Alors que les services de réanimation de La Réunion sont soumis à une forte tension avec 90 lits occupés sur 100, dont cinquante par des patients Covid, des soignants issus de ces unités spécialisées ont accepté de sortir de leur réserve pour dénoncer des conditions de travail "hyper fatigantes" et pointer "le manque de moyens humains" qu'ils font pourtant remonter à leurs cadres.
Regardez le reportage de Réunion La 1ère :
"On est fatigués, lassés de tout ce travail, de cette ambiance Covid" illustre ainsi Blandine*, infirmière en réa. "On passe nos journées à courir, parfois on ne peut pas prendre de pause pour déjeuner, boire un coup ou même aller aux toilettes", illustre cette jeune femme en poste sous un régime de contractuel. La Réunion compte actuellement près de 120 infirmiers de réanimation pour une capacité de lits doublée. Ils étaient autour de 75 avant la crise Covid.
"On est en surcharge de travail de façon quotidienne, alors qu'on nous a supprimé des collègues qui étaient importants pour nous et nous soulageaient bien dans nos journées" se désole-t-elle. "La tension montre très rapidement. Les médecins sont très fatigués aussi et arrivent en hurlant dès 7h du matin. La moindre petite chose va prendre des ampleurs incroyables parce qu'on est tous sur les nerfs", décrit encore l'infirmière.
"L'année dernière, on avait eu de l'aide"
Une situation incomparable avec celle de la première vague importante subie à La Réunion dans les services de réa. "L'année dernière, on a eu la chance d'avoir de l'aide de la réserve sanitaire qui est venue et nous a énormément soulagé, même si on a dû les former", rappelle Blandine.
"Mais au lieu d'anticiper la vague suivante et pérenniser des postes", ajoute Eliott*, autre infirmier titulaire en réa, "on a dégagé des infirmiers à qui on demande de revenir maintenant mais qui ne veulent plus car ils ont trouvé une place ailleurs, avec plus de stabilité."
"Pressés comme des citrons"
C'est ce "manque de moyens humains" et cette "précarisation" que les soignants dénoncent, estimant être "pressés comme des citrons." "On en a marre d'être des variables d'ajustement d'une politique de santé publique qui s'effondre depuis quelques années" insiste Eliott, "lassé" par "les promesses non-tenues."
"Cela fait deux ans qu'on nous promet monts et merveilles. Mais on avance à l'aveuglette, il ne se passe rien, on ne tire par les leçons de ce qui s'est passé et on continue de fermer des lits en période de crise", se navre-t-il.
"Quand on dit à notre direction qu'il nous manque des moyens humains, on nous répond qu'il n'y a pas de budget. Mais par contre on nous propose de payer double les heures supplémentaires", reprend Blandine. "Alors qu'on fait déjà des journées épuisantes, et qu'on revient sur nos jours de repos."
Un "sentiment de maltraitance"
Arthur*, lui aussi infirmier contractuel, déplore ces conditions de travail "qui nous affectent professionnellement et personnellement." "On a l'impression de pas faire notre travail correctement, avec parfois même un sentiment de maltraitance pour les patients parce qu'on n'a pas le temps pour les prendre en charge."
Et l'infirmier de rappeler que leur service est confronté en permanence à "des situations graves, où l'on fait face à la mort, et c'est épuisant physiquement et psychologiquement."
"On voudrait des ouvertures de postes, arrêter de précariser les contractuels qui ont des contrats de 1 à 3 mois et sont très peu payés", poursuit-il. "On a un sentiment d'injustice, mais aussi de culpabilité de ne pas faire le travail correctement", abonde Blandine.
Situation "maîtrisée" pour la préfecture, qui annonce des renforts en réa
Mais leurs revendications leur semblent rester lettre morte, même lorsqu'elles sont relayées par les médecins qui partagent leurs préoccupations.
C'est dans ce contexte de tension que la préfecture, jugeant la situation "préoccupante mais maîtrisée au plan hospitalier", a annoncé ce vendredi 14 janvier que le système hospitalier allait "continuer à s'adapter pour anticiper d'éventuelles augmentations réanimation en armant 6 à 8 lits supplémentaires."
Par ailleurs, le préfet a précisé que l'ARS avait sollicité "un renfort national de médecins anesthésistes et d'infirmiers spécialisés en réanimation pour permettre une éventuelle nouvelle augmentation capacitaire." D'ici "une dizaine de jours", c'est donc "un potentiel de 113 lits de réanimation qui serait disponible", précise la préfecture.
De quoi calmer, peut-être, la colère des soignants.
*Les prénoms ont été modifiés