Par un samedi après-midi très calme, le 7 août 2004 à Koumac, Jean-Marc Truvan, la trentaine, enfourche son scooter. Il n'a pas bu, porte un casque et détient permis et assurance. Il démarre avant d'être, quelques mètres plus loin, violemment percuté par un véhicule. Le conducteur de la voiture est ivre, a consommé du cannabis, n’a ni permis ni assurance et roule sur la mauvaise voie de circulation après avoir grillé un feu rouge. Jean-Marc Truvan fait un vol plané, sa tête laisse un gros trou dans le pare-brise. Pris en charge au centre hospitalier de Koné, le médecin de garde estime qu’il faut l’amputer sous le genou. Un autre médecin refuse et le fait évasaner à Nouméa. Au bout d’une semaine de coma artificiel (les médecins estimant qu'il ne serait pas en mesure de supporter la douleur), Jean-Marc Truvan est réanimé par l’équipe médicale. " En ouvrant les yeux, la première chose que je dis, c’est : où est-ce que je suis ? Et quand est-ce que je rentre chez moi ? Ce qui a bien fait rire le médecin. S'en est suivi un mois d’hospitalisation, cinq ou six opérations, 18 mois en fauteuil roulant et, deux ans et demi d'arrêt de travail ", liste Jean-Marc Truvan, 50 ans cette année et qui souffre toujours de douleurs. "J'étais encore, il y a quelques jours, à l’unité anti-douleur du Médipôle pour un énième traitement afin de tenter de réduire ces douleurs qui persistent." Pour lutter contre ce traumatisme, Jean-Marc Truvan, homme sportif de nature, devient hyperactif, soutenu par sa famille.
Se dépasser
La famille Truvan arrive du Vietnam en Nouvelle-Calédonie lors du boom du Nickel. Jean-Marc fait partie de la deuxième génération à naître sur le Caillou. Il grandit à Païta, puis à Nouméa et rêve d’être pilote de chasse. Sa mauvaise vue lui fait prendre une autre voie. Il décide alors d'enseigner. "C’est quelque chose que nos parents nous ont inculqué, prendre soin des autres, partager, donner, ça me semblait tellement évident l’enseignement." Quand sa femme attend leur premier enfant, Jean-Marc Truvan écourte ses études, qu'il imaginait poursuivre jusqu'à un CAPES en anglais, et passe le concours de l’école normale (aujourd'hui l'IFM-NC). "Il y avait 120 places, j’ai fini quatrième, ma carrière d’enseignant a démarré comme ça !" Sa formation complétée, la famille déménage à Koumac, première affectation du jeune instituteur. Il y restera près de 20 ans. Même après ce jour de 2004, où sa vie bascule. "Au début, je me souviens, il y a eu des phases de colère, de dégoût, et beaucoup de frustration. Ce qui me faisait le plus mal, c’était par rapport à mes enfants." Lorsqu’il parle de la personne qui l’a percuté, il est calme. "J’ai pitié de ce monsieur car s’il consommait autant, c’est que dans sa vie, ça ne devait pas être joyeux, et aujourd’hui, sa vie est fichue car il va falloir qu’il rembourse pendant très longtemps." Après de longs mois de rééducation, Jean-Marc Truvan reprend peu à peu des activités, et décide de devenir sapeur-pompier volontaire. Un défi. Mais aussi un hommage à l’équipe de secours qui lui a sauvé la vie. "Cet accident m’a donné la force de me dépasser, de faire mieux, de bien me comporter. De manière naturelle et généreuse, j'ai voulu devenir volontaire pour aider mon prochain."
Jeunes agents de la sécurité routière
Dès qu'il a pu, Jean-Marc Truvan a aussi repris son métier d’enseignant. Très vite, pour pallier l'absence d'un collègue, il se retrouve en charge d'une Clis, une classe d’inclusion scolaire, auprès d’enfants en situation de handicap. À quarante ans passés, il reprend alors des études et obtient un certificat d’aptitude à la prise en charge des enfants en situation de handicap. "Les difficultés sont décuplées, mais quand tu arrives à faire avancer ces enfants ne serait-ce que d’un millimètre, la joie est multipliée par dix. Le peu que tu leur apportes, ils te le rendent mille fois, ce n'est que du bonheur." Pourtant, à ce moment-là de sa vie, la séparation avec sa femme le plonge dans un profond désarroi. "J’ai estimé qu’il était temps de changer radicalement de vie pour essayer de remonter la pente et de me sentir mieux. Par rapport à mon parcours d'enseignant, de pompiers et d’accidenté, le directeur de la DEFIJ de l’époque m'a proposé de devenir référent sécurité routière en province Nord." Aujourd’hui, il est détaché à la direction de l’enseignement à la province Nord, à Koné, en tant que chargé de l’éducation à la sécurité routière auprès des enfants de la petite section de maternelle jusqu’au CM2. Il intervient également auprès de collégiens, de lycéens et de jeunes du RSMA, qui s’engagent souvent pour passer leur permis. Devant les classes, Jean-Marc Truvan n'hésite pas à "missionner" ses élèves. Il leur demande d’interpeller leurs proches sur les bons gestes à avoir au volant. "Mais les jeunes que je sensibilise ne sont pas encore conducteurs, loin de là. Il va falloir attendre avant de voir, peut-être, les chiffres s’améliorer. Mais il ne faut pas baisser les bras. Je compte beaucoup sur l’impact des enfants sur leur entourage pour m’aider dans ma tâche et gagner cette bataille." Aujourd'hui, malgré les chiffres toujours aussi alarmants des accidents de la route en Nouvelle-Calédonie, Jean-Marc Truvan, reste résolument positif. "La douleur, c’est un état d’esprit. Il faut détourner son attention sur autre chose. J’étais pas mal actif avant l’accident, après, je suis devenu hyperactif. Il faut que tout le monde prenne bien conscience de ça : la vie ne tient à rien, et il ne faut pas la gâcher dans des bêtises."