Système d'assainissement désuet à Punaauia : comment y remédier ?

Nicolas Bertholon, président de la SEM Vaitama et Winiki Sage, le président de la fédération des associations de protection de l'environnement.
L'environnement était au cœur de la nouvelle rubrique « Face à vous » ce jeudi en radio. Nicolas Bertholon, président de la SEM Vaitama et Winiki Sage, le président de la fédération des associations de protection de l'environnement ont débattu sur le sujet de l'émissaire cassé de la station d'épuration, et des solutions modernes qui pourraient être mises en place à condition d'y mettre le prix.

Le vieil émissaire de Punaauia est désuet tout comme la station d'épuration. La canalisation a subi deux casses en deux semaines, alors qu'un nouvel émissaire est en travaux. La baignade a été interdite par la commune mardi 18 février. Le tuyau a été réparé dans la foulée selon Nicolas Bertholon, le président de la SEM Vaitama, qui gère la station d'épuration située à Matatia. "Depuis mardi tout est opérationnel au niveau de l'émissaire, c'est réparé. Après on ne peut pas lever tout de suite l'interdiction de baignade parce qu'on fait des prélèvements ; On attend les résultats pour voir si l'eau est propre ou pas" précise M. Bertholon.

Corinne Tehetia, journaliste : Cela va durer combien de temps ? 

Nicolas Bertholon, président de la SEM Vaitama : Il faut savoir que depuis 2015-2016, des audits ont été faits sur la SEM Vaitama montrant des erreurs de conception et de réalisation de ces travaux et une usure prématurée de l'émissaire. Lorsque je suis arrivé aux affaires de la SEM en 2020-2021, j'ai pu le constater. J'ai fait le nécessaire pour pouvoir monter en puissance, voir ce qui n'allait pas et ce qu'il fallait améliorer. Aujourd'hui on est obligé de tout refaire. Il y a deux choses. D'un côté il y a le vieil émissaire, il ne faut pas cacher aux gens : il est pourri depuis plusieurs années. Donc ce qu'on fait c'est qu'on essaie de tenir en réparant. Mais derrière on a obtenu une enveloppe du Pays assez conséquente de 1,9 milliard Fcfp. Et on est en pleine période d'exécution de ces travaux pour renouveler, remplacer l'ancien émissaire avec le nouvel émissaire. Ce qu'on est en train de faire comme réparations c'est sur l'ancien émissaire qui est complètement dégradé. Le nouvel émissaire si tout va bien on devrait avoir une fenêtre de tir pour l'installer entre le mois de septembre, octobre et novembre. Les gens ne voient pas les travaux parce qu'on est en train de le fabriquer au bord de la mer. Comme ce n'est pas au bord de route on ne le voit pas. 

C.T : Winiki Sage il faudra attendre quelques mois, avec peut-être de nouvelles casses, est-ce que cela vous inquiète ? 

Winiki Sage, président de la fédération des associations de protection de l'environnement : La population est inquiète. C'est un lagon utilisé par beaucoup de monde. Tous les jours il y a des nageurs, des pêcheurs, des surfeurs, on parle d'eaux sales très dangereuses pour la santé, il y va de la santé publique. On est heureux d'entendre que les choses sont faites mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps. Cela fait tellement de fois, on a l'impression que tous les ans on a ce problème d'émissaire. Est-ce qu'on a fait des choix à l'époque qui n'étaient pas bons ? Dans ce cas-là on essaie de les rectifier plus rapidement parce que là on est en train d'envoyer dans la mer de l'eau qui peut être très dangereuse. On ne peut pas continuer comme ça, c'est impossible. La population commence à en avoir ras-le-bol. 

C.T : Vous en êtes conscients Nicolas Bertholon ? 

N.B : Oui, complètement, je suis entièrement d'accord avec Winiki. Ce qu'il faut bien avoir à l'esprit c'est que nous nous situons en aval de la station d'épuration et même si on est en aval de station d'épuration il s'agit d'eaux qui ont été traitées mais le taux d'abattement, le taux d'épuration est de 90, dans le meilleur des cas 95%. Ce qui est rejeté est quand même chargé d'éléments polluants et je suis entièrement d'accord : cette situation n'est pas satisfaisante, je vous dis c'était un problème de conception et de réalisation des travaux. On était dans une technologie qu'on appelle la technologie acier. Et là, ce qui va être inauguré au mois de septembre, on passe à la "technique PEHD". C'est un peu comme le SWAC de Taaone, ce sont des technologies normalement faites pour durer 50 ans. Toujours est-il que j'ai pris le dossier en main, j'ai obtenu une enveloppe conséquente du Pays d'1,9 milliards pour pouvoir réparer tout ça, ce ne sont pas des petits sous quand même.

C.T : De l'eau prétraitée à 95%, Winiki est-ce que ça vous rassure ? 

W.S : Cela rasure à moitié. Ce qu'on a du mal à comprendre c'est que sur nos voitures on a quatre roues et une roue de secours. Et ce qu'on ne comprend pas c'est que, si effectivement il y a un défaut, quelles sont les mesures qui font qu'au lieu que cette eau soit encore rejetée dans l'eau, elle n'est pas conservée dans des réservoirs de secours par exemple ? Qu'est-ce que vous avez pour détecter qu'il y a un défaut ? Et quel est le temps de réactivité que vous avez entre le moment où ça casse ? À quel moment peut-on bloquer cette eau et surtout qu'elle n'arrive pas dans la mer ?

N.B : Il faut bien comprendre que l'émissaire est sous la mer. Il commence dès le rivage et va jusqu'à une profondeur de moins 60 mètres après la base de Taapuna. Pour bien se rendre compte qu'il y a une fuite – des fois certaines sont indécelables — c'est un problème physico-chimique : l'eau qui sort, c'est de la douce. Tout autour il y a de l'eau de mer et elle ne se mélange pas. C'est à ce moment-là, quand le débit est important, qu'on se rend compte qu'à la surface il y a une résurgence et qu'on peut intervenir. En dehors de cette approche de casse on a un programme. Régulièrement on fait appel à un prestataire qui vérifie l'état de la canalisation. Il faut bien retenir qu'il ne s'agit pas d'une casse sur la terre avec un tuyau où on voit qu'il y a une fuite, il s'agit d'une casse qui a lieu à des profondeurs qui vont de moins 5 jusqu'à moins 25 mètres au milieu de la baie de Taapuna et jusqu'à moins 60 mètres dans la passe de Taapuna. Cela demande des moyens particuliers pour intervenir.

Après ce que dit Winiki, et il a raison, c'est réfléchir à mettre en place des stocks tampons. Il faut vraiment comprendre que les débits sont conséquents. On a un débit moyen de 100 mètres cubes par heure d'eaux usées qui arrivent. On a un problème parce qu'on a de l'eau de pluie qui rentre à l'intérieur, on appelle ça des eaux claires parasites, et ces eaux de pluie n'ont rien à faire à l'intérieur du réseau. Il y a trois types de réseau d'eau : le réseau AEP, tout ce qui touche à l'eau potable, le réseau eaux pluviales, qui a vocation à finir dans les cours d'eau et la rivière normalement pas chargée de pollution et le réseau d'eaux usées qui doit aller dans la station d'épuration. Malheureusement, je vous dis tout de suite, il y a beaucoup de gens qui font preuve d'incivilités, qui enlèvent les tabourets chez eux quand il y a de la pluie dans leur jardin, et qui évacuent cette eau de pluie à l'intérieur du réseau d'eaux usées. Donc 100m3 de débit moyen dans notre réseau, quand il se met à pleuvoir on peut atteindre des débits qui montent à 1800 m3 heure, soit 18 fois plus. Et je vous garantis tout de suite qu'il ne s'agit pas d'eaux usées, il s'agit bien d'eau de pluie. Alors maintenant faire des stocks tampons, mais avec quelle taille de bassins ? C'est impressionnant... Il y a un savant mélange de tout. Après pour la réglementation on pourra en parler plus tard. Il y a effectivement possibilité d'évolution pour mettre en place des normes épuratoires un peu plus exigeantes, on passe dans des stations d'épuration membranaires, où la qualité de l'eau est une qualité haute baignade. Il n'y a pas d'atteinte à l'environnement. Mais ça coûte un peu plus cher.

C.T : Winiki, une réaction par rapport à ces propositions ? 

W.S : Cela veut dire qu'il faut peut-être rajouter du contrôle au niveau des citoyens, qu'ils comprennent bien que ce qu'ils font n'est pas tolérable. Ensuite on peut s'interroger : peut-être qu'ailleurs dans le monde il y a des techniques d'épuration qui sont aujourd'hui plus modernes. La station d'épuration a quand même fait son temps. La ville de Punaauia est une ville exemplaire sur beaucoup de sujets. C'est une ville qui a les moyens. On n'est pas en train de parler d'un atoll à Tatakoto. Il y a du monde sur cette commune et effectivement il y a probablement des techniques nouvelles. Tout à l'heure, Nicolas expliquait qu'ils avaient un budget d'1 milliard, je ne sais pas combien ça coûte mais peut-être qu'il faut envisager des techniques nouvelles.

C.T : Comme quoi ?

W.S : Je ne suis pas spécialiste des stations d'épuration mais il y a probablement aujourd'hui des nouvelles techniques. Au lieu d'aller juste réparer le tuyau, peut-être qu'il faut en faire plusieurs. Peut-être qu'il faut aller plus profond, mais avec le budget que vous avez, peut-être repenser complètement le dispositif. On ne peut pas continuer comme ça.

N.B : Absolument. Il faut savoir qu'aujourd'hui la SEM Vaitama n'est pas une SEM communale. C'est une SEM qui appartient au Pays. La commune, sur 100% de l'actionnariat n'a que sept petits pourcents. On est une espèce d'anomalie réglementaire puisque c'est vrai que le CGCT, qui régit les communes de Polynésie, prévoit que la gestion des eaux usées domestiques revienne aux communes. Il se trouve que c'est une survivance d'un truc normal qui s'est fait à l'époque. Winiki a raison de dire que quand on a pensé, réfléchit à la conception de ces réalisations, ça s'est fait dans les années 90. La station d'épuration a été opérationnelle en 2002. En termes de technologies, je suis d'accord c'est un peu de la préhistoire. Aujourd'hui on ne fabrique plus de station d'épuration comme celles-là. La nôtre, on appelle ça une station physico-chimique. Prenez celle de Papeete, elle est membranaire, avec les approches de traitement bactériologique et il n'y a pas d'émissaire d'évacuation des eaux usées traitées. Le taux d'épuration est tellement élevé qu'une fois que c'est traité, l'eau est rejetée dans le réseau eau pluviale parce qu'elle est qualité eau de baignade, on n'a pas besoin de faire d'émissaire. Il se trouve qu'aujourd'hui on est obligés de faire comme ça. Alors pourquoi ça a mis du temps ? C'est une très bonne question.

C.T : Aujourd'hui on le comprend bien, nous n'avons pas d'autres choix que de déverser cette eau dans la mer. Nicolas Bertholon, vous réfléchissez à d'autres projets. Winiki Sage, la semaine dernière vous avez souligné l'urgence de sauver notre océan qui est malade. Il faut d'abord travailler sur la partie terrestre, faire en sorte que les écoulements anthropiques (tout ce qui concerne l'homme) soient propres, aujourd'hui vous estimez qu'il y a encore du travail à faire ?

W.S : Oui, il y a des choses à faire. Là j'ai une suggestion, quelque chose que je ne comprends pas : ce lagon est partagé avec Paea et Faaa. Ce genre d'investissements là, qui est conséquent, devrait faire partie d'une vision globale. On a le même lagon. C'est vrai que sur terre on a défini des limites entre les populations. Mais ce genre de sujets là, j'estime que ça devrait être au niveau du Pays et que les communes devraient se mettre ensemble puisque l'on partage le même lagon. Et effectivement si aujourd'hui des associations font du bouturage, militent pour faire du rahui mais qu'à chaque fois qu'il pleut, toutes ces eaux anthropiques s'écoulent dans la mer, on ne va pas y arriver. Je pense qu'une des solutions, et j'aimerais que Nicolas nous dise ce qu'il en pense, c'est aussi de trouver des partenariats entre les communes. Nous partageons le même lagon aujourd'hui, l'eau qui rentre par Taapuna ressort par Papeete et inversement. Donc essayons de trouver des solutions communes sur terre pour protéger ce lagon que l'on partage tous.

N.B : Mauruuru maitai Winiki... Parce qu'il dit à peu près aux mots près ce que je pense. C'est vrai que sur terre, l'administration, les hommes ont mis des frontières, entre la commune de Punaauia, de Paea et de Faaa. J'ai eu l'occasion de dire à certains tavana : quand on a de la pollution qui atteint notre lagon, vous croyez que la frontière administrative qui traverse le lagon empêche la pollution de passer du lagon de Faaa au lagon de Punaauia ? Non, ça n'empêche pas. Donc c'est vrai que l'approche doit être globale. Après maintenant on est peut-être un peu à la traîne les trois communes de l'ouest mais il faut savoir qu'on a été les précurseurs il y a une cinquantaine d'années et je rends hommage à nos anciens tavana et je rends hommage à l'intercommunalité pour la gestion de l'eau potable avec le syndicat en charge. Quand le syndicat s'est mis en place les trois communes faisait à peine 20 000 habitants. Aujourd'hui à la louche c'est à peu près 80 000 habitants. Les installations sont toujours les mêmes. Et Winiki a raison de dire que la première approche que nous devons avoir, c'est une approche par rapport à nos activités humaines sur terre et l'impact que l'on peut avoir sur l'environnement. Il se trouve qu'à la commune, en tant que deuxième adjoint en plus, je suis en charge de l'aménagement. Et régulièrement je monte au créneau en disant que lorsqu'on a des aménagements de lotissement, de résidence, est-ce que les promoteurs font le nécessaire pour mettre en place des bassins de rétention, de décantation quand il se met à pleuvoir pour éviter que ça ne finisse dans le lagon ? Malheureusement, ces dernières années, à chaque saison des pluies on a eu des épisodes un peu particuliers. Pour ceux qui se souviennent, rappelez-vous, l'année dernière à la saison des pluies ça a été inondé jusqu'à l'hôtel de Punaauia où on a vu 20 à 30 centimètres de boue dans nos locaux parce que quelqu'un avait fait une promotion et qu'il n'a pas trop respecté. Après derrière ils ont fait le nécessaire mais comme je dis toujours, au lieu de toujours guérir, il faut peut-être à un moment donné prévenir et anticiper. (...) Je ne comprends pas pourquoi nous ne pousserions pas cette intercommunalité jusqu'à la prise en charge des eaux usées.

C.T : Est-ce qu'un projet 100% écologique en termes d'assainissement est possible en Polynésie ? 

N.B : Ce sont des histoires de normes et il faut qu'à l'échelle du Pays, la puissance publique légifère pour faire en sorte de mettre en place des normes et que toutes les autorités qui prennent en charge ce domaine-là les respectent. Ensuite d'autre part, tout est possible... C'est comme partout ! L'eau potable aux Tuamotu par exemple... Mais seulement, à quoi doit-on faire appel ? La technique d'osmose inversée ? Cela coûte très cher. À combien le mètre cube d'eau potable va-t-il revenir ? (...) On peut aussi avoir des techniques d'épuration qui font qu'une fois que l'eau est traitée, elle est en qualité eau potable... On peut la boire. Il y en a certains qui le font. Mais ça a un coût. La question c'est, qu'est-ce que la population est prête à supporter comme coût pour avoir ce résultat ?

C.T : Les techniques existent dans ce sens... Maintenant à quel prix ? 

W.S : Ce qui manque dans notre Pays c'est la prospective. Souvent on fait des projets pour régler des problèmes. Le temps politique est le temps politique. Mais les communes évoluent, les usages évoluent, les entreprises évoluent. J'ai l'impression que parfois on oublie d'intégrer ces réflexions et on ne voit les choses qu'à cinq ans au lieu de les voir sur trente ans. (...) Je ne désespère pas. On a des personnes qui sont de plus en plus conscientes et on le voit aujourd'hui dès qu'on pollue on se retrouve face à la population. Souvent quand je discute avec les tavana je leur demande comment ils voient leur ville dans 20 ans. N'essayez pas seulement de la voir dans cinq ans, quand on discute écologie. (...) Prenons l'exemple des lotissements à Punaauia. Pour nous les lotissements ne doivent être faits que sur les plateaux. On ne doit pas toucher aux vallées, les vallées c'est là où il y a de la vie, où de l'eau s'écoule, c'est là où on peut faire des faaapu... Mais aujourd'hui on voit encore des lotissements qui se font sur le côté dans les vallées. Cela devrait être interdit mais c'est une réflexion plus globale et plus longue. Je ne suis pas aux manettes, c'est plus facile pour moi qui suis dans les associations de parler comme ça. Mais nous les associations, on œuvre bénévolement et quelquefois, on a l'impression que c'est nous qui sommes obligés de tirer la sonnette d'alarme.