"On a besoin de prières pour nous remonter le moral, parce qu'on se sent affaiblis" Tania, la sœur d'Eugène, s'en remet désormais au ciel pour retrouver son frère, alors que les chances s'amenuisent au fil des jours. Elle assiste à la cérémonie samedi soir, dans le quartier familial où habite Eugène, pour accompagner les prières et les chants. Neveux, cousins, frères, sœurs et amis étaient présents, mais aussi les femmes de tous ceux qui poursuivent les recherches dans la vallée...
Et tandis que la pasteure clôture la réunion de prières, Valentine nous confie son inquiétude. Son mari dort au refuge depuis plusieurs jours, alors qu'il pleut, que les conditions sont dangereuses dans la montagne, et que les pentes sont escarpées et glissantes... Jean-Claude risque sa vie pour un homme qui n'a pas respecté les règles de sécurité fondamentales en partant seul. Quelque part, elle en veut à tous ces porteurs d'oranges, y compris son mari, qui sont souvent trop gourmands.
Je suis révoltée ! Révoltée parce-que les anciens sont têtus. On n'est pas le Seigneur [pour] aller et revenir tout seul, même si tu as un savoir ! Moi je le vois comme ça : Eugène a dû regarder toutes les oranges samedi au défilé et il s'est dit qu'il pourrait [en ramener de plus impressionnantes].
Valentine, femme de porteur
Jean-Claude Tauraa, président de l'association des porteurs d'oranges, cherche sans relâche avec tous les autres bénévoles, désormais appuyés par les pompiers et la protection civile. Déployés sur deux zones stratégiques -les plateaux de Marae Ti'a et Rata- accompagnés de pilotes de drones, de l'hélicoptère Dauphin de l'armée et du Groupe de reconnaissance et d'intervention en milieu périlleux (GRIMP). La ville de Punaauia a également envoyé de l’eau, des denrées alimentaires et des équipements (piles, groupe électrogène, talkies walkies…) pour ravitailler les porteurs d’oranges mobilisés depuis plusieurs jours. Ils n'ont toujours aucune piste pour le moment.
Le porteur d'oranges, décrit par son frère Yvan et son neveu Hiro comme un homme solitaire et entêté, connaissait la vallée comme sa poche. Il y était très attaché et pour garder ses spots secrets, il a pris l’habitude de ne laisser aucune trace derrière lui -c’est peut-être ce qui rend les recherches encore plus difficiles.
On nous a appris à camoufler le passage pour aller chercher les pieds d'orangers et que les autres ne voient pas par où l'on passe.
Yvan Avaemai, frère du disparu
Valentine ne cautionne pas cette attitude. Selon elle, c'est en partie due au fait que les oranges se fassent de plus en plus rares sur le plateau. Un rāhui avait justement été mis en place en 2020. Faudrait-il de nouveau fermer l'accès au plateau des orangers ? Pour Valentine, c'est la solution.
Au moins avec le covid, le rāhui et la fermeture de la vallée, on ne prenait plus autant de risques et on laissait la vallée se régénérer !
Valentine, femme de porteur
À 68 ans, Eugène est le seul de ses frères à n'avoir jamais arrêté la cueillette d'oranges. "Je le sentais fatigué. Le corps ne suit plus à un moment. Moi j'ai arrêté de monter à 55 ans. Lui il n'avait pas besoin de couteau pour traverser un champ, il pouvait y aller en rampant et il retrouvait toujours le chemin pour retourner au refuge. Mais là, il n'est pas revenu, il lui est arrivé quelque chose, je ne pense pas qu'il se soit perdu" nous dit Yvan. Quoi qu'il en soit, lui et son autre frère aiment à penser que, tant que Eugène est dans sa vallée, il ne peut qu'être heureux...