Soirée spéciale Timbuktu : la beauté pour combattre la violence

Abderrahmane Sissako (à gauche) sur la scène du Grand Théâtre pour présenter son film Timbuktu.
La soirée spéciale Abderrahmane Sissako a fait salle comble lundi 1er février. La projection de Timbuktu, film multi-récompensé, a attiré en nombre le public polynésien qui a du se partager entre deux salles, le grand théâtre et le petit théâtre.
Au milieu de la scène du grand théâtre, l’homme cherche ses mots. Entouré du ministre de la culture polynésien et du président de l’AFIFO, Abderrahmane Sissako est ému. « Je suis très touché par l’humanité des peuples polynésiens que je rencontre pour la première fois. J’y ai trouvé une très grande gentillesse et profondeur. Je crois que les mots ne sont pas assez fort pour exprimer ce que je ressens ». Le réalisateur mauritanien n’en dira pas beaucoup plus au public, préférant laisser place à la projection de son film, récompensé sept fois aux Césars.
 
Montrer l’horreur par la beauté
 
« Super plan, super cadrage ! ». Dès les premières minutes du film, certains spectateurs s’émerveillent de la qualité et la beauté du film. Mais, ce qui touchera le plus, restera l’histoire de Timbuktu… Avec force, poésie et humour, Abderrahmane montre l’horreur, il montre l’occupation islamiste dans la ville de Tombouctou, située au nord du Mali. Interdiction de jouer au football, de fumer la cigarette, de jouer de la musique, mais aussi mariages forcés, persécutions, lapidations, injustices…  L’arrivée des islamistes à Tombouctou a radicalement changé la vie de ses habitants. Mais malgré la férocité de la répression, les habitants résistent avec courage. « J’ai beaucoup aimé le rythme du film, nous ne sommes pas dans la surenchère de l’action, dans le spectaculaire. Le réalisateur nous laisse le temps de rentrer dans le film », confie François 31 ans. Abderrahmane Sissako l’expliquera d’ailleurs lors d’une discussion avec le public, après la projection qui s’est terminée sous un tonnerre d’applaudissements. « J’ai utilisé le langage du cinéma d’auteur pour parler de la violence. Je ne passe pas par le spectacle car cela la banalise. J’ai utilisé la beauté pour parler de la violence, car nous devons riposter face à la barbarie avec des valeurs qu’on ne peut pas tuer ! ».
 
Le courage des victimes des terroristes
 
D’abord timide, le spectateur du Grand Théâtre finit par se libérer et prendre la parole. « Vous avez filmé une partie du film en Mauritanie, à partir de quel moment avez-vous senti l’atmosphère changer dans la région du Sahel ? », interroge un vieil homme qui se lève de son strapontin. La réponse du réalisateur est spontanée. « Il faut simplifier mon travail. Je ne suis pas un spécialiste de la question, je voulais juste montrer la vie sous l’occupation ». Et d’ajouter, un peu plus tard, en répondant à une autre spectatrice : « On ne fait pas un film pour l’expliquer. Il appartient à ceux qui le regarde, je laisse donc libre les interprétions de chacun ». Tour à tour, le réalisateur répondra à chacune des interrogations, des curiosités : il sera question des six langues parlées dans le film mais aussi de ce personnage extravagant qui échappe aux répressions des islamistes, ou de la barbarie des terroristes. Il sera également question des terribles attentats qui ont touché Paris, le 13 novembre dernier. « Comme dans mon film, les gens ont été très courageux », confie ému le réalisateur remerciant avec humour la présence des Polynésiens connus pour, selon lui, se coucher tôt. « Je suis honoré que vous soyez restés ! ».
 
Une réalité à montrer  
 
A la sortie de la soirée, les discussions vont bon train devant la salle du Grand Théâtre. Le film semble avoir plu, le film semble aussi faire parler. « Quelle chance on a de pouvoir encore danser le ori tahiti ! », s’exclame une Polynésienne à son amie. Suzie et Caroline sont heureuses de vivre dans un pays libre. « Ce film nous le rappelle ! Il est important que ce genre de film soit diffusé car il montre une réalité. Nos enfants doivent le voir. Nous devons savoir que cela existe et, ainsi, se rendre compte de notre chance ». Un peu plus loin, à l’ombre du couloir, une bande d’amis discute. Tous les trois ont apprécié la beauté du film, son esthétisme. Mais pas seulement… « On vit dans un monde dans lequel nous sommes toujours au courant de tout, mais finalement rien ne nous touche. Car, la minute d’après nous avons déjà zappé sur autre chose. Ce film permet de te poser dans la réalité. Et, c’est efficace ! Il nous laisse un peu sans voix », confie Aymeric. Le trentenaire a beaucoup été touché par le film, par son histoire. Comme tous les spectateurs, finalement.