Dans la maison de ses parents, à Nouméa, Céline Filitika enclenche un enregistrement audio. Un brouhaha de jour de marché s'élève dans le salon. Des rires, des bribes de conversation dans une langue étrangère, une petite voix d'enfant. " On entend ma fille, lors de notre dernier voyage familial, c'est justement pour elle que je trouve important de savoir qui je suis, parce qu’en tant que parents, nous avons le devoir de transmission. " La quête identitaire de Céline Filitika a commencé plus jeune, mais elle se cristallise avec l’arrivée de ses deux filles dans sa vie. Il faut dire que le métissage de cette jeune chirurgienne-dentiste, fruit de la rencontre entre la Polynésie et la Grèce, est original en Nouvelle-Calédonie. " Le nombre de Grecs sur le Caillou doit se compter sur les doigts d’une main ! " sourit la jeune femme. Née en France, arrivée à deux ans en Nouvelle-Calédonie, avec une enfance passée entre Tiéta, Avignon et Nouméa et avec des traits physiques du sud de l’Europe, la jeune médecin déroute. À 35 ans, ses questions identitaires persistent.
Des origines multiples
" à l’Européenne ", sans apprendre les langues de leurs parents. " Je pense qu’ils voulaient parler le meilleur français possible pour que nous ayons des bonnes notes à l’école. " La famille se déplace au grès des formations et des études paternelles, de Voh à Avignon, puis à Nouméa. Et tous les trois ans, c’est un voyage en Grèce auprès de la famille maternelle.
Sa mère naît à Thessalonique, en Grèce, deuxième plus grande ville du pays après Athènes. À 20 ans, elle part étudier le français dans la région de Lyon, en Métropole. Durant les vendanges, elle rencontre l'homme avec qui elle fondera une famille. Lui est de père futunien et de mère wallisienne, mais il est né au Vanuatu et a grandi en Nouvelle-Calédonie. Céline Filitika, elle, naît à Lyon. Puis ses parents décident de s’installer en Nouvelle-Calédonie deux ans plus tard. C’est la première fois que la maman de Céline découvre le Caillou. Aujourd'hui encore, la maison parentale est décorée d’objets méditerranéens et océaniens. Mais Céline Filitika et ses frères et sœurs viventUne culture entre l’Orient et l’Occident
" Je me suis dit qu’il fallait que je progresse en grec, car à la fin de mes études, je voulais m’installer là-bas. Malheureusement, le pays traversait alors une crise, donc je suis finalement revenue en 2018 en Nouvelle-Calédonie. " En même temps, Céline Filitika le dit et le répète : " Je suis également Calédonienne et Polynésienne. Et lorsque j’étais enfant, je savais que j’étais Calédonienne, car j'ai grandi ici, je ne pouvais pas être autre chose. " Mais en revenant en 2018, au cœur " des votes et des disputes de politiques ", elle sent un rejet. " Les gens regardent mon nom, me regardent, me demandent si c’est mon mari qui est Futunien. " Elle réalise qu’elle est " blanche ", elle qui se pensait, enfant, " noire ". Plus encore, elle découvre " que je véhicule l’image d’une étrangère. " Cette prise de conscience est douloureuse. " J’ai voulu légitimer mon identité, être plus représentative de mon ethnie polynésienne. " Finalement le voyage à Wallis-et-Futuna ne se fera pas, crise Covid oblige.
Le baccalauréat en poche, Céline Filitika suit sa première année de médecine sur le Caillou, avant de partir étudier durant neuf ans à Paris. Pendant ses études, lors de son deuxième voyage seule chez sa grand-mère à Thessalonique, elle décide de s’immerger dans cette culture.La mer, le monde et le voyage
" hypnotique, comme un trait d’union ". Céline Filitika est aussi revenue de son dernier voyage à Thessalonique chargée de livres pour enfants en grec. Pour assurer une transmission, apprendre cette langue à ses filles et ne pas couper le lien entre ces peuples insulaires. Dans un coin de la tête de Céline Filitika, il y reste également toujours la question du voyage, et cette idée de s’installer pour ses vieux jours sur l’île maternelle. Sans exclure un éternel retour sur ce Caillou " que j'aime tant, qui a accueilli mon père et qui me fait vibrer grâce à ses cultures et à son ouverture sur le monde ".
Toujours à la recherche de ses racines, la jeune femme tisse un lien entre toutes ses histoires, grâce à la mer. De la Nouvelle-Calédonie à la Grèce, en passant par Wallis-et-Futuna ou le Vanuatu, la mer est là,