Pour rebondir sur les propos d’Emmanuel Macron, selon qui, "c'est dur d’avoir 20 ans en 2020", nous avons rencontré plusieurs témoins qui ont franchi ce cap à d’autres époques dans l’archipel. Christine Légasse a eu 20 ans en 1984.
Est-ce vraiment si "dur d’avoir 20 ans en 2020", comme l’affirme Emmanuel Macron ? Le Président français l’a déclaré dans son allocution du 14 octobre dernier, en expliquant que les jeunes d’aujourd’hui avaient du mal à se projeter sur fond de crise sanitaire.
Sans remettre en cause les difficultés de cette jeunesse, nous avons souhaité laisser la parole à des Saint-Pierrais et des Miquelonnais pour qu'ils nous éclairent sur leurs conditions de vie à d'autres époques dans l'archipel.
Née à Saint-Pierre le 19 novembre1964, Christine Légasse replonge pour nous dans ses souvenirs de jeunesse.
Génération CCS
Lorsqu'elle parle de son enfance, Christine évoque d'emblée la "grande famille du Centre culturel et sportif", qui fut inauguré à Saint-Pierre en 1973. Véritable révolution pour l'époque, cette structure était dotée de nombreux équipements et d'un foyer pour les jeunes qui, comme elle, y passait parfois le plus clair de leur temps.
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"On passait notre vie là-bas", se souvient-elle. "Moi, j’allais à la piscine et à la bibliothèque qui était sur place, mais j'y faisais aussi du théâtre, du piano et même de la musculation", sans oublier le foyer où les adolescents pouvaient se retrouver pour jouer au baby foot et au ping pong.
C'est dans ce bâtiment qu'elle construit d'ailleurs plus tard sa carrière professionnelle en quittant le lycée à 17 ans, "car on recherchait un maître nageur à la piscine, et c'était excactement ce que je voulais faire. Le CCS, c'était ma deuxième famille".
" Le CCS c'était ma deuxième famille. "
En 1985, Christine va même encore plus loin : elle est à l'origine de la création du club de natation des Drakkars, ce qui lui permet de passer encore plus de temps dans sa "deuxième maison".
La vie nocturne et les vacances à Langlade
Dans les années 80, Christine se souvient aussi des "grosses bagnoles américaines" que l'on croisait en ville et de l'ambiance qui y régnait, de jour comme de nuit, avec encore beaucoup de marins français et étrangers. "Les bars étaient pleins et l'on comptait pas moins de quatre boîtes de nuit qui étaient ouvertes toute la semaine. Il y avait le Joinville, l'Escale, le Yacht Club et l'Etoile", énumère-t-elle, sans oublier les nombreuses boutiques qui proposaient même "de la fourrure de luxe".
Côté musique, elle écoutait alors aussi bien Francis Cabrel et Maxime Le Forestier que les Beattles, Offenbach et ACDC, sans oublier de la disco "pour danser".
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Si Christine appréciait cette ambiance en centre-ville, elle garde aussi d'excellents souvenirs de ses vacances en pleine nature du côté de Langlade où elle se rendait chaque été. A cette époque, "il n'y avait pas beaucoup de maisons, beaucoup moins de voitures et pas du tout de roulotte", nous dit-elle, en expliquant qu'elle préférait dormir en tente et se nourrir "de homards, de petites crevettes grises, de coques, de moules, de fraises et de bleuets que l'on pouvait trouver sur place".
Côté ravitaillement, le reste du temps, il fallait se rendre à la ferme Olivier ou bien commander du pain et des denrées qui pouvaient arriver par bateau depuis Saint-Pierre deux fois par semaine. L'autre solution, c'était "l'aventure pour monter sur Miquelon", en tenant compte de la marée pour franchir le goulet du grand barachois.
Moins d'ouverture pour une vie plus remplie
Si c'était "une aventure" pour rallier Miquelon depuis Langlade, les voyages vers Terre-Neuve prenaient parfois la forme de véritables expéditions. Christine se souvient ainsi avoir été bloquée avec de jeunes nageurs des Drakkars à Fortune alors qu'elle revenait d'une compétition dans la province voisine : "ce jour là, le bateau était parti plus tôt que prévu à cause la météo, et je me suis retrouvée bloquée une semaine entière, sans carte de crédit, avec une vingtaine d'enfants. Il a fallu frapper aux portes et trouver des familles pour les accueillir", dit-elle, à moitié amusée, à moitié confuse, en expliquant que ce type de situation ne pourrait pas se reproduire aujourd'hui.
Alors quand on lui demande la différence entre dans les années 1980 et 2020, Christine évoque d'abord l'isolement du territoire qui, en étant moins connecté à l'époque, était peut-être plus rassemblé. "On était très conscients d’être français mais la métropole nous paraissait encore plus loin qu'aujourd'hui", dit-elle, en expliquant que les jeunes ne cherchaient pas à se comparer sans cesse avec le reste du monde.
" On s'est sans doute un peu perdu en route. "
"On était peut-être plus refermés sur nous-même, mais les gens étaient aussi plus réceptifs à tout ce qu’il y avait localement", affirme-t-elle en se souvenant des salles de spectacle et de théâtre qui affichaient complets. "A chaque fois, c'était un événement. Les gens étaient demandeurs et partageaient les mêmes choses. On avait l’impression d’avoir une vie plus remplie", explique-t-elle en regrettant que maintenant, la vie soit "remplie par internet, les téléphones et la télévision".
Si Christine concède que l'ouverture sur le monde "a aussi apporté plus de connaissances", elle craint surtout que l'archipel, au passage, ne se soit "un peu perdu en route".
Plus compliqué d'avoir 20 ans aujourd'hui
Si on lui donnait une baguette magique, Christine ne souhaiterait pas pour autant avoir de nouveau 20 ans. "C'est un âge difficile. On se pose beaucoup de questions et on n'assume pas toujours ce que l’on pense", développe-t-elle, tout sourire, avant d'expliquer que cette étape est peut-être plus difficile à vivre aujourd'hui : "ça me semble plus incertain et plus sombre, car il faut souvent passer beaucoup de diplômes, et malgré cela, on a quand même du mal à trouver un travail".
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À la piscine comme en dehors, Christine a suivi au travers de son association plusieurs générations de jeunes qui semblent de nos jours avoir plus de mal à se projeter vers l'avenir : "Nous aussi on se posait beaucoup de questions, mais on n'avait pas cette impression qu'ailleurs il y avait plus que chez nous".
Si les jeunes peuvent désormais, virtuellement ou physiquement, sortir plus facilement du territoire, ils ont aussi accès à plus d'activités sportives, ce qui fait dire à Christine qu'ils ont parfois "des emplois du temps de ministre".
Selon elle, les adhérents "piochent partout" et ne s'investissent pas forcément autant. Elle regrette de constater que le monde associatif, bien que dynamique, soit devenu pour certains "plus un service qu'une vie collective"...comme avant.
Une jeunesse moins connectée, mais plus rassemblée