REGARDS CROISÉS - « Je pense que c’est une mauvaise foi que d’augmenter les impôts » dixit Nuihau Laurey

REGARDS CROISÉS - « Je pense que c’est une mauvaise foi que d’augmenter les impôts » dixit Nuihau Laurey
Warren Dexter, ministre de l’Économie, du Budget et des Finances et Nuihau Laurey, Représentant non-inscrit à l'assemblée de Polynésie, autonomiste et vice-président du parti A Here Ia Porinetia, étaient les invités de notre toute nouvelle rubrique « Regards Croisés » ce mardi 11 février. Maruki Dury les a guidés tout au long d’un débat mouvementé durant lequel les thèmes de la péréquation de l’électricité, du prix du carburant, mais aussi du coût de la vie et de la gestion financière du Pays par le gouvernement Brotherson.

Interview : 

Avec nous en plateau, Warren Dexter, ministre de l'Économie, du Budget et des Finances... et en face de lui, Nuihau Laurey. Représentant non-inscrit à l'assemblée de Polynésie, autonomiste et vice-président du parti A Here Ia Porinetia. Merci à tous les deux d'avoir accepté notre invitation.

On va parler de la péréquation de l'électricité. D'abord avec vous Warren Dexter, on l'a vu dans l'actualité avec Moerani Frébault, le député qui demande la péréquation nationale. Il a même rencontré le ministre des Outre-mer. Mais en face de lui, l'État demande peut-être à céder la compétence énergie. Est-ce que vous, vous seriez prêt, le Pays, à céder cette compétence pour obtenir la péréquation ?  

Tout d'abord, je voudrais rappeler que ce n'est pas un sujet nouveau. En 2014, par exemple, CESEC avait recommandé déjà à ce qu'on puisse demander à l'État de bénéficier de la péréquation nationale. Évidemment, là, je m'étonne de cette condition qui soit posée suite à la relance du député Frébault. Parce qu'à mon sens, il n'y a pas à conditionner le bénéfice de cette péréquation nationale par la reprise de la compétence « énergie ». Pour le simple motif qu'il y a plein d'exemples qui montrent que la péréquation a été accordée sans reprise de l'énergie : Wallis et Futuna, Saint-Martin, Saint-Barthélemy. 

Vous avez la même opinion Nuihau Laurey ? On peut garder la compétence et bénéficier de cette péréquation ?  

Moi, je considère que le député Frébault a posé une bonne question, puisque la question de l'énergie, elle est quand même importante en Polynésie. Par contre, je trouve que la réponse qui a été faite par le ministre est un peu limitative. On sait que dans de nombreux domaines, dans de nombreuses compétences, l'État intervient aussi dans le cadre des contrats de projet, des contrats de transformation. Donc la question, ce n'est pas de céder une compétence. C'est de prévoir la possibilité que la Polynésie utilise ce fonds qui est destiné essentiellement aux systèmes électriques des Outre-mer qui sont interconnectés insuffisamment chez nous.  

La réponse de la ministre a été un peu simpliste. Parce qu'on peut partager sur des conventions avec l'État le financement d'un certain nombre d'opérations.

Nuihau Laurey

On a autant de systèmes électriques qu'il y a d'îles. Il faut un système électrique et du secours, à Tahiti, Moorea Fakarava et partout ailleurs. On a vu avec l'incident qui s'est produit à Moorea, les difficultés qu'il y a à gérer ces situations. Donc, ce fonds est destiné à ça. Par contre, comme je le dis, la réponse de la ministre a été un peu simpliste. Parce qu'on peut partager sur des conventions avec l'État le financement d'un certain nombre d'opérations.  

Je donne juste un exemple. En 2012, lorsque François Hollande avait fait adopter la loi sur la transition énergétique, des dispositions concernant la Polynésie étaient prévues dans ce texte. Donc il ne faut pas dire que l'État, dans le cadre de ses programmations, ne peut intervenir dans ses collectivités que dans le cadre d'une Cession de compétence.  

On parle du carburant désormais. Le FRPH, c'est un fonds de régulation pour le prix des hydrocarbures. Est-ce qu'il faudrait le supprimer, Warren Dexter, pour faire payer aux Polynesiens le prix réel de l'essence à la pompe ?  

Disons que si on veut privilégier les aspects environnementaux, évidemment, parce que ça revient à soutenir les énergies fossiles, donc moi je suis pour la suppression du FRPH, mais je dis que pour l'instant, on ne peut pas le faire. Je pense qu'il faut d'abord développer un transport en commun performant.  

Aujourd'hui, on sait tous que le transport en commun est un peu compliqué, notamment pour arriver au travail à l'heure.

Warren Dexter

Pourquoi je dis ça ? C'est parce que, si on supprime le FRPH, on libéralise les prix à la pompe, et donc c'est au préjudice des automobilistes, notamment les moins fortunés, à qui on doit pouvoir proposer des alternatives crédibles. Aujourd'hui, on sait tous que le transport en commun est un peu compliqué, notamment pour arriver au travail à l'heure.  

Dans tous les cas on paie l'essence moins chère en Polynésie qu'en métropole... 

Oui. Parce que c'est soutenu par les subventions du Pays. C'est tout le sens du FRPH.  

Vous, Nuihau Laurey, vous avez un avis sur cette question ?  

Oui, un avis opposé parce qu'on paye moins cher, parce qu'on paye les impôts à côté pour financer le FRPH, et moi je suis pour la transparence des prix. On a vu l'exemple de l'EPIC Vanille, avec le rapport qui a été rendu par la CTC, qui préconise la fermeture de l'établissement.  

Il y avait un amendement sur l'EPIC Vanille, où on demandait à ce que les dépenses publiques soient mieux maîtrisées, et on proposait une baisse du budget de l'EPIC Vanille pour initier une réforme. Elle a été rejetée, comme tous les autres amendements qui ont été déposés par la minorité.

Nuihau Laurey

Lorsque nous avons adopté le budget, la minorité a déposé 40 amendements. Il y avait un amendement sur l'EPIC Vanille, où on demandait à ce que les dépenses publiques soient mieux maîtrisées, et on proposait une baisse du budget de l'EPIC Vanille pour initier une réforme. Elle a été rejetée, comme tous les autres amendements qui ont été déposés par la minorité.  

Nous, nous pensons qu'il y a un effort que le pays doit mener pour réduire les dépenses publiques, et parallèlement baisser les impôts. Ce que l'on ne constate pas, parce que depuis un an et demi, à l'occasion de toutes les lois fiscales qui sont déposées, on voit des augmentations d'impôts.  

D'ailleurs, le débat qui devait avoir lieu ce soir devait concerner le texte qui est porté par le ministre de la Santé, et donc ce texte propose d'augmenter les cotisations sur un certain nombre de revenus, et nous, nous sommes totalement opposés à ce que le gouvernement augmente encore une fois les impôts que les Polynésiens vont devoir supporter, surtout dans un contexte où les caisses du Pays sont entièrement pleines. 

Justement, les caisses sont pleines. 51 milliards de Fcfp, on parlait de ce matelas d'épargne. Warren Dexter, qu'est-ce que vous répondez, justement ? On n'a pas vu les impôts baisser. Finalement, les prix continuent de flamber. L'inflation se poursuit. Comment ça va se traduire dans le portefeuille des Polynésiens ?  

Nous avons trois grands axes pour lutter contre la vie chère que nous allons mettre en œuvre dès cette année 2026. Le premier, c'est d'abord négocier avec les commerçants, un plafonnement de leurs marges, dans le cadre de ce qu'on appelle les accords de modération

Warren Dexter

J'ai déjà eu l'occasion de l’annoncer aux médias et même à l'Assemblée. Nous avons trois grands axes pour lutter contre la vie chère que nous allons mettre en œuvre dès cette année 2026. Le premier, c'est d'abord négocier avec les commerçants, un plafonnement de leurs marges, dans le cadre de ce qu'on appelle les accords de modération, qui va s'inscrire dans le cadre d'une réforme des PPN.  

Le deuxième, c'est qu'on va accorder une aide directe aux ménages les plus nécessiteux. Quand je dis ménages nécessiteux, ce ne sont pas ceux qui sont sans emploi, mais également ceux qui ont des bas salaires, qui ont besoin d'être soutenus.  

Et puis, la troisième voie, c'est effectivement d'abaisser la fiscalité au premier chef la TVA. Je pense notamment aux îles. Nous avons un projet qui pourrait bien marcher pour les îles d'abaissement de la fiscalité.  

Est-ce que vous avez reçu déjà les membres de la grande distribution pour parler de leurs marges ?  

Complètement, oui. On a pris le temps d’une discussion avec eux. Surtout sur les trois axes dont je viens de parler. On a des réunions régulières pour essayer d'avancer. Le président veut absolument que ça sorte cette année. On va le faire.  

Nuihau Laurey, c'est une bonne piste pour vous que la grande distribution, par exemple, réduise leurs marges. C'est une vraie piste, une vraie solution ? 

Il y a une maîtrise des dépenses publiques à mettre en œuvre. Il faut baisser les impôts, il faut baisser les taxes, parce que tout coûte cher ici, parce que tout est taxé. Et la démarche du gouvernement, c'est d'augmenter à chaque fois les impôts.

Nuihau Laurey

Ces accords existent depuis très longtemps. Ça ne marche pas. Nous, on a une piste qui est très simple, qui s'appuie sur la logique et le bon sens. Il faut que le Pays commence à réduire ses dépenses. On prenait la masse salariale, 35 milliards de Fcfp. Le ministre lui-même sait que le Pays doit agir sur ça. Sur les satellites... Il y a une maîtrise des dépenses publiques à mettre en œuvre. Il faut baisser les impôts, il faut baisser les taxes, parce que tout coûte cher ici, parce que tout est taxé. Et la démarche du gouvernement, encore une fois, je n'ai aucune animosité envers Warren. Je sais qu'il connaît le monde économique, et je pense que c'est une mauvaise foi que d'augmenter à chaque fois les impôts.  

Là, je parlais de ce texte qui est présenté par le ministre de la Santé. On vient augmenter des impôts, créer de nouveaux impôts, des cotisations sociales sur des loyers, sur des dividendes qui sont déjà taxés et qui ne sont pas des revenus salariaux. C'est du chiffre d'affaires... 

Finalement, c'est une surtaxe qu'on vous reproche un petit peu Warren Dexter... 

Moi, je dirais que je ne suis pas de cet avis parce que c'est tout à fait dans la cohérence de l'action gouvernementale. Rappelez-vous qu'on a sublimé la taxe sociale. Pourquoi ? Parce qu'elle taxait uniformément les gens riches et les gens pauvres au magasin. Là, ce qu'on veut faire, c'est orienter la taxation, en l'occurrence les cotisations sociales, sur ceux qui ont.  

Maintenant, la question, c'est d'avoir une pression adaptée. Effectivement, il y a certaines catégories de revenus qu'on soumet à la cotisation sociale. Quand on ajoute les taxes plus les cotisations sociales, ça pourrait paraître élevé. Voilà. Et donc les discussions, pour l'instant sont là, avec le ministre Mercadal. Mais je pense que sur le principe, cette réforme est juste.