PK 18 connaît une sur-fréquentation. Les coraux se meurent peu à peu victimes du stress dû à l’activité humaine et des algues envahissantes qui les étouffent. Pour en admirer encore suffisamment vigoureux, il suffit de nager vers le récif à 300 voire 400 mètres du rivage, quand ils sont assez brassés par les vagues de l’océan. Mais seuls quelques téméraires s’y aventurent. Le gros du bataillon reste généralement sur la plage, simplement à bronzer ou à barboter au bord de l’eau.
Tea ne croise généralement pas le tout-venant. Elle profite du matin calme pour une escapade le long de la plage lorsque les gens sont au travail la semaine, ou le week-end lorsqu’ils ne débarquent que vers les 8-9 h. A ce moment, la plage n’est pas envahie, une sérénité propice au ressourcement. Car à une centaine de mètres de son portail, de l’eau douce jaillit d’une buse posée sur le sable. Elle prend sa source côté montagne. Des oiseaux, surtout des vini, viennent s’y abreuver. Mais aussi des gens. Comme Tea. "Au moins une tasse chaque jour", confie-t-elle. Un secret bien gardé, qui conserve apparemment la santé.
Plus que cette source, c’est sans doute le cadre idyllique dans lequel elle jaillit qui maintient en forme. Tea en est persuadée. "Acheter ce bout de terrain dont personne ne voulait a été la meilleure chose que j’ai faite", avoue-t-elle. A l’époque elle n’avait qu’une vingtaine d’années. Et un flair déjà développé. La progression de la zone urbaine a fait que l’endroit est devenu un emplacement de choix, dont la beauté et la quiétude ont pu être conservées. Un havre de paix loin de l'agitation de la ville. Un cadre où il fait bon se ressourcer, simplement en marchant, voire en pratiquant une activité nautique.
Les nageurs profitent ainsi de la magnifique piscine naturelle qu’offre le lagon, quand jeunes et surtout moins jeunes s’adonnent au longe-côte. Marcher le long de la plage, en papotant entre amis ou en cherchant quelques coquillages laissés sur le bord par la marée. Ils parcourent des milliers de mètres sans s’en apercevoir et brûlent des calories. Une façon d’entretenir la forme et la bonne humeur. D’autres sortent leur paddle et partent à l’assaut du lagon. Parfois, c’est un chien posé une planche qui goûte même aux joies de la glisse. Pour le plus grand bonheur de ses maîtres. Il se passe donc plein de choses sur l’eau.
"Ici, c’est tout le temps différent", lâche Tea Hirshon. Comme lorsqu’elle admire les couchers de soleil derrière l’île de Moorea. A ce moment, la surface du lagon prend une teinte irisée, puis orangée et les derniers baigneurs plient bagage. Le calme revient vraiment, seul le fracas des vagues sur le récif se fait entendre au loin.
C’est bien pour cela qu’elle ne quittera jamais ce petit coin de paradis. Depuis plus d’un demi-siècle, il faut croire qu’elle le savoure à chaque instant.