Ma vie de soldat : “On a beau te dire que tu es formé pour ça, tu n'es jamais prêt à le vivre”. Un Saint-Pierrais revient sur son parcours dans l’armée

Si Morgan a pu traverser des moments difficiles, comme ici au Liban en 2013, il retient surtout les valeurs, la cohésion et les bonnes expériences qu'il a vécu dans l'armée .
L'histoire du Caporal-Chef Morgan, c'est celle d'un militaire de carrière né à Saint-Pierre. Du sud de la France au Liban en passant par la Guyane et le Tchad, il aura connu plusieurs théâtres d'opérations et plusieurs métiers dans l'armée.

Né dans l’archipel en 1990, Morgan aura passé ses neuf premières années dans les îles avant de traverser l’Atlantique.

Il garde de Saint-Pierre et Miquelon le souvenir d'une enfance heureuse, insouciante et en toute confiance, surtout quand il partait "jouer avec les amis" en bas de chez lui ou "faire du hockey sur les étangs".

Mais c’est dans le sud de la France à Marseille qu’il poursuit sa route en compagnie de sa mère et de son petit frère Romain, qui atteint de la mucoviscidose, doit déménager dans l'hexagone pour avoir accès à plus de soins.

Morgan (à droite) est toujours resté très proche de son petit frère Romain. Aujourd'hui ce dernier a 30 ans et il est devenu pilote de drone dans le sud de la France.

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Si le jeune Morgan trouve vite ses repères sur les terres de l'Olympique de Marseille qu'il supportait déjà, son adaptation est plus compliquée dans le milieu scolaire.

"Alors que je faisais partie des bons élèves à Saint-Pierre où on était maximum 18 par classe, je me retrouve perdu dans des classes de 36 élèves", se souvient-il.

"Je me rends compte plus tard que je ne suis vraiment pas fait pour le lycée là-bas", nous avoue-t-il au moment d'évoquer son tempérament fougueux et son BEP topographie.

Il intègre ce dernier pour suivre les traces de son beau-père avant d'opérer, par lui-même, un tournant majeur dans son existence : le 3 juin 2009, il s'engage dans l'armée.

Il fallait que je redresse la barre, j’étais en train de devenir un petit con. Je devais avoir une ligne à suivre et prendre mon envol.

Caporal-Chef Morgan

L'uniforme et la cohésion 

À tout juste 19 ans, Morgan s'en va à Hyères pour intégrer le 54e régiment d'artillerie où il fait ses classes pendant 4 mois, en ayant tout de suite "l'impression d'être à la bonne place". 

"J'y retrouve la solidarité que j'avais connue à Saint-Pierre où tout le monde se connaît. Il y a beaucoup d'entraide, surtout entre les îliens", explique-t-il en se remémorant les bons moments partagés avec des amis Tahitiens ou Wallisiens. 

Sur le terrain, il ne tarde pas à se spécialiser en tant que tireur de missile, ce qui n'était pas son premier choix, et ce qui nécessite patience et maîtrise de soi. 

Morgan voulait piloter des chars et des véhicules blindés. Il est d'abord devenu tireur missile pour s'entraîner à les détruire.

Si Morgan est vite apte à manier un lance-roquettes antichar, il doit aussi être en mesure d'utiliser un système de défense antiaérienne, en manipulant par exemple des missiles sol-air.

Ce fut le cas lors de sa première mission en 2010, lorsqu'il est envoyé en Guyane pour surveiller l'espace aérien lors du décollage de la fusée Ariane 5... sans avoir à faire feu.

La Guyane, ce fut aussi pour Morgan des missions de lutte contre l'orpaillage illégal dans le cadre de l'opération Harpie en plein cœur de la forêt amazonienne. 

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"Si la nature est dangereuse là-bas, elle ne l'est pas autant que tous ceux qui viennent travailler dans la forêt", explique-t-il en souvenir de ces orpailleurs armés prêts à tirer sur les forces d'intervention française. 

Le traumatisme du Liban

Mais c'est au Proche-Orient que Morgan découvrira réellement le grand frisson. En 2011, son unité intègre la Force intérimaire des Nations unies pour le Liban (Finul) et la situation y est très tendue.

"Quand tu sors à chaque fois avec ton gilet pare-balles, ton casque et ton arme chargée, c'est là qu'il y a le plus d'adrénaline". C'est là aussi que plusieurs hommes de son camp seront la cible d'un attentat.

Une bombe est déclenchée ce jour-là au passage de la Jeep de soldats en patrouille sur la route. Bilan : 3 blessés graves et la mise en place immédiate d'un brouilleur pendant 48 heures pour assurer la sécurité de la base.

"On n'avait plus aucun lien possible avec l'extérieur. C'était très dur pour les parents. Je sais que ma mère a pleuré. Elle me croyait mort".

Mais le pire pour Morgan reste à venir. Car ce souvenir ne s’effacera pas de sitôt. De retour dans le sud de la France, il est notamment victime de somnambulisme. 

Ma mère me racontait que je me levais très agité en pleine nuit pour ouvrir l’armoire et chercher partout mon arme.

Caporal-Chef Morgan

14 ans plus tard, il avoue encore penser à cet événement traumatique. "Cette route, je l'empruntais trois à quatre fois par jour, ça aurait pu m'arriver. On a beau te dire que tu es formé pour ça, et que tu as signé pour ça, mais tu n’es jamais prêt à le vivre”.

La polyvalence d’une armée de métiers 

Bousculé, Morgan ne va pas se plaindre pour autant. Il enchaîne les expériences comme ce stage commando en montagne dans les Alpes où il doit "se déplacer en raquettes et dormir en igloo" avant de repartir en Guyane pour une nouvelle mission tropicale.

Devenu Caporal-Chef entre-temps, il est muté dans le 4e régiment de dragons, un régiment blindé  équipé de chars Leclerc qui sera dissout un an plus tard en 2014.

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Qu'à cela ne tienne, Morgan change une fois de plus d'affectation pour rejoindre le génie de l'air à Istres. Un régiment spécialisé, comme il le résume, dans "la construction et la réparation de toute piste aérienne, en tout temps et en tout lieu".

Autrement dit, il voyage, comme au Tchad lors de l'opération Barkhane et devient capable en équipe de faire atterrir des avions presque n'importe où. Seul petit regret pour lui, il a l'impression d'être "plus dans le BTP que dans l'armée". 

Morgan (au premier plan) aura troqué son arme pour des outils et du béton dans le génie de l'air où il était en charge de réparer des pistes d'aviation.

La retraite à... 38 ans

Au cours de sa carrière, Morgan changera encore deux fois de métier, tout d'abord comme adjoint au service technique pour gérer les commandes d'armement avant de gérer depuis 2022 les commandes médicales au sein du service de santé de l'armée à Marseille.

C'est notamment lui qui doit préparer les stocks de médicaments pour répondre aux besoins des militaires sur les théâtres d'opérations. 

Aujourd'hui, à 35 ans, il est plus proche de la fin que du début de son aventure professionnelle et doit déjà penser à l’après.

Dans 3 ans à peine je suis à la retraite. Ma mère, elle devient folle quand je dis ça.

Caporal-Chef Morgan

S'il envisage de devenir policier municipal par la suite, il pourrait aussi, pourquoi pas, tenter l'aventure au Québec avec sa compagne. "Pour le moment, c'est encore trop tôt pour décider", nous dit-il, même s'il avoue déjà y penser dans un monde qui change.

Une armée en pleine évolution

"L'armée d'aujourd'hui a beaucoup changé et la jeunesse qui arrive a parfois déjà tout vu et tout fait", estime-t-il au regard d'une génération influencée désormais par les jeux vidéo.

"Certains sont très forts à "Call of Duty" mais ce n'est pas la même chose quand ils arrivent sur le pas de tir", ironise-t-il.

Morgan en exercice avec ses frères d'armes dans le camp de La Courtine dans la Creuse

Morgan a aussi l'impression que l'armée a dû s'adapter à une jeunesse qu'il juge "peut-être plus couvée" que de son temps, et cela se ressent notamment en termes de discipline : "Nous, si on faisait des bêtises, le soir on devait prendre nos sacs à dos pour partir marcher. Aujourd’hui, on ne peut même plus demander à des jeunes de faire des pompes si on n'a pas écrit "renforcement musculaire" sur le cahier.

Mais regrette-t-il pour autant d’avoir fait l’armée ?

“Jamais de la vie ! En tant qu’homme, ça m'a appris des valeurs et c’est le service que je dois à la France. J’aime mon pays.”

Caporal-Chef Morgan

Aujourd'hui, c'est avec une grande fierté qu'il se dit "disponible et prêt à conseiller" et aiguiller tous les jeunes Saint-Pierrais et Miquelonnais qui souhaiteraient, comme lui à son époque, se lancer dans l'aventure de l'armée.