Dans une question orale, Éliane Tevahitua, la représentante Tavini à l'assemblée de Polynésie, dénonce un "phénomène migratoire métropolitain" qui menace "l'accès de nos enfants au marché de l'emploi." Lors de la troisième séance de la session administrative à l'Assemblée, le 12 mai dernier, elle s'adresse à la ministre du Travail, Virginie Bruant, en ces termes :
"Les Polynésiens sont chaque jour les témoins impuissants d'un phénomène migratoire dont l'ampleur ne cesse de croître. Ce phénomène face auquel notre population nourrit les plus vives inquiétudes porte un nom : immigration. (...) Face à ce constat les Polynésiens s'interrogent légitimement sur l'accès de leurs enfants au marché de l'emploi."
Racisme ?
La représentante Tavini n'hésite pas à recourir à des mots forts - tels que "immigration" - dans son argumentaire. À cela, Virginie Bruant rétorque en rappelant le statut du territoire :
"c'est un amalgame, des Français de métropole qui viennent en Polynésie ce n'est pas de l'immigration. Comme un Polynésien qui va en Métropole ce n'est pas un immigré. La Polynésie est un territoire Français, un territoire de la République."
Pour la ministre, les propos d'Eliane Tevahitua sur l' "immigration" n'ont pas leur place à l'Assemblée. "C'est du racisme", confie-t-elle.
Interpréter les chiffres
Eliane Tevahitua étaye son propos en utilisant les chiffres de l’institut de la statistique. Elle estime à 20 000 le nombre de nouveaux expatriés métropolitains en 10 ans :
"les données issues du recensement de 2017 confirment cette tendance migratoire haussière. Entre 2012 et 2017 indique l'Institut de la Statistique 12 000 personnes sont arrivées dans notre pays dont 10 000 habitaient auparavant en France métropolitaine. Cette tendance qui devrait être confirmée par les résultats du recensement de 2022, porterait à 20 000 le nombre de nouveaux expatriés en 10 ans, soit 2 000 nouveaux arrivants métropolitains par an."
La représentante omet toutefois de compter les départs de Tahiti, avec notamment le remplacement des fonctionnaires. Le solde migratoire s’avère en réalité négatif selon Nicolas Prud'homme, directeur de l'ISPF, qui précise :
"en Polynésie on a plus de personnes qui partent que de personnes qui arrivent, c'est moins 1 700 personnes par an entre 2012 et 2017."
En attendant que les chiffres du recensement 2022 confirment ou infirment cette tendance, Eliane Tevahitua balaie les accusations de racisme et prône la protection de l’emploi local en évoquant les étudiants polynésiens :
"l'emploi doit être réservé à nos enfants parce-que c'est comme cela que l'on va résoudre les problèmes de précarité au niveau des familles. Je pense aussi aux Polynésiens qui ont fait leurs études en métropole, de savoir qu'il n'y a rien qui les attend au Pays (...), ça fait mal au cœur."
La représentante indépendantiste s'interroge également sur l'avancée de la loi de Pays promulguée le 5 novembre 2019, retardée par le covid, pour la promotion et la protection de l'emploi local.
La ministre du Travail lui répond en assurant que cette loi est un objectif prioritaire. Elle devrait entrer en vigueur d'ici la fin de l'année mais avant cela, une série d’arrêtés doivent être pris en Conseil des ministres.
Le reportage de Cybèle Plichart et Patrick Tsing Tsing :