Quand un remorqueur en panne menace de paralyser l'Économie du Pays

Ce supermarché devait être réapprovisionné de près de neuf tonnes de viande le 16 octobre. Sa commande ne sera finalement livrée que le 06 novembre depuis la Nouvelle-Zélande.
La panne du Aito Nui II a posé des problèmes d'approvisionnement ces dernières semaines puisque les gros porte-conteneurs en ont besoin pour manœuvrer dans la rade de Papeete. Plusieurs centaines de conteneurs de produits alimentaires sont actuellement bloqués en Nouvelle-Zélande et seront déchargés le 06 novembre prochain. Quid de toutes les autres importations à venir ?

Il a suffi d'un heurt avec une patate de corail pour semer le doute... Le 30 septembre dernier, le remorqueur nommé Aito Nui II, acheté par le port autonome en 2017, a cogné le récif au large de Hitiaa. Cet incident, dont les circonstances doivent encore être éclaircies, a gravement endommagé la coque et le moteur. Le Aito Nui II est donc immobilisé en attendant ses réparations qui doivent débuter en novembre, pour une durée d'environ six mois, confirme Jean-Paul Lecaill, directeur général du port autonome.

Le Aito Nui II amarré à la cale de halage.

 

Depuis, deux navires sur cinq ont annulé leur venue à Tahiti, puisqu'ils ont besoin des deux remorqueurs, respectivement d'une poussée de quarante et soixante tonnes, pour manœuvrer dans la rade de Papeete. Les pilotines de la Marine ne peuvent pas toujours venir en renfort puisque leur poussée n'atteint que douze tonnes maximum... Insuffisant pour les porte-conteneurs de 260 mètres et plus. À l'exemple du Cap Jervis et du Seattle Express.  

Manque de visibilité et pénurie en vue 

Or, ces livraisons annulées ont une réelle incidence pour les importateurs et les commerçants. Du côté de Carrefour, on nous souffle que 119 conteneurs de vingt pieds sont en attente sur les quais d'Auckland et de Tauranga, en Nouvelle-Zélande. Ils contiennent principalement de la nourriture et notamment des produits "pour le Black Friday." Poly Import attend également un conteneur avec des fruits et légumes. Le magasin Hyper U devait recevoir près de neuf tonnes de viande via le Seattle Express du 16 octobre. L'hypermarché est donc face à un dilemme : attendre la cargaison par bateau au risque de voir sa marchandise périmée à l'arrivée ou la faire venir par avion et ainsi vendre à perte ou répercuter le surcoût sur les prix.

Les acteurs économiques regrettent de n'avoir pu anticiper ce problème, faute de n'avoir pas été informé en amont. "Les professionnels sont en colère et notamment les importateurs puisque nous avons découvert il y a dix jours que l'un des deux remorqueurs du pays était en panne et on l'a appris malheureusement tardivement parce que l'un des navires, le Cap Jervis, est resté bloqué deux jours à l'extérieur du port autonome en attendant que la météo se clame. (...) Le port autonome communique peu, quasiment pas (...). Sans ces remorqueurs, demain, la Polynésie se retrouverait avec une économie qui serait complètement dégradée, en plus à la veille des fêtes de fin d'année" s'inquiète Steeve Hamblin, président du MEDEF. "Je n’ai rien à répondre à ça. Le MEDEF a des représentants au conseil d’administration du port donc il devrait être au courant de tous les projets du port. Ma porte est ouverte à qui le veut" rétorque Jean-Paul Le Caill.

Cette fois, CMA-CGM viendra à la rescousse de la Polynésie, en dépêchant le Sofrana à Auckland pour récupérer les conteneurs et notamment ceux contenant des produits périssables. Le navire arrivera le 06 novembre. Le reste des porte-conteneurs prévus les 30 octobre et 26 novembre, devraient pouvoir se contenter d'un seul remorqueur, assure Jean-Paul Lecaill. Et d'ici là, comme nous l'annoncions vendredi dernier, le port autonome devrait se doter d'un remorqueur de remplacement, loué à l'usine Koniambo de Nouvelle-Calédonie actuellement en sommeil à cause de la crise sociale qui touche le Caillou. L'engin devrait arriver dans un mois et demi en Polynésie. 

Ce client a l'habitude des pénuries.

Quelle solution ? 

Quant à l'acquisition pérenne d'un troisième remorqueur en cas de panne, c'est une solution qui n'est absolument pas envisagée par le directeur général du port. "En soixante ans, c’est la première fois que ça arrive. Il n’y a jamais eu besoin de trois remorqueurs" estime Jean-Paul Le Caill. La raison est avant tout financière puisqu'un seul de ces engins coûte huit cents millions de francs Pacifique, sans compter le coût d'entretien. D'autant qu'il ne servirait que pour "un tiers" des porte-conteneurs déchargeant à Tahiti.

Pour pallier ce problème, le ministre de l'Economie Warren Dexter avait soumis l'idée de "développer nos propres filières" ou encore d'avoir recours à notre flottille administrative. L'enjeu est de taille puisque pour rappel, les importations représentent 70% de ce que l'on consomme, dont 95% sont acheminées par voie maritime. 

À terme, peut-être que ces porte-conteneurs pourraient s'équiper de propulseurs d'étrave adaptés à leur poids. À l'image des bateaux de croisière qui dépassent parfois les trois cents mètres et n'ont aucune difficulté à manœuvrer dans le port mais sont certes plus légers. 

Par ailleurs, le schéma directeur du port autonome 2022-2032 prévoit une extension du terminal de commerce international pour optimiser le déchargement et un approfondissement de la passe pour pouvoir charger les porte-conteneurs à 100%, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Le directeur du port autonome affirme que "les études d'impact sur l'environnement sont terminées" et que "le dossier d’appels d’offres est prêt et va être lancé en 2025, pour avoir le temps de choisir les entreprises."