[MAJ] Trafic d'ice, séquestration, violences : entre 4 mois et 6 ans de prison dans l'affaire du Royal Palms

Tous semblent craindre la tête de réseau présumée. (Procès du 6 mai 2024)
Au tribunal s’est ouvert, lundi 6 mai, le procès de la rixe du Royal Palms. En février 2018, deux bandes rivales s’étaient affrontées violemment, suite à une séquestration. Un coup de feu avait même été tiré. Après deux jours de procès, les peines sont tombées et vont de 4 mois avec sursis à 6 ans de prison ferme.

C’est une affaire d’une rare violence aux contours très flous. Tout au long de l’enquête, et ce lundi matin encore à la barre, les versions ne cessent de changer. Aux dix prévenus, la justice reproche une tentative d’importation d’ice en 2017, une séquestration et de violents affrontements en février 2018, dans la résidence Royal Palms de Punaauia. Un coup de Colt 45 est même tiré. Tous semblent craindre la tête de réseau présumée : Tamatoa T. dit « Siki », y compris son ancien homme de confiance qui a été incarcéré quatre ans aux Etats-Unis.

Le va’a comme couverture

La bande gravite autour du club de va’a Tautua : les uns rament, les autres entraînent, un autre répare, Tamatoa dit « Siki » préside le club, mais pas seulement…

Trois des prévenus appartenant à ce club, dont « Siki », partent aux Etats-Unis en 2017, suivre la course de la Catalina Race, mais aussi tenter de ramener 700 grammes d’ice. « C’était juste pour moi, pour faire la fête, » assure celui qui est désigné comme le bras droit de « Siki » et qui a transporté la drogue avant d’être interpellé à l’aéroport de Los Angeles et incarcéré au pays de l’oncle Sam. Pas question de mouiller le principal mis en cause, malgré les nombreux témoignages et écoutes téléphoniques.

Ce lundi, tout le monde change de version. « J’ai menti, c’était des bobards, » assure Steven T., préposé à la réparation des pirogues et à la surveillance du quartier, « contre un peu de paka et de nourriture ». « J’avais quelques problèmes psychologiques à ce moment-là. Le juge d’instruction et les gendarmes m’ont mis la pression, » tente de convaincre le demi-frère de « Siki », accusé d’avoir recruté quinze hommes pour en découdre, puis d’avoir foncé sur la foule avec sa voiture.

Séquestration et règlement de comptes

Car si les prévenus semblent bien implantés dans le trafic, armés et protégés par des hommes de main, c’est une histoire de cœur qui fait démarrer l’affaire.

Cette nuit de février 2018, une expédition punitive est organisée à la résidence Royal Palms de Punaauia, au domicile d’un trafiquant condamné à cinq ans de prison dans l’affaire Sarah Nui et qui était seulement témoin assisté dans cette affaire, avant que les charges ne soient abandonnées contre lui : Nikkis C.

« C’est bien insonorisé chez toi ? » lui aurait demandé « Siki ». Car c’est à son domicile du Royal Palms que Matahi, un homme d’une bande rivale, se réfugie d’abord, avant d’y être séquestré et passé à tabac pendant presque toute une nuit, accusé par « Siki » d’avoir eu une relation avec sa compagne. Matahi est attaché, frappé à coups de pied et de poings, une arme serait pointée sur sa tempe, sommé de s’agenouiller pour s’excuser, menacé d’être « laissé dans une cage dans la montagne ».

La compagne de « Siki » serait arrivée vers 3 heures du matin, alertée par Nikkis C., et les coups auraient cessé. Matahi aurait été libéré vers 5 heures. La bande de « Siki » part, puis revient pour un autre règlement de comptes. « Une trentaine », « une cinquantaine » — on ne sait pas trop — d’hommes se battent. « Une trentaine de personnes encerclaient mon frère, par instinct fraternel, je l’ai défendu, » avait déclaré le demi-frère de « Siki » au juge d’instruction, avant de se rétracter et de plaider les « problèmes psychologiques ». « Siki » tire un coup de Colt 45 pour calmer tout le monde, avant que les gendarmes n’interviennent et ne démantèlent le réseau.

Car rapidement, « Siki » est arrêté et des perquisitions sont menées chez sa compagne où les enquêteurs retrouvent des pieds de paka, de l’ice, des feuilles de paka dans le congélateur et le réfrigérateur, de la MDMA, « on consommait ensemble » explique à la barre celle qui avait déjà été licenciée d’Air Tahiti Nui en 2010 pour consommation d’ice. Dans la voiture de « Siki » stationnée chez elle : 48 grammes d’ice et plus de 4 millions de francs pacifiques en espèces sont retrouvés. « J’ai été étonnée, comme tout le monde, » assure à la barre celle qui a retrouvé un emploi de cheffe de salle dans un bar à la mode de Papeete. 

Rapidement, « Siki » lui aurait transmis le message de demander à Heimana P., absent à l’audience, de s’accuser à sa place. Elle ne le connaît pas. Nikkis et Hoanui, un ancien candidat à Mister Tahiti également absent à l’audience, l’auraient alors aidée à le trouver. « Ces mecs-là sont capables de porter le chapeau pour protéger le boss. Heimana P. est un toutou qui vend tout, » avait déclaré un des prévenus pendant l’enquête, avant de se rétracter aujourd’hui. Heimana P. se présente alors à la gendarmerie de Faa’a, assure que la drogue et l’argent lui appartiennent, mais il ne donne aucune explication plausible aux enquêteurs. La compagne de « Siki » est poursuivie pour subornation de témoin. « Je n’ai jamais demandé d’aller se dénoncer, j’ai juste fait passer le message de Tamatoa, » se défend-elle à la barre. « Je le laissais faire, car j’étais amoureuse. »

Démêler le vrai du faux

Les 700 grammes d’ice achetés aux Etats-Unis ? « Ce n’est pas à moi » assure « Siki » à la barre. Les gens qui le désignent comme la tête du réseau ? « Je ne les connais pas. C’est un complot contre moi. »

Pourtant, de nombreux témoignages évoquent la violence de « Siki », « un psychopathe sans cœur ». « Si ‘Siki’ entend au tribunal que je l’ai balancé, je suis foutu. Je vais devoir me cacher. Il est un peu partout. Même à Tatutu, on me menace aussi, » avait assuré le réparateur de pirogues au juge d’instruction, avant d’assurer à la barre aujourd’hui : « j’ai menti. »

« Il a tiré sur un gars à bout portant » [avec un fusil à air comprimé, ndlr]. Mais aujourd’hui, ce petit revendeur de paka assure à la barre que le coup est parti « accidentellement », lorsque « Siki » a « posé l’arme au sol ».
 
Un seul prévenu choisit la transparence à la barre ce lundi. Ses déclarations ne varient pas. Condamné sept fois pour trafic, escroquerie, violences et vols avec violences, il ne craint ni la prison, ni les éventuelles représailles. « ‘Siki’ dit toujours que si on le trahit, il nous met une balle dans la tête. Partout où il va, il a un revolver sur lui. Il a déjà raconté qu’il avait attaché un gars derrière sa voiture et qu’il l’avait traîné […] Mais aujourd’hui, je suis prêt à affronter ‘Siki’, je n’ai pas peur de lui. » Et pour cause, s’il comparaît libre, son frère, lui, est en détention avec « Siki » et l’aurait déjà « croché ».

« Il y avait déjà un climat de peur au stade de l'instruction, qui se confirme aujourd'hui avec effectivement pas mal de prévenus qui reviennent sur ce qu'ils ont pu dire dans le cadre de l'instruction préparatoire du dossier. Moi, mon client a toujours été transparent et maintient sa version sans revirements aujourd'hui donc c'est tout à mettre à son crédit, » commente Me Loris Peytavit ce lundi.

« Aujourd’hui, les violences sont encore plus graves, assure son client multirécidiviste à la barre. Les gens sont devenus puissants grâce à l’ice. » « Même les gens qui sont en prison ? » interroge le procureur, Yann Hausner. « Peut-être… »

La plupart des prévenus sont en récidive légale. Le procureur a requis entre un an dont six mois avec sursis et huit ans de prison ferme. La décision est attendue mardi 7 mai.