Les « rebuts » de perles ont-ils été détruits illégalement par le Pays ? C'est le motif du recours déposé par les 15 producteurs et négociants en perle de culture de Tahiti. Ils demandent à être indemnisés du préjudice subi, du fait de la destruction de perles leur appartenant. Le rapporteur public se range derrière l'avocat des 15 sociétés, en décrivant une violation du droit de propriété : « seule une loi pouvant porter atteinte au droit de propriété aurait pu justifier cette destruction. »
Flou administratif
Or, le Pays s'est contenté de la délibération du 4 février 2005, portant définition des produits tirés de l'activité de la perliculture en Polynésie française et fixation des règles relatives à la classification, au transport, à la commercialisation et aux formalités d'exportation de la perle de culture de Tahiti pour procéder à la destruction de 371 397 « perles de rebut », le 10 mars 2017.
Cédric Ponsonnet, actuel directeur des ressources marines se défend en admettant que : « c'est un problème de normes. Cela aurait dû être une loi de Pays et non pas une délibération (...). L'administration n'a pas d'autres solutions que la mettre en œuvre. »
Mais la destruction de ces perles reste frappée d'illégalités, estime l'avocat des 15 sociétés. Selon lui, les rebuts auraient dû être broyés, et non immergés entre Tahiti et Moorea.
La notion de « rebut » a également posé problème, entre le Pays qui souhaitait rehausser la qualité et la valeur marchande des perles, et les perliculteurs qui estimaient leurs rebuts largement commercialisables. Cette qualification de « perle de rebut », posée par la délibération du 4 février 2005 précitée, concerne, aux termes de l’article 2.4, « la perle de culture présentant soit des dépôts de calcite, soit des dépôts organiques, ou les deux à la fois, sur plus de 20 % de sa surface ; la perle de culture présentant des zones dévitalisées visibles sur plus de 20 % de sa surface ; la perle n’ayant pas l’épaisseur réglementaire ; (…) » (à savoir 0,8 millimètres entre le nucleus et la surface externe de la perle). Cette qualification disparait de la législation quatre mois après la destruction des perles le 10 mars 2017, avec l’entrée en vigueur de la loi du pays n° 2017-16 du 18 juillet 2017 qui a supprimé la notion de rebut. Depuis, l’administration n'est plus en droit de retenir et de détruire des perles présentées à son contrôle.
Contexte politique tendu
Il faut rappeler qu'entre 2005 et 2017, la Polynésie française était plongée dans l'instabilité politique. Elle comptait alors 13 gouvernements et autant de ministres de la perliculture.
Si les magistrats du tribunal administratif de Papeete suivent les conclusions du rapporteur public, le Pays risque d'être condamné à indemniser 126 000 000 de francs pacifique en faveur de 9 sociétés sur 15 (les 6 autres dossiers ayant été rejetés pour « irrecevabilité - préjudice déjà indemnisé »), sur la base de 250 Fcfp le gramme de perle, fixé par la cour d'appel administrative. L'avocat des perliculteurs requérait plus de 400 000 000 Fcfp, sur la base de 575 Fcfp le gramme, selon l’indice de prix de l’Institut de la Statistique de la Polynésie française (ISPF) au titre de l’année 2017.
« Ce qui nous fait plaisir, c'est qu'on avait raison, ils n'avaient pas à détruire [nos perles]. C'est normal que l'on se fasse rembourser. On ne pensait pas gagner... », déclare Francky Tehaamatai, de la société Fakarava Pearls. Le préjudice subi par les perliculteurs sera peut-être enfin réparé, lors du délibéré le 7 juin prochain.
Quoi qu'il en soit, la facture finale revient finalement aux contribuables à cause d'une réglementation mal ficelée par le Pays et qui concerne surtout le secteur privé.
La destruction illégale de perle de rebut est un dossier connu de la juridiction administrative. Elle avait déjà condamné le Pays à indemniser deux professionnels du secteur perlicole en 2019 et 2021.