Teahupoo : le chauffeur de bus reconnu coupable d'agressions sexuelles sur mineur

Tribunal de Papeete
Le sexagénaire comparaissait, ce lundi 24 mars, devant le tribunal de première instance. Une audience en comparution à délai différé. Le chauffeur de bus, accusé d'agressions sexuelles sur 35 enfants âgés de 3 à 7 ans, a été condamné à trois ans de prison dont deux de sursis assortis de probatoire, d'une obligation de soin et de multiples interdictions dont celle de s'approcher de l'école de Teahupoo et d'exercer une activité en contact avec les enfants.

Les visages sont fermés, crispés. Dans la salle d'audience, deux clans. Celui du chauffeur de bus scolaire et celui des victimes. Dès la présentation des faits, la tension est palpable. Il faut dire que la liste est longue. 35 faits énumérés les uns après les autres par la présidente du tribunal. Plus de dix minutes où il est rappelé les gestes et les tapes sur les fesses et les sexes des petites filles et petits garçons.

Ces faits ont été signalés par l'école de Teahupoo le 4 décembre 2024 après que la directrice par intérim a été alertée par des parents d'élèves. Une enquête est alors ouverte par la gendarmerie et révèle que tout a commencé dès août 2023. Papi Xavier, comme on le surnomme, vient tout juste de commencer son nouveau travail de chauffeur de bus scolaire. Pendant plus d'un an, de nombreux enfants vont être victimes de ces gestes à caractère sexuel. Certains, âgés seulement de trois ans, sont même terrorisés. La présidente appuie ces dires par des images tirées des caméras de surveillance du bus.

"On voit sur cette image, une petite fille qui essaye d'éviter les gestes du chauffeur en mettant sa main gauche sur ses fesses. Sur ce cliché, c'est un petit garçon. Sur celui-ci, on voit des enfants se précipiter à l'intérieur du bus"

Présidente du tribunal

"Ce sont des mensonges" lance le prévenu à la barre, assisté d'un traducteur en reo Tahiti. Sa fille, assise au premier rang, grogne son mécontentement. Elle est plusieurs fois rappelée à l'ordre par la présidente du tribunal qui s'agace de son comportement, comme celui de son père à la barre. Car, le sexagénaire est dans le déni et ne demandera jamais pardon. 

"J'ai mis des tapes sur les fesses. Ils se suspendaient sur la barre de fer du bus, ils couraient dans le bus. J'ai grondé plusieurs fois mais ils n’écoutent pas (...) Ce sont des gestes de colère !"

Morton A. - prévenu

Le prévenu tente de se justifier à travers plusieurs explications. D'abord des gestes de colère et de correction sur des enfants "terribles", puis de la rigolade "c'était pour rigoler" dit-il à la barre, enfin il      dénonce un complot de la part des parents puis de corps enseignants pour se venger, le faire tomber. De quoi irriter la magistrate. "Les parents n'ont pas déposé plainte malgré les confidences des enfants, donc vous voyez bien que votre théorie du complot ne tient pas, répond-elle, Sur les images, on voit tout de même que vous mettez les mains entre les cuisses !". Le prévenu s'énerve : "Je ne répondrai plus !".

Un homme sans empathie

L'enquête de personnalité décrit un homme qui certes n'a pas de trouble psychiatrique mais un trouble de la personnalité antisocial. Ses réactions émotionnelles sont très limitées, il affiche même son mépris et est irrité par les questions. En clair, le sexagénaire n'a pas d'empathie. L'homme a par ailleurs déjà été condamné pour des faits qui n'ont rien à voir avec ceux qui sont jugés ce lundi, il n'a jamais été incarcéré.

Élevé dans une famille nombreuse, il a grandi au sein d'un foyer où la violence conjugale est quasi quotidienne. Il a arrêté l'école à 9 ans. Sans diplôme, il a un temps été chauffeur poids lourds avant d'intégrer Tere Tahiti en 2023. Longtemps addict à l'alcool avant d'arrêter il y a sept ans, ce père de famille a trois retraits de permis à son actif, aujourd'hui il est sobre mais a des soucis de santé et est dialysé. Des soucis de santé pris en compte lors de sa garde à vue qui s'est déroulée sur quatre jours afin qu'il puisse se soigner convenablement.

Des parents choqués

Au-delà des faits, l'audience a mis en avant une commune bouleversée depuis la révélation de l'affaire. Une commune divisée entre ceux qui sont surpris par ces révélations sur un papi considéré comme gentil, et ceux qui dénoncent les faits. "Ce n'est pas évident pour la famille du prévenu et pour celle des victimes, c'est toute la commune qui est touchée", admet une mère de famille et élue à Teahupoo venue témoigner à la barre, ce lundi. Une autre se dit choquée par les faits, elle ne témoignera pas à l'audience mais y assistera jusqu'au bout.

"J'ai été sous le choc. Ça m'a fait mal. Le comportement de ma fille a changé. Elle qui aimait aller à l'école, aujourd'hui elle ne veut plus. C'est comme si elle n'est plus en sécurité, elle a peur, elle fait beaucoup de cauchemars le soir, elle crie, elle me cherche".

Maman d'une victime

Depuis février, des menaces ont été proférées sur les réseaux sociaux, et des membres de la famille du chauffeur de bus ont fait pression auprès de parents vivant dans le quartier afin de signer des déclarations expliquant que le sexagénaire est "bien sous tout rapport". Or, comme le rappelle l'APAJ qui représente quinze victimes, "le caractère systémique des faits est le signe évident de la connotation sexuelle".

"Tous les enfants décrivent le même modus operandi et témoignent qu'il ne s'agissait pas d'une manifestation de mettre de l'ordre dans le bus. Les caméras corroborent les indications des enfants (...) On est assez loin du papi gentil, on a plutôt le sentiment qu'il se comportait comme un chef tout puissant". 

Me Myriam Toudji - avocate APAJ

Quant à l'avocat de la défense, il fait le portrait d'un homme qui n'est pas un prédateur, pas un pédophile. Il plaide pour que les faits soient requalifiés en violence et non en faits sexuels. Une requalification qui ne sera pas retenue. Au délibéré, le prévenu est reconnu coupable d'agressions sexuelles sur mineur. Il est condamné à trois ans de prison dont deux ans de sursis assortis de probatoire avec obligation de soin. Il est par ailleurs interdit de se rendre devant l'école de Tehaupoo, d'être en contact avec les victimes et d'exercer une activité avec des mineurs. Morton A. doit également indemniser les victimes, des dommages qui s'élèvent en moyenne entre 10 000 et 120 000 Fcfp pour les enfants et les parents. Il a également écopé d'une privation du droit d’éligibilité de trois ans et sera inscrit au fichier des auteurs d’infractions sexuelles (Fijais). 

"C'est un très bon jugement qui est équilibré (...) Les parents sont à la fois soulagés par la condamnation mais aussi très affectés. Ils se demandent : très bien, il est condamné, mais nous comment on fait maintenant avec nos enfants ? Est-ce qu'on ne va pas subir les répercussions dans leur comportement au long terme ?"

Me Karina Chouini - avocate de quatre familles

Le prévenu ne devrait pas faire appel s'il suit les conseils de son avocat.