Il y a, dans un petit coin de Patutoa, un havre de paix insoupçonné. Derrière les portes, se dresse un mini village parsemé de bungalows. À quelques mètres du portail au bord de la mer, Robert Wan nous attend, proprement habillé. Il nous accueille chaleureusement chez lui et nous guide à travers le grand salon, aux ornements chinois et tahitiens. Un mélange de ses propres origines...
Chinois, Tahitien, Français
L'homme naît à Tahiti, en 1934. Il grandit au Fenua mais baigne dans la culture de ses parents, partis de Chine quelques années plus tôt. "Je me sens d'abord chinois. Je parle couramment le hakka, j'ai eu une éducation chinoise et après tahitienne. Le français vient en troisième. J'ai passé sept ans à l'école du Koo men tong et je me suis mis à 13 ans au français. J'ai raté mes examens pour intégrer la police..." se remémore-t-il.
Des combats de coqs aux perles de luxe
Ses parents n'ont pas beaucoup d'argent, son père est sévère mais son enfance, heureuse. "Mon père peignait, ma mère bricolait avec des 'cacahuètes' et moi je participais. On faisait l'élevage de poulets. Quand j'étais jeune, j'aimais bien les combats de coqs. J'élevais les coqs de combat, ils sont beaux à regarder ! Mais je n'ai pas gagné beaucoup d'argent" ironise-t-il.
Robert a la niaque et le goût du travail, sans doute inculqué par son père. Il n'abandonne pas. Ces qualités le mèneront loin. D'abord dans un cabinet de comptable, puis aux rênes d'une société d'ice cream et yaourts. Il deviendra ensuite le partenaire d'Alfred Poroi dans l'import/export jusqu'au jour où il apprend par son frère qu'une entreprise de perles est à vendre. "J'ai saisi l'occasion avec mes deux frères. On a acheté la société. J'étais au Japon. Mikimoto [un de ses amis japonais, NDLR] m'a dit une chose : 'fais de la bonne qualité et j'achèterai.' Depuis, c'est rentré dans ma tête : la qualité."
Sa précieuse...
Ainsi débute son histoire d'amour avec la perle, cinquante ans plus tôt. L'homme d'affaires a alors 39 ans. Il fait fortune et prend sa revanche sur la vie. "La perle, c'est mon destin. À ce moment-là, c'était nouveau. Il fallait tout créer de toute pièce." Et il a créé une perle de qualité à nulle autre pareille que les clients internationationaux viennent se procurer dans son atelier...comme aujourd'hui, où se déroule une vente aux enchères depuis une semaine dans son petit village.
Les négociants asiatiques et européens sont au rendez-vous. "Personne ne produit de perle comme celle-là. 18 millimètres de pure perle noire, avec ses reflets verts...c'est très rare" s'émerveille un négociant japonais dans l'atelier. Cette perle de neuf grammes vaut 10 000 euros, soit environ 1,2 millions de francs Pacifique. "La perle est une gemme, une pierre précieuse, on doit la respecter, la promouvoir. C'est un produit que l'on doit protéger. Plus c'est rare, plus la valeur augmente" commente le patron.
...des Tuamotu-Gambier
Des comme ça, il n'y a qu'aux Tuamotu-Gambier que Robert Wan peut en produire. Il est d'ailleurs propriétaire de deux atolls sur l'archipel - Nengonengo et Marutea - et d'une petite île baptisée Aukena. Mais quelques années plus tôt, il possédait un quatrième atoll nommé Anuanuraro. Il l'a revendu au Pays, au prix fort, dans les années 2000. À l'époque, Gaston Flosse est au pouvoir. Lui et Robert Wan sont proches. Si bien que ce rachat finit par creuser le doute. Les deux hommes sont accusés de détournement de fonds publics avant d'être finalement relaxés.
Cet épisode marquera un tournant dans la vie du roi de la perle. "Cette affaire a eu un impact dans mon élan. J'ai freiné...je ne voulais plus investir autant en Polynésie parce qu'on m'a accusé de plein de choses...et finalement ils n'ont rien eu ! Je suis costaud. Heureusement !" La confidence est courte. Si Robert nous livre sans complexe les détails de son parcours professionnel, il ne se dévoile pas entièrement sur le plan personnel. Il est rare qu'il accorde des interviews. "Je n'aime pas parler en public. Quand on est connu, on est connu par soi-même d'abord. On n'a pas besoin de faire de la 'politique publique'. Je respecte la presse, mais il y en a qui déforment les informations" nous dit-il.
Son heure de gloire est derrière lui, mais il laisse un bel héritage à ses quatre enfants et ses mootua.
À son apogée, Robert Wan employait 700 personnes. Mais après l'épisode d'Anuanuraro, le rythme s'est ralenti. Et en 2020, le covid a tout stoppé. "Pendant trois ans je n'avais pas d'activité et puis, je suis tombé malade l'année dernière".
Il combat son cancer. Et depuis le début de l'année, la demande reprend et il est de nouveau sur pied même si son ouïe lui fait défaut. Le travail l'anime toujours, mais il prend désormais soin de sa santé en excluant la viande "à quatre pattes" de son régime alimentaire et en pensant aux femmes, sublimées par ses perles. Robert aime les belles femmes et à sa réception des 50 ans, il est accompagné d'une jeune demoiselle chinoise.
Depuis son havre de paix en plein cœur de Papeete, où Motu Uta pointe le bout de son nez, il peut contempler l'horizon, humble mais fier face à tout ce qu'il a accompli.