Coronavirus : les coulisses d'un voyage Paris - Saint-Pierre au temps du confinement

L'embarquement pour Saint-Pierre, le 5 avril, à Montréal.
Pour les 32 passagers arrivés dimanche 5 avril à l'aéroport de Saint-Pierre Pointe-Blanche, le voyage depuis Paris n'a pas été simple. Marie Daoudal, journaliste à Saint-Pierre et Miquelon la 1ère, vous raconte son périple à travers la France confinée, en pleine crise du coronavirus.
Sur les panneaux d’affichage de Roissy Charles-de-Gaulle, une ribambelle de destinations annulées s’affichent en rouge. Cet après-midi du 5 avril, seuls six vols sont maintenus au départ de l’aéroport parisien, qui concentre désormais tout le trafic aérien commercial de la capitale. Pour éviter la propagation du nouveau coronavirus, les liaisons par avion ont été réduites au strict minimum. Le vol Paris-Montréal, lui, est confirmé. À son bord, des Canadiens, des détenteurs de carte de résidence et de permis de travail, mais aussi une trentaine de passagers faisant escale au Canada pour se rendre à Saint-Pierre et Miquelon.

Pour la première fois depuis deux semaines, un vol commercial reliant Montréal à l’archipel a été autorisé. Des Saint-Pierrais coincés en métropole, ainsi que du personnel soignant et des travailleurs dont la venue ne pouvait être différée vont embarquer, malgré les mesures de confinement qui touchent la France. À leur arrivée sur l’archipel, ils devront effectuer une quatorzaine stricte, à l’issue de laquelle ils seront soumis à un test de détection de la Covid-19.
 
Des hôtesses de l'air masquées accueillent les voyageurs à l'aéroport de Roissy, malgré la crise sanitaire qui touche le pays.

 

Des difficultés pour se déplacer


Pour eux, le voyage est plus compliqué qu’à l’accoutumée. Ceux qui logeaient hors de Paris ont dû trouver un train pour se rendre à l’aéroport de Roissy. Seulement 7 % des TGV et TER du réseau SNCF étaient en service ce week-end. Les Ouigo étaient quant à eux annulés. Certains passagers sont arrivés plusieurs jours à l’avance pour pouvoir avoir leur vol. D’autres, en région parisienne, ont dû choisir entre prendre les transports en commun au trafic fortement réduit, ou un taxi dont les tarifs explosent, pour se rendre à l’aéroport. Le tout, attestation dérogatoire de déplacement en poche.
 
Une attestation de déplacement dérogatoire spéciale est nécessaire pour se rendre à Saint-Pierre.
 

Filtrer les "vacanciers"


Car pour se rendre à Saint-Pierre, il faut désormais une attestation dérogatoire spéciale relative aux déplacements depuis la métropole vers les collectivités d’outre-mer. Elle a été envoyée aux passagers la veille du départ par la préfecture, qui les avait également appelés en amont pour leur expliquer les modalités du voyage. À l’aéroport, la police des frontières vérifie consciencieusement le motif du déplacement de chaque voyageur, pour éviter les fraudeurs. "On accorde une attention toute particulière aux Français qui partent en ce moment", explique une agent de police. "Comme c’est Pâques, il y a des petits malins qui veulent se prendre des vacances en plein confinement".
 


"Avec les vacances de Pâques, on fait très attention à qui part vers l'Outre-mer." - une agent de police


On est pourtant loin de l’insouciance du départ en vacances. L’aéroport est presque vide. Toutes les boutiques sont fermées à l’exception d’un Relay et d'une pharmacie. Annonces vocales et panneaux d’affichage rappellent constamment les gestes barrières à adopter pour freiner l’épidémie : se laver les mains, tousser dans son coude, éviter de se toucher les uns les autres… La plupart des passagers sont d’ailleurs sensibilisés à la question. Munis de masques – parfois faits maison – et de flacons de gel hydroalcoolique, ils restent généralement à environ un mètre de distance les uns des autres, respectant ainsi le marquage au sol mis en place par l’aéroport.
À l'aéroport de Roissy, des panneaux diffusent des messages de prévention.

Quand le stewart annonce l’embarquement du vol pour Montréal, il précise : "nous vous demandons de présenter votre passeport ouvert et d’enlever votre masque, afin que nous puissions vous identifier". L’embarquement effectué, les voyageurs se recouvrent aussitôt le nez et la bouche.


Masques obligatoires sur Air Saint-Pierre


Ce n’est qu’après le décollage que les masques tombent. Certains se mettent à discuter, visages découverts, de la pandémie. D’autres s’enthousiasment, ils ont trois fauteuils pour eux tous seuls. Une centaine de sièges seulement sont occupés dans cet avion de 300 places. Plus loin, une dame s’inquiète auprès d’un couple assis derrière elle : "Vous croyez qu’on va vraiment nous laisser atterrir ?"
 
L'avion Paris-Montréal ne comptait qu'une centaine de passagers dimanche 5 avril.

Sept heures et quarante-cinq minutes plus tard, l’appareil se pose sur le tarmac de l'aéroport Montréal-Trudeau. Pour les passagers à destination de Saint-Pierre, c'est un peu la panique. Ils ne savent pas s'ils doivent s'enregistrer au Canada ou pas, où ils doivent déposer la fiche de renseignements qu'on leur a fournie pour tracer les passagers atteints de la Covid-19. Les informations données par les agents canadiens sont contradictoires. Après une attente de quelques heures, le groupe peut finalement embarquer.
 
Les passagers à destination de Saint-Pierre ont fait escale à Montréal avant de prendre l'ATR 42 d'Air Saint-Pierre jusqu'à l'archipel.
Sur les sièges de l'aéroport de Montréal, des instructions contre la propagation du coronavirus.

Mais avant de monter à bord de l’ATR 42 d’Air Saint-Pierre, c’est lavage de main obligatoire au gel hydroalcoolique et distribution de masques chirurgicaux. "Prenez-le par les lanières, appliquez-le sur votre visage et étendez-le du nez au cou" explique le commandant de bord à l’embarquement. "On vous demande de le garder pendant tout le vol pour éviter les contaminations". Dans cette optique, la compagnie aérienne a aussi supprimé la collation qu’elle servait en vol et restreint sa capacité de vol.
 


"Derrière nos masques, nous ne voyons pas nos sourires." - une hôtesse de l'air


Passant entre les rangs de voyageurs masqués de vert, l’hôtesse de l’air, le visage également recouvert, essaie de détendre l’atmosphère : "Derrière nos masques, nous ne voyons pas nos sourires, alors essayons de ne pas éviter nos regards". Lorsque l’avion atterrit, elle fait passer des fiches de renseignements à remettre à l’administration territoriale de santé (ATS) et conclut : "Nous voilà arrivés à Saint-Pierre. Je vous souhaite un bon confinement. Prenez soin de vous. Et surtout, restez chez vous".
 
Les passagers de l'ATR d'Air Saint-Pierre doivent obligatoirement porter un masque.
 

Aucune sortie autorisée


Quelques minutes après l'atterrissage, les voyageurs peuvent quitter l'appareil. Mais avant de récupérer leurs bagages, ils doivent patienter - toujours à un mètre les uns des autres. Des membres de l'ATS et de la Croix Rouge leur rappellent à chacun les conditions de leur quatorzaine et leur remettent des instructions pour prendre sa température soi-même. "Quelqu'un vous appellera tous les jours pour vérifier votre état de santé", affirment-elles.

Plus loin, un sapeur-pompier accompagné du préfet Thierry Devimeux s'assure que les arrivants ont bien un logement où ils peuvent se confiner seuls. Ceux qui n'en ont pas seront amenés à l'hôtel Robert en navette, où ils effectueront leur quatorzaine. "Vous ne pourrez pas sortir, même pour faire vos courses", précise-t-il, en tendant un sachet rempli de céréales, de pâtes de fruits et d'une bouteille d'eau. "On vous apportera des croissants et du jus d'orange demain matin." Les nouveaux arrivants devront ensuite se débrouiller seuls, en commandant de la nourriture ou en s'en faisant apporter. "Bonne quatorzaine !" lance le comité d'accueil aux voyageurs qui quittent, sous l'oeil des gendarmes, l'aéroport.