Thibaud Millet, un avocat qui a soif de justice

Thibaud Millet, avocat
Utiliser sa robe pour défendre les injustices ? C’est le leitmotiv de Maitre Thibaud Millet. L’avocat défend des dossiers complexes, médiatiques et souvent ardus. Admiré, redouté, parfois décrié, le quadragénaire fait parler de lui. Portrait.

Radio Tefana, Cannabis thérapeutique, conditions des détenus, nucléaire, atteintes aux libertés… Les dossiers sont nombreux, les cas souvent atypiques, les causes justes. Thibaud Millet choisit ses affaires par conviction. Ce qui l’anime : l’injustice. C’est d’ailleurs ce qui l’a poussé à épouser la robe d’avocat.  « On a le sentiment qu’on est en capacité de changer ou améliorer le système grâce au droit et justice. J’ai toujours été très affecté par l’injustice donc ce métier m’est venu assez naturellement. ». À l’école primaire déjà, le jeune Thibaud défendait ses copains malmenés, quitte à se fâcher avec ses amis. Un trait de caractère qui ne le quittera jamais. Après avoir grandi à Saint-Claude, une petite ville de province dans le Jura où vivent un peu moins de 10 000 âmes, il part faire ses études de droit à Lyon et s’intéresse au droit international. L’humanitaire l’attire, il veut apporter sa pierre à l’édifice et attaquer les injustices. Toujours cette notion d’injustice… Après l’Afrique et un séjour au Sénégal, il se décide : ce sera finalement le métier d’avocat. Rien de mieux pour attaquer un système, pointer ses dysfonctionnement et tenter de l’améliorer. Il fait son école à Marseille puis s’envole pour de plus larges horizons… 

Chercher, fouiller, soulever

 

Il atterrit au milieu du Pacifique, à Tahiti. Ce territoire du bout du monde lui plaît. En mars 2010, Thibaud Millet prête serment et entre au barreau de Papeete. Sa nouvelle vie commence. L’avocat se spécialise dans les sinistres. L’homme est discret. A l’époque, il est loin du tintamarre médiatique auquel il est aujourd’hui habitué. Deux ans seulement après son arrivée sur le territoire, il se démarque en dénonçant les conditions de détention à Nuutania, alors la prison la plus surpeuplée de la République. Sa détermination est sans faille, sa hargne finit par payer. Après huit années de bataille, l’homme de droit réussit à faire condamner la France par la cour européenne. Ce premier combat signe une longue série d’autres à venir…

" Il est très bon techniquement et pour ne rien gâcher, c’est un excellent plaideur (…) Nous avons une névrose en commun : lui comme moi vérifions absolument tout ! »,

David Koubbi, avocat parisien

Procédurier et travailleur acharné, Thibaud Millet cherche, fouille et soulève les  lièvres ou les incohérences. L’homme peut passer des heures à lire, relire, écrire, ré-écrire. Dans le dernier dossier épineux, l’affaire Radio Tefana dans lequel il défend Oscar Temaru, il aura consacré plus de 200h à consulter, examiner, analyser chaque détail de la procédure. « Thibaud est animé d’un réel courage procédural et il en est de même en audience. Il est mu par des valeurs de profond humanisme, doublées d’une pugnacité hors norme. Il est très bon techniquement et pour ne rien gâcher, c’est un excellent plaideur (…) Nous avons une névrose en commun : lui comme moi vérifions absolument tout ! », confie Me David Koubbi, avocat émérite qui a lui aussi défendu le leader indépendantiste dans ce dossier complexe et ardu. C’est justement ce qui plaît à Thibaud Millet. Plus le combat est difficile plus il est inspiré dit-il. « C’est un travail de fourmis, il faut être carré sur les dossiers car il y a beaucoup de règlementation et encore plus en Polynésie. La réglementation est compliquée car on a une double compétence État-Pays, mais ça ne devrait pas l’être si l’État faisait son travail de simplifier et rendre le droit accessible. Le droit ici est inintelligible. ».

 

Entre attaque et écoute 

 

Attaquer l’État… Un point commun à ses dossier les plus médiatiques. Il n’hésite d’ailleurs pas dans ses prises de parole dans les médias comme dans ses plaidoiries à pointer du doigt les responsabilités défaillantes de la France. On se rappelle de ses batailles lors du Covid ou celle plus récemment dans le nucléaire et Radio Tefana. « Dans le procès Radio Tefana, il est allé loin dans sa plaidoirie : il a déclaré l’État coupable. Si un avocat Maohi tentait la même chose, ça serait normal, mais de la part d’un avocat métropolitain, c’est beaucoup plus puissant, l’impact est plus fort au niveau de la population maohi. Il faut un certain courage pour le dire surtout qu’on est un petit barreau à Tahiti. », estime Stanley Cross, avocat historique du Tavini. Le Maohi admire le courage et la pugnacité de son confrère, devenu depuis un proche. Il le voit régulièrement à l’oeuvre au palais de justice de Papeete. Quand il y a un problème parfois avec des magistrats, il n’est pas du genre à fuir, il affronte et va frapper aux portes pour expliquer et argumenter. « Il aime discuter, il aime avoir un lien, c’est d’ailleurs ce que est apprécié. ».

"La justice utilise un lexique que peu maitrisent et qui peut très vite être incompréhensible. Thibaud Millet est très abordable et pédagogue envers le public"

Miri Tumatariri, journaliste

Créer des liens, c’est l’une de ses spécialités. Lors du procès Radio Tefana, il a accueilli chez lui Maître David Koubbi. « L’information cruciale de votre article est qu’il prépare des petits-déjeuners parfaitement sains et équilibrés, que nous savourions avant d’aller nager, en affinant notre stratégie, pour nous rendre ensuite à la Cour. Ça créé des liens ! », raconte amusé l’avocat parisien. Des liens, il en crée aussi avec ses clients, l’homme de droit est très impliqué dans ses dossiers. On lui reconnaît volontiers une part d’humanisme, un avocat toujours à l’écoute et qui s’efforce de faire comprendre les enjeux à son assemblée. « La justice utilise un lexique que peu maitrisent et qui peut très vite être incompréhensible. Thibaud Millet est très abordable et pédagogue envers le public. », observe Miri Tumatariri, journaliste qui a l’habitude d’arpenter les couloirs du palais de justice. 

La soif de combattre 

Technicien hors-pairs et besogneux doté d’une intelligence humaine et d’un physique plutôt agréable, entretenu grâce à une pratique soutenue de pêche sous-marine et de l’apnée… La parure paraît parfaite mais un homme reste un être humain, il a donc forcément des défauts. Et c’est peut-être bien dans les plaidoiries que le bât blesse. On est loin des grandes performances théâtrales de l’avocat et garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti. « Il n’est pas très incisif lors des plaidoiries. Les plaidoiries, c’est un peu le clou du spectacle pour l’auditoire, explique Miri Tumatariri, Un art oratoire où certains théâtralisent alors que lui peu paraître un peu plus sage. Ce qui ne veut pas dire qu’il est moins efficace. Chacun sa plume ». S’il n’est pas un ténor de la plaidoirie, Thibaud Millet a en effet sa manière d’écrire, un forcené un peu, mais il a le verbe facile et sait l’utiliser avec pertinence. Il ne s’inspire certainement pas des plus grands écrivains, l’homme n’est pas un grand lecteur, mais il lit des articles de presse, des textes juridiques à n’en plus finir, et des livres d’intellectuels. Le dernier en date est un ouvrage de l’économiste reconnu Thomas Piketty, spécialiste des inégalités. On comprend mieux l’intérêt de l’avocat pour l’auteur. L’homme de droit estime en effet que tout le monde doit être défendu, une question d’égalité, peu importe si parfois cela est fait à titre gracieux. Aujourd’hui, son cabinet tourne suffisamment bien grâce à une activité classique, avec des affaires de droits civils ou publics, pour se le permettre. Il peut donc s’adonner aux causes qui l’intéressent et combattre l’injustice. Sa curiosité et sa pugnacité sont loin d’être rassasiées, qu’on se le dise : l’homme risque de faire encore parler de lui.