En ces temps de pandémie, les petites îles du monde entier nous rappellent qu'elles ont de tous temps représenté un refuge protecteur pour les hommes. Wallis et Futuna, avec zéro cas, et Saint-Pierre et Miquelon, un seul cas, illustrent comment l'insularité offre actuellement une barrière efficace face à la propagation du coronavirus.
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Des îles relativement épargnées par le Covid-19
C'est le cas aussi des îles de Sein, de Ré ou encore d'Oléron, elles aussi indemnes. Une situation qu'on retrouve dans tous les océans et mers du monde, en Méditerranée sur de nombreuses petites îles italiennes, comme en Micronésie dans l'océan Indien, ou encore dans la Caraïbe sur Anguila ou Montserrat, et en Atlantique avec les îles Malouines et les îles Sandwitch, totalement ou quasiment épargnées.
Un confinement naturel
Espaces clos et limités, difficiles d’accès et isolés du continent, les territoires insulaires sont d’une certaine manière naturellement confinés. Ils interrogent la notion relative du confinement, et au-delà celle du vivre-ensemble.
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C'est le sujet de la recherche que mène actuellement Louis Brigand. Professeur géographe au sein de l'université de Bretagne Occidentale, il se définit comme "nissonologue", c'est à dire chercheur en science de l'étude des îles.
Une vie dédiée à l'étude des îles
Louis Brigand a écumé toutes les îles du monde et a vécu sur plusieurs d'entre elles. Il fait part de son regard sur ces territoires insulaires qui en temps de confinement généralisé, peuvent servir de guide aux continentaux embarqués dans la tourmente de la vie à l'heure du coronavirus.
" La question de l'île et du confinement m'a toujours intéressé. Insularité et confinement, il y a pour moi des liens évidents. Car finalement, dans les petites îles en plein hiver on vit une sorte de confinement. " - Louis Brigand, nissonologue
"Ados sur l'île de Sein, une vie confinée toute l'année", par Laurie-Anne Courson
Des prisons et des quarantaines dans le passé
Dans le monde entier, les nations utilisent d'abord l'isolement de leurs îles pour les transformer en bagnes ou centres de détention. À l'image des célèbres îles du Salut en Guyane française, celle des Pins en Nouvelle-Calédonie, le bagne de l'île de Ré, l'île d'Yeu prison de Philippe Pétain ou encore Alcatraz au large de San Francisco.
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Et c'est également sur les îles qu'on confine les malades contagieux, potentiels ou avérés. Comme l’île de la Quarantaine sur le Maroni, le lazaret de l’île de Trébéron en rade de Brest, et aussi l'île aux vainqueurs à l'entrée de Saint-Pierre et Miquelon.
Aujourd'hui encore : les morts du coronavirus
En ce printemps 2020, c'est encore sur Hart Island, surnommée l’île des Morts, au nord-est du Bronx à New York, qu'on enterre les corps non réclamés de la région, et parmi eux des dizaines de victimes du Covid-19.
"L'Île aux morts" à New-York, enterrement de victimes du coronavirus
Une fonction refuge
Avec la concentration toujours plus grande des populations dans les métropoles continentales, les îles deviennent peu à peu des lieux refuges. À l'image de la petite île de Riems, en mer Baltique, où l'Allemagne installe dès 1910 un centre de recherche et de tests de vaccins en y conservant plus de dix mille animaux aux fins d'expérimentations. Au Japon, l’île de Ninoshima, au large d’Hiroshima accueille les victimes de la bombe atomique et leurs orphelins.
" Les îles sont des territoires particuliers, avec une fonction de conservation qui est intéressante. "
Se confiner dans les îles
Pour les plus fortunés, les îles sont aussi le lieu idéal d'une retraite du monde, d'un confinement de luxe, comme l’île de Tetiaroa en Polynésie où vécut Marlon Brando. Et à l'heure de la pandémie de coronavirus, c'est vers les îles bretonnes et normandes que de nombreux résidents de la région parisienne ont choisi de mettre le cap pour passer leur période de confinement. Quitte parfois à entrer en conflit avec les insulaires, inquiets des risques d'importation du virus.
Près de la ville de Djeddah, c'est aussi dans un palais situé sur une île dans la mer Rouge que s’est confiné le roi Salmane, 84 ans, de la famille royale saoudienne.
Le délicat afflux des nouveaux venus sur l'Île de Ré
Îles solitaires, îles solidaires
Par la nécessité du vivre-ensemble, les îles sont pour leurs habitants des territoires emprunts de solidarité. Le tissu associatif y est plus dense que sur le continent.
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Et les liens humains plus étroits. Quand on fait partie d'une communauté insulaire, on voit qui arrive, qui part, on sait qui est présent, on connaît ses voisins. Pour le meilleur et pour le pire. Sur les îles, il y a aussi des conflits. Mais on sait à un moment donné les mettre de côté, pour la collectivité, pour la communauté. On sait se ressouder quand il le faut.
" Vivre sur une île, c'est un peu comme vivre sur un bateau. On est habitué à vivre en équipage, de manière resserrée, les uns contre les autres. Parfois on peut s'engueuler, mais on finit toujours par se retrouver. Dans les îles, on a l'habitude de ce confinement, ce n'est pas quelque chose de nouveau. "
Îles en partage
Dans les petites îles, le confinement collectif amène chacun à penser à son voisin, à ses besoins, avec un regard souvent bienveillant. Personne n'est abandonné, l'isolement crée une forte solidarité. Et on doit se débrouiller avec les ressources, et les stocks locaux.
" Quand on va à la pêche, on donne du poisson aux proches, idem pour les salades lorsqu'on a un petit potager. Cela n'est pas propre aux îles, mais sur les îles, je pense que c'est exacerbé. "
Finistère : le confinement au quotidien à Ouessant - Thalassa
Un écrin de nature confinée mais fragile
Les naturalistes ne cessent de vanter l'incomparable biodiversité insulaire. Du fait de leurs spécificités biologiques en lien avec l’isolement, les îles recèlent une faune et une flore souvent endémiques à haute valeur environnementale, et une multitude d’espaces classés, de réserves naturelles, de parcs marins…
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Ce même isolement porte en lui les germes d’une grande fragilité. L’introduction d’espèces nouvelles ou invasives ou la destruction de certains habitats, peut favoriser la prédominance d’une espèce aux dépens d’une autre, d'autant plus tenant compte du caractère limité de l’espace.
" Les introductions extérieures sur les îles peuvent avoir des effets très dommageables notamment en terme écologique. C'est un vrai questionnement, qui peut interroger sur la question du vivre-ensemble dans les îles, des ressources locales et de leur maîtrise. Cette recherche que j'initie à l'occasion du confinement imposé est un sujet qui mériterait d'être approfondi, pourquoi pas à travers une rencontre sur plusieurs jours à Saint-Pierre et Miquelon, ce serait intéressant."
Le monde, cet archipel confiné
Avec l'isolement sanitaire imposé partout, la Terre entière semble s'être mise au diapason de la vie insulaire. Elle prend aujourd'hui des allures d'archipel composé de nombreuses îles, sur lesquelles les confinés tentent de recréer de nombreux liens. On ne prend plus nos voitures, on se déplace à pied, on se voit les uns les autres partir, rentrer, on discute de jardin à jardin. Tout en gardant les distances règlementaires, on échange des idées, de la nourriture.
Ici à Brest, dans l'impasse dans laquelle j'habite, bordée de petites maisons et de jardins, j'ai l'impression depuis plus d'un mois d'être un peu dans une île, au contact de mes voisins. Le monde est en train de se fragmenter en des milliers de petites entités insulaires, tel un archipel ; la Planète est un archipel au sein de l'Univers. Il n'y a finalement que des îles partout. - Louis Brigand
En savoir plus sur Louis Brigand
Louis Brigand est professeur et géographe au sein de l'Université de Bretagne occidentaleSes recherches sont notamment en lien avec des programmes de la Fondation de France. Il coordonne le programme ID-îles et participe aux projets Atlantîles (Saint-Pierre et Miquelon), ESS Iles (Iles du Ponant) et Envid'Iles (Polynésie française).
Cet entretien a été réalisé en visioconférence le 20 avril 2020 depuis Saint-Pierre et Miquelon, avec les informations complémentaires de theconversation.com.