Le déboulonnage des statues divise aussi à La Réunion

Certaines associations et des militants considèrent que la statue de Mahé de Labourdonnais n'a plus sa place devant la préfecture. Une photo circule sur les réseaux sociaux. @tikreol.re
"La République n'effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n'oubliera aucune de ses œuvres. Elle ne déboulonnera pas de statue" avait assuré Emmanuel Macron dans son allocution, dimanche dernier. Le débat divise aussi à La Réunion.
Dimanche dernier, lors de sa quatrième allocution depuis le début de la crise sanitaire, le Président de la République a aussi dénoncé le "communautarisme" et la "réécriture haineuse ou fausse du passé".
 

"Je vous le dis très clairement, mes chers compatriotes, la République n'effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n'oubliera aucune de ses œuvres. Elle ne déboulonnera pas de statue", a-t-il affirmé. "Nous devons plutôt lucidement regarder ensemble toute notre histoire, toutes nos mémoires, notre rapport à l'Afrique en particulier pour bâtir un présent et un avenir possible d'une rive à l'autre de la Méditerranée, avec une volonté de vérité".

 


Un vieux débat qui resurgit

En France, le sort des statues à l'effigie d'esclavagistes n'est pas un débat récent. En Martinique, deux statues de Victor Schoelcher (à qui on reproche son colonialisme) avaient déjà été détruites le 22 mai dernier, jour de la commémoration de l'abolition de l'esclavage dans l'île.

Mais il y a quelques semaines les mouvements antiracistes nées après la mort de Georges Floyd ont fait resurgir les tensions. Le pédigrée esclavagiste, colonialiste ou raciste personnages historique refait surface. A Bristol en Angleterre, des manifestants anti-racistes ont fait tomber la statue d'Edward Colston (un marchand d'esclave). En Belgique, une statue de l'ancien roi Belge Léopold II (critiqué pour son règne de terreur au Congo au XIXe siècle, alors que ce territoire lui appartenait personnellement) a aussi été dégradée, dans le jardin du Musée de l'Afrique à Tervuren.

En France, hormis Victor Schoelcher, beaucoup pointent aussi du doigt Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV, qui a inspiré la politique économique protectionniste de l'Etat. Mais il a aussi été l'auteur d'un double crime contre l'humanité pour certains, puisqu'il a préparé le code noir et l'a mis en pratique en fondant la compagnie des indes. Sur les réseaux sociaux, les français sont divisés à son sujet.
 

 

Mahé de Labourdonnais déboulonné à la Réunion ?

A La Réunion aussi et toujours sur les réseaux sociaux, beaucoup appellent au remplacement de la statue du gouverneur des Mascareignes au 18ème siècle, située dans le square qui porte son nom, aux abords de la préfecture de la Réunion.
 
(Re)voir le reportage de Rahabia Issa et Willy Thévenin :
 
Déboulonner les statues : le débat est lancé aussi à La Réunion

Pour l'artiste militant Gael Vellyen, leader du groupe kréolokoz :
 

"Un pays qui a reconnu l’esclavage comme crime contre l’humanité ne peut pas ériger une statue pour un esclavagiste. Nout société soi-disant lé métissé mais en haut lé blanc et en bas lé noir."

 
Pour la majorité des historiens en tout cas, il ne faut pas déboulonner nos statues.

(Re)voir l'intervention de Reine Claude Grondin, professeure d'Histoire au lycée Sarda Garriga et secrétaire de la Ligue des Droits de l'homme :
Reine-Claude Grondin, secrétaire de la ligue des Droits de l'Homme, invitée du Journal de 19h

Pour Céline Ramsamy Giancone, docteure en Histoire contemporaine :
 

"Le débat doit exister, on doit en parler pour faire ressortir les malaises. Mais en aucun cas il ne doit donner lieu à des actes de violences."


Elle explique aussi que cette statue a été placée là parce qu’il a largement participé à la construction de la ville de Saint Denis et de ses routes, même si "forcément des esclaves ont participé à ces travaux." Elle comprend néanmoins l'opinion d'autres réunionnais, qui considèrent leur parole "étouffée et leur identité non reconnue".
 
La docteure estime aussi qu'il est nécessaire de faire coexister les représentations de colons, et celles d'esclaves, ou d'engagés, pour "faire parler l'identité des gens et leurs origines".

Prosper Eve, historien réunionnais spécialiste de l'esclavage, lui, considère qu'il ne faut rien effacer. Il se demande "quel serait le résultat si on enlevait ces statues ? Est-ce que les souffrances des esclaves vont disparaitre pour autant ?" Il ajoute : "Cette statue est un bien mémorial et patrimonial. En l'éliminant on veut effacer les traces. Lorsqu'on démolit, on ne rend pas service à l'histoire."