Pourquoi l'Etat met-il la pression sur Air Austral, toujours en pleine tourmente financière ?

Ce mardi 19 mars 2024, une réunion interministérielle s'est tenue au ministère de l'Outre-mer, afin de discuter des difficultés de la compagnie aérienne Air Austral. Pour le gouvernement, la direction et les actionnaires n'ont pas pris suffisamment tôt la mesure de la situation, fort préoccupante. Il réclame la présentation d'un plan de retournement pour la fin avril.

Air Austral n'est toujours pas sortie de la tourmente, bien au contraire. Malgré une validation du plan de restructuration par le Conseil de surveillance au début du mois, la situation n'est guère idéale. C'est en tout cas ce qu'a constaté le gouvernement, qui a provoqué ce mardi 19 mars 2024 une réunion interministérielle. 

Autour de la table, ministères des Transports, de l'Industrie, et bien sûr de l'Outre-mer. A l'ordre du jour, des discussions avec la compagnie pour sauver l'activité de celle-ci.

Les précisions de Serge Massau d'Outre-mer La 1ère :

Point Air Austral à Paris
 

Une centaine de millions d'euros d'aide depuis 2020

Car le plan de restructuration validé le 7 mars dernier se révèlerait bien en-deça des attentes du gouvernement, qui depuis 2020, rappelle avoir injecté 120 millions d'euros dans la compagnie aérienne surendettée, dont un prêt garanti par l'Etat de 80 millions d'euros pendant la crise sanitaire, un prêt additionnel de 10 millions d'euros par BPI France, un autre prêt de l'Etat d'un montant de 20 millions d'euros... Sans compter une aide de 17,5 millions d'euros au titre de l'indemnisation d'Air Austral des dommages subis lors de l’épidémie de Covid-19, l'abandon de 100 millions d'euros de créances...

Des montants injectés encore insuffisants 

Dans le cadre du plan de restructuration, autorisé par la Commission européenne en janvier 2023, la Sematra avait aussi injecté 25 millions d'euros, et le groupe d'actionnaires privés entré au capital de la compagnie aérienne, 30 millions d'euros. Force est de constater que malgré ces 55 millions d'euros d'argent frais apportés à Air Austral, la santé financière de l'entreprise n'est toujours pas au beau fixe. Aux yeux du gouvernement en tout cas. 

"Prise de conscience tardive"

Ce dernier constate que le "plan de sauvetage concerté pour équilibrer soutien public et efforts de la compagnie", ne "prémunit pas contre une situation toujours difficile". D'autant que selon l'Etat, la "prise de conscience du conseil de surveillance et de la direction d'Air Austral, des risques encourus par la compagnie", n'a été que "trop tardive". La situation financière critique de l'entreprise serait due à "des erreurs de prévisions et une non-mise en acte des mesures de restructuration", est-il mentionné du côté du gouvernement. 

A combien s'élève la dette d'Air Austral ? 

Ce constat est toutefois effectué sans qu'il soit possible à l'heure actuelle de donner un montant précis de la dette de la compagnie aérienne, du propre aveu des différents ministères prenant part au suivi de ce dossier important. Aucun chiffre n'a été avancé ce jour. 

L'effort des actionnaires jugé insuffisant pour garantir la pérennité d'Air Austral

Le nouvel apport de 10 millions d'euros décidé par les actionnaires d'Air Austral au début du mois est néanmoins perçu comme une bonne nouvelle rue Oudinot, où la réunion avait lieu ce mardi. "Cet effort additionnel est une bonne chose parce qu'il montre une prise de conscience des difficultés actuelles", laissent entendre les ministères réunis. 

 "Un signe positif de prise de conscience" qui reste malgré tout insuffisant. Le plan de restructuration validé il y a moins de deux semaines par le conseil de surveillance laisse le gouvernement dubitatif quant à sa capacité à pérenniser l'activité de l'entreprise sur le long terme. 

L'Etat poursuit son accompagnement, des exigences en contre-partie

Dans ce contexte, si l'Etat confirme son intention de poursuivre l'accompagnement d'Air Austral, "compagnie importante qui dessert La Réunion et Mayotte", mais aussi "employeur important de La Réunion", cela ne se fera pas sans condition. Et il semble avoir l'intention de surveiller Air Austral comme du lait sur le feu, faisant part à la compagnie de ses exigences. "L'Etat est dans une posture d'accompagnement, mais aussi exigeante vis à vis d'Air Austral et ses actionnaires", laisse-t-on entendre au sortir de la réunion interministérielle. 

"Plan de retournement sur trois ans"

Cela passe notamment par un "plan de retournement solide sur trois ans", à présenter devant les ministères concernés à la fin avril. Ce plan devrait être établi avec le concours d'un "auditeur indépendant", qui permettrait de garantir la "fiabilité des prévisions et de rassurer les créanciers et ceux qui apportent de l'argent frais". 

Pas de nouvelle aide pour l'instant

L'Etat lui, ne mettra pas à nouveau la main à la poche pour le moment. De toute façon il indique que les règles ne le lui permettent pas, mais qu'il a seulement la possibilité d'"accepter de ne pas assigner Air Austral au titre du passif public constitué, le temps de permettre la présentation d'un plan de retournement crédible et aux discussions de se tenir".  

Se mettre en ordre de bataille pour survivre

Un changement éventuel de gouvernance à la tête de la compagnie aérienne est quant à lui balayé d'un revers de main. Il y a d'autres priorités pour le moment, comme la présentation du fameux plan de retournement, fait-on comprendre. 

Pour dépasser les difficultés, il est ainsi demandé à Air Austral, qu'il s'agisse de ses dirigeants, de ses salariés, ou de ses actionnaires, de se mettre en ordre de bataille. Le gouvernement, lors de la réunion de ce mardi, a appelé à une "prise de conscience à tous les échelons de la compagnie" qui joue sa survie.

"La ceinture est déjà serrée" selon le personnel

 Du côté du personnel de la compagnie, Marie-Noëlle Wolf du syndicat UNSA Air Austral, reconnaît que l'exercice qui attend l'entreprise est "délicat", notamment pour "trouver un équilibre entre ce qui peut être fait et la réalité des choses".

Et s'il s'agit de se serrer la ceinture, c'est déjà le cas "depuis un bon moment", juge-t-elle, faisant valoir "un excellent résultat en chiffre d'affaires". 

Marie-Noëlle Wolf, du syndicat UNSA Air Austral, était invitée sur le plateau de Réunion La 1ère ce mercredi : 

Invitée plateau : Marie-Noëlle Wolf, syndicat UNSA Air Austral

La déléguée syndicale est consciente qu'il va falloir redoubler d'efforts, soulignant que "la gestion de l'entreprise peut être perfectionnée". 

"Les gestionnaires font ce qu'ils peuvent, avec ce qu'ils ont eu du passé. On se retrouve dans une situation assez catastrophique, et j'imagine que les dix mois qu'il y a eu jusqu'à présent pour transformer l'entreprise n'ont pas été suffisants. Il va falloir trouver des solutions plus drastiques, mais pas sur le dos des salariés" 

Marie-Noëlle Wolf, UNSA Air Austral

Huguette Bello espère "aplanir les difficultés" 

La présidente de la Région Réunion, Huguette Bello, actuellement à Paris, a réagi à cette réunion interministérielle. Ce qu'elle souhaite surtout retenir ? "L'Etat a donné son feu vert pour accompagner la compagnie dans son plan de restructuration, c'est cela que nous voulons souligner et qui a été important ce matin. Et cela grâce aussi à la mobilisation des Réunionnais et de la Région Réunion", répond-elle. Pointant aussi du doigt que "nous avons hérité de cette situation difficile, il ne faut pas oublier qu'il y a eu des erreurs qui ont été faites par nos prédécesseurs".

"Il y a des difficultés, et nous espérons les aplanir, et par cela rassurer les 850 personnes qui travaillent au sein de la compagnie". 

Huguette Bello, présidente de Région Réunion

Situation d'Air Austral : réaction d'Huguette Bello, présidente de la Région Réunion

La présidente de Région entend bien que des efforts sont demandés à Air Austral. Ces efforts "seront faits", garantit Huguette Bello. "Nous avons accepté ce plan de restructuration. Cela est heureux que nous soyons accompagnés, et nous y mettrons tout notre coeur, toute notre âme", achève-t-elle. 

"L'Etat prend ses responsabilités, nous prenons les nôtres"

Huguette Bello, présidente de la Région Réunion

Point d'étape courant avril

Un point d'étape interministériel sera effectué courant avril, et le plan de retournement est attendu sur le bureau du gouvernement à la fin avril. En fonction, il faudra, ou non, que des investisseurs remettent la main à la poche pour permettre à Air Austral de continuer à transporter des voyageurs. Une activité qui nécessite des forts besoins de trésorerie. 

Un mois et demi pour convaincre

Le "plan de retournement" s'applique à une entreprise en grande difficulté économique, pour que celle-ci réorganise son activité afin de gagner en rentabilité et inverser la tendance. Cela peut passer par une réévaluation du positionnement commercial, la mise en place de nouvelles stratégies marketing, la réduction des frais de fonctionnement, voire un plan de sauvegarde des emplois ou des licenciements économiques... dépendant des problèmes identifiés au sein de l'entreprise. 

En un peu moins d'un mois et demi, Air Austral devra ainsi faire mettre sur la table des solutions efficaces à la hauteur de la situation, pour continuer à faire voler ses avions vers l'Hexagone et la zone océan Indien. 

Trois liaisons suspendues au 1er avril 2024

La compagnie aérienne régionale a déjà suspendu ses liaisons avec Tuléar et Fort Dauphin à Madagascar, et avec Mahé aux Seychelles, à compter du 1er avril 2024. Une mesure commerciale censée lui permettre de "retrouver une situation financière plus stable". 

Fin février dernier, Air Austral avait annoncé jusqu'à 12 rotations entre La Réunion et Paris et jusqu'à 9 fréquences par semaine, pour la prochaine période de haute saison.