Des clés s’entrechoquent. Une porte blindée s’ouvre. Une cellule étroite apparaît. Seuls quelques mètres carrés habitables où se côtoient lits superposés, toilette et une petite table. Difficile d’y pénétrer à deux. Aussitôt le sol foulé, l’ambiance morose laisse place à une gaieté évidente. Un coucher de soleil d’un orange dégradé et une vague bleue égayent cette pièce étriquée.
« J’ai peint une vague parce que j’aime la mer. Ça rend la cellule plus agréable surtout quand tu restes enfermé. Je me sens mieux depuis qu’il y a cette fresque ». Celui qu’on appellera Heiarii, tout juste majeur, a aussi dessiné des briques sur les murs près de son lit, il s’est inspiré de dessins animés. Son âme d’enfance n’a pas disparu, la prison n’aura pas eu raison d’elle. « Ça fait du bien de savoir que c’est moi qui ai fait ça », raconte le jeune homme avec un sourire qui illumine son visage.
Reprendre confiance en soi, se voir autrement que juste comme un délinquant, montrer autre chose de sa personne… C’est tout l’intérêt de cette activité peinture proposée par la PJJ, la Protection Judiciaire de la Jeunesse, en partenariat avec l’Éducation et la Santé. Une première pour ces jeunes mineurs incarcérés à Nuutania.
« On voulait égayer les cellules insalubres des mineurs car ils restent un moment. Au départ, l’idée était de travailler autour des valeurs polynésiennes mais aussi de leur apprendre à respecter un cadre, des règles qu’impose la peinture, et la cohésion », explique Elizabeth Steinmetez, éducatrice justice au sein de la PJJ arrivée sur le territoire en septembre dernier, après huit ans de travail auprès des mineurs Mahorais. La quadragénaire a fait appel à une artiste pour accompagner ces jeunes.
Océane Fouet est psychologue de formation mais c’est l’art qui a pris le dessus dans sa vie. Elle a organisé cinq séances d’une heure et demie avec ses élèves entre décembre et janvier. La première pour parler, afin que chacun exprime son envie, ce que la peinture éveille chez eux. « Ensuite, j’ai proposé une maquette et on a travaillé les couleurs qu’ils avaient choisies. Ils étaient très intéressés, investis et disciplinés. Ça été constructif pour eux mais aussi pour moi de les voir s’exprimer et s’épanouir ».
Chacun s’est plongé dans un univers, son univers. Heiarii* a choisi le milieu de la mer. Son voisin de cellule s’est attaché à reproduire un souvenir d’enfance, un jardin à la végétation luxuriante aux oiseaux de paradis, auti, feuilles de bananiers. Une fenêtre sur l’extérieur qui enchante ce jeune à la joie communicative. Le troisième mineur a lui reproduit un ciel étoilé, les murs sont sombres, quelques taches blanches illustrent les astres. Désormais quand il dort dans sa cellule, il a ce sentiment de toucher à nouveau ce ciel qu’il aimait observer au temps de sa liberté. Une liberté retrouvée quelques instants.
En prison, le temps ne s’arrête pas, les aiguilles de l’horloge continuent de tourner, les heures passent et souvent se ressemblent. Suivi des cours scolaires, promenade deux fois par jour, sport une fois par semaine… Le quotidien est souvent redondant, parfois pesant. Peindre, dessiner, imaginer permet d’échapper à cette réalité mais aussi de recréer un lien avec l’extérieur et les autres.
« Cet atelier leur a permis de créer des affinités, de retrouver une humanité et de reprendre confiance dans l’adulte car souvent ils ont été déçus ou livrés à eux-mêmes », explique Elizabeth Steinmetz qui a vu ces jeunes se confier, parler, dialoguer. La peinture a cassé les barrières, les jeunes se sont relâchés, la pression retombée, ils ont échangé. Comme si l’art avait permis de libérer les esprits et la parole. Un vent de liberté retrouvée.