PORTRAIT. Découvrez le destin peu commun de Manuel Cormier, qui fait passer le bagne de l’ombre à la lumière

Manuel Cormier, ancien professeur et spécialiste du bagne calédonien interrogé pour l'émission Destins peu communs
De Fort Teremba au Camp Brun en passant par la Maison du commandant du pénitencier de La Foa, le destin de Manuel Cormier est intimement lié au patrimoine de la région qui a accueilli le Nouméen à son retour d’études au début des années 1980. Découvrez son portrait dans Destins peu communs.

En retrait de la RT1, peu après le village de Boulouparis, se trouve la nouvelle marotte de Manuel Cormier. L’ancien professeur d’histoire, que tout le monde appelle "Manu", propose depuis quelques mois avec l’association Marguerite, dont il est le co-fondateur, des visites du Camp Brun, pénitencier disciplinaire si sinistre qu’il était surnommé "l’abattoir". Autre projet dans ses cartons, la restauration de la Maison du commandant à La Foa, et sa transformation à terme en maison du patrimoine.

 

La passion de l’histoire anime le sexagénaire depuis l’enfance, "ma matière préférée" dit-il, au point de vouloir en faire son métier. Nous sommes dans les années 1970, l’histoire de la colonisation pénale commence à peine à émerger mais les ressources documentaires sont faibles, et surtout on fait comprendre au futur étudiant en partance pour la Métropole, qu’il "valait mieux choisir un autre sujet d’étude".

 

Le bagne, une histoire familiale

Pourtant, le bagne n’a jamais été passé sous silence dans la famille de Manuel Cormier. "Mais il faut dire que je suis descendant de déportés des deux côtés de ma famille, c’est-à-dire de détenus politiques et non pas de transportés, les prisonniers de droit commun, un sujet beaucoup plus tabou", estime-t-il.

 

De retour sur le Caillou, diplôme en poche, au début des années 1980, Manuel Cormier est affecté à La Foa, qu’il ne quittera plus. "À cette époque, commence à émerger la revendication culturelle Kanak avec Melanesia 2000 par exemple, mais l’histoire des Calédoniens blancs était caricaturée par une certaine presse à cette époque des événements. On nous présentait comme des descendants de colons libres, régnant sur de grandes propriétés, ce qui est quand même très loin de la réalité."

 

Dans le même temps, le jeune professeur découvre à quel point les jeunes Calédoniens sont ignorants de leur propre histoire. "On en était encore à enseigner nos ancêtres les Gaulois !", se souvient Manuel Cormier. Avec d’autres enseignants on a commencé à travailler sur un document pédagogique pour enfin aborder l’histoire locale.

 De la nécessité d'enseigner l'histoire locale 

Construire une histoire calédonienne commune et la transmettre aux plus jeunes deviendra la raison d’être de Manuel Cormier qui y consacrera sa vie.

En plein milieu des événements, avec l’association Marguerite, il lance le premier son et lumière de Teremba. "Les anciens que l’on sollicitait étaient des enfants de bagnards, ils ne comprenaient pas toujours pourquoi on voulait remuer tout ça. En fait, ils étaient dans le droit à l’oubli, quand nous on était déjà dans le devoir de mémoire."

 

Le spectacle rencontre un vif succès et, parallèlement, la réhabilitation du Fort permet d’organiser des expositions permanentes puis, à partir des années 1990, d’accueillir des classes Patrimoine.

 

Infatigable, Manuel Cormier travaille actuellement à la réhabilitation de la maison du commandant du pénitencier de La Foa. Clin d’oeil du destin, celle-ci est située "dans l’enceinte du collège Saint-Dominique-Savio, où j’ai fait toute ma carrière. Ça faisait longtemps que je lorgnais dessus, j’avais même tenté de la sauvegarder dans le cadre d’une classe Patrimoine mais à l’époque ça ne s’était pas fait. Mais je n’ai rien lâché et c’est chose faite aujourd’hui", sourit-il.

 

De cette vie consacrée à la transmission et à l’histoire du bagne, Manuel Cormier a tiré deux leçons : celle d’une histoire qui est en fait celle de toutes les communautés calédoniennes, "y compris Kanak. Il y avait des liens de collaboration, puis d’opposition avec les grandes révoltes. Puis enfin, le métissage, de toute cela on commence à parler aujourd’hui alors que pendant longtemps on a séparé l’histoire du bagne de celle des Mélanésiens."

Et celle d’un attachement viscéral à la terre qui transcende, dès que l’on franchit le Grand Nouméa, toutes les communautés. "Il y a la terre matrice et nourricière des Kanak, et pour les transportés qui après leur peine étaient condamnés à l’exil en Nouvelle-Calédonie, le lopin – qui ne leur appartenait pas tout de suite – c’était le seul moyen d’envisager, pour soi et ses descendants, un avenir meilleur, alors on s’y accroche !"

 

Une histoire singulière, propre à la Nouvelle-Calédonie, seul territoire ultramarin de colonisation pénitentiaire. Une particularité que Manuel Cormier aimerait maintenant voire reconnaître, pourquoi pas à travers le classement du bagne calédonien au patrimoine mondial de l’Unesco.

Écoutez cet épisode : 

Découvrez tous les épisodes de Destins peu Communs, l'émission qui part à la rencontre de nos identités (diffusion en radio le dimanche à 12h20).