Dans sa tribu de Néami, dans la chaîne, à 30 minutes de Koné, Rosiane Goromara, surnommée Rosy, alors âgée de six ans, saute dans tous les sens. Elle vient d’apercevoir l’avion des garde-côtes. Elle grimpe dans les arbres et se réjouit à chaque passage de l’ATR qui vole jusqu’à Touho. La petite fille d'alors aime l’idée de voir le monde d’en haut. Elle ne sait pas encore que cette idée deviendra bientôt un rêve, qu’elle concrétisera des années plus tard à force de volonté et de persévérance. Rosiane Goromara est, aujourd'hui, la première femme kanak pilote d’ULM. Un fait qu'elle découvre au moment de l'obtention de son brevet, il y a six ans. " Quand un instructeur me confirme cette nouvelle, je me dis : dorénavant, je deviens un exemple, dorénavant, j’ai allumé un flambeau, et ce flambeau, tu vas le tenir et le passer à tes petites sœurs et petits frères ", se souvient la jeune femme de 33 ans. Avant d’en arriver là, Rosy a grandi comme une petite fille de la chaîne, obligée d'aller étudier loin de chez elle. En CE2, elle doit ainsi aller à l’internat à Koné puis elle suit un cursus de secrétariat au lycée professionnel de Touho. " Devenir pilote me paraissait alors impossible. " Elle devient secrétaire assistante dentaire, sans oublier son envie de s'envoler. " Grâce à ce travail, mon rêve de devenir pilote a pu devenir réalité. Car j'ai ainsi pu économiser, beaucoup, j'ai fait des sacrifices aussi. " Lorsqu’elle découvre qu’à cinq minutes de chez elle existe une école de pilotage d’avions ultra légers motorisés, le rêve reprend corps. " Quand je rentre dans le monde de l’aéronautique, je découvre que la formation de pilote n’est pas facile et que c’est extrêmement cher. Quand je vois le prix du devis, je me dis, non, je ne peux pas. " Mais Rosy peut. En tout cas, elle s'en donne les moyens. Elle quitte son travail, vend sa voiture et finance ses cours.
Volonté et discrétion
" Quand j’ai commencé ma formation, j’étais focalisée sur les instruments, tout le temps ! Je ne regardais ni à gauche, ni à droite, je ne regardais que devant moi. Même mon instructeur me disait de me décontracter un peu, de profiter de la vue. Je rentrais à la maison, j’avais des crampes dans la nuque d’avoir été trop concentrée ! " La jeune femme étudie avec assiduité et travaille beaucoup. " Le soir, je restais jusqu'à tard, de 19 heures à 22 heures, en salle de cours, et le matin, je commençais à 5 heures. Je faisais également trois heures de pratique par jour. " Soutenue par son compagnon et son fils, elle décroche son brevet de pilote d'ULM en 2017. Mais cette nouvelle vie, elle n’en parle à personne. " Chez nous les Kanak, on est très retirés, on n’exprime pas nos sentiments, c’est dans les gestes, dans les regards que l’on va voir ce que la personne veut te dire, mais elle n’osera pas te le dire directement. Je suis une personne comme ça. Je garde pour moi, et arrivera le jour où tout le monde découvrira mon quotidien, et s’il ne découvre pas, c’est pareil pour moi ! " Son instructeur la soutien aussi, et il comprend le fonctionnement de la jeune femme. " Je me souviens lorsqu'il m'a lâchée, en 2017. Le lâché, c’est quand après avoir fait ta navigation et tes tours de piste avec ton instructeur, celui-ci t'annonce, un beau jour, que tu pars toute seule. Il ne m’a pas laissé réfléchir, il me connaît ! Il est resté au sol avec la radio. J’avais une charge en moins dans l'avion, donc l’atterrissage n'a pas été le même. Le premier atterrissage a été un peu difficile, puis j'ai super bien géré. J’étais très fière. Après tous ces sacrifices, j’ai abouti à quelque chose, j’ai atteint mon objectif. "
Lorsqu’elle monte dans le cockpit pour la première fois, ce sont les aiguilles, les chiffres et toute la technicité de l'appareil qui l’impressionnent.Toujours plus haut
" Chaque vol est unique ", souligne la pilote, qui s'autorise aujourd'hui à profiter un peu plus de la beauté du paysage. En tant qu’enfant du pays, elle aime également partager son vécu avec ses passagers. " Un jour, j’avais à bord un monsieur de 80 ans, et il m'a dit que c'était l’une des plus belles choses qu'il avait vue dans sa vie. Ça m’a fait quelque chose, j’étais émue. Et là, je me suis rendu compte que la Nouvelle-Calédonie est vraiment magnifique ! " Elle emmène parfois son fils, son compagnon ou des membres de sa famille pour un vol. " Mais chez nous, on ne monte pas naturellement dans quelque chose qui vole ! Nous, on n'est pas fait pour aller dans les airs, on est fait pour être sur terre, sur la mer. " Pourtant, Rosy Goromara continue bien de regarder vers les cieux. " Je projette de gravir les échelons un à un, de passer d’ULM à avion. La formation est extrêmement coûteuse, je veux donc me tourner vers la province Nord pour m’accompagner financièrement. Le premier échelon, c’était le brevet d’ULM. Le deuxième échelon, c’est la licence de pilote privé, puis je verrais par la suite. " Rosy profite de son parcours pour passer quelques messages : " rêver, c’est déjà une partie de la réalité, il faut briser les barrières, toi aussi, tu peux réussir, avec détermination et courage, il faut persévérer, avoir le caractère, le mental, quelque soit ton rêve. "
Depuis six ans, Rosy Goromara fait voler les touristes au-dessus du lagon, pour admirer, notamment, le cœur de Voh.