Vie chère : à Saint-Pierre et Miquelon, des yaourts frais de marque distributeur 14 fois plus chers que dans l'Hexagone

Rayon de supermarché.
1,25 € en province, 17,99 € à Saint-Pierre. Le pack de douze yaourts nature témoigne de décennies d'inflation galopante, conséquence de l'éloignement et de la petite taille de l'archipel français d'Amérique du nord. Et la crise sanitaire n'arrange rien.  

Depuis quelques jours, la photo fait le tour des réseaux sociaux à Saint-Pierre et Miquelon. Près de 18 € le pack de douze yaourts, soit 1,50 € le pot de yaourt nature premier prix. C'est du jamais vu. Et c'est surtout 14 fois plus cher que le même produit de marque distributeur vendu dans les supermarchés de France métropolitaine. 
 

Comment est-ce possible ? 


Comment un tel prix peut-il être affiché dans le centre commercial de Saint-Pierre ? Ces yaourts sont l'illustration des surcoûts importants générés sur l'archipel français d'Amérique du Nord, en particulier pour les produits frais, et ultra-frais (produits laitiers réfrigérés).
 

Trop petit, trop loin


Les consommateurs "paient" d'abord la petite taille du territoire. Avec six mille habitants et un climat parfois hostile, les productions agricoles locales sont extrêmement réduites, concentrées autour des œufs, des volailles et de quelques fruits et légumes.

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Les distributeurs sont astreints aux "importations" massives venues de métropole et du Canada, et leurs commandes réduites ne leur offrent aucun levier de négociation face à leurs fournisseurs. De plus, les transporteurs transatlantiques facturent eux-aussi au prix fort ces petites quantités pas toujours suffisantes pour remplir les containers normalisés. 
 

Approvisionnement par avion


Mais c'est surtout l'acheminement depuis l'Hexagone qui constitue l'essentiel des surcoûts qui renchérissent les produits frais français. Le paroxysme est atteint avec les aliments ultra-frais, dont la date de péremption ne supporte pas les quinze jours de traversée de l'Atlantique en porte-containers, et qu'il faut transporter par avion.
Résultat : pour chaque pack de douze yaourts vendu 1,25 € TTC prix public dans l'Hexagone, le responsable du centre commercial de Saint-Pierre explique débourser déjà 1,31 € hors taxes auprès de sa centrale d'achat. S'y ajoutent ensuite 1,32 € de frais de préparation à Rungis, 10,36 € de transport aérien jusqu'à Halifax (Canada), 0,88 € de livraison maritime vers Saint-Pierre, quelques centimes de taxe douanière, et 4,04 € pour la marge du distributeur.

De la centrale d'achat jusqu'au supermarché, Aldric Lahiton s'est penché sur le détail des coûts supportés par les yaourts.
 
©SPM la 1ère


Une situation exceptionnelle


Responsable commercial du supermarché, Marcel-Christophe Dagort estime que l'écart constaté sur le pack de yaourts est "tout à fait exceptionnel", et ne concerne que les produits ultra-frais transportés par avion depuis la métropole. La multiplication par 14 du prix d'achat au fournisseur constitue selon lui une "aberration économique", qui permet néanmoins de répondre à la demande.

[Un tel écart] c'est terrible. Mais il y a une demande du consommateur. Le consommateur est mon "patron", à partir du moment où il souhaite acheter un produit, on va le lui fournir. "

Marcel-Christophe Dagort, responsable Centre Commercial Marcel Dagort

 

Les prix des produits frais pourraient-ils baisser ?


Sur notre plateau, Marcel-Christophe Dagort estime que seule une intervention financière de l'Etat pourrait permettre d'enrayer l'envolée des prix. Grâce par exemple à une augmentation de la subvention directe au transport, déjà versée dans le cadre de la continuité territoriale. Ou en mettant à disposition la logistique. La demande avait été formulée en 2014 lors du voyage officiel de François Hollande à Saint-Pierre. Mais le président de la République d'alors n'avait pas donné suite à la possibilité de charger les denrées alimentaires à destination de l'archipel dans les avions militaires Transall qui traversent régulièrement l'Atlantique pour leur entraînement. 
 

Réduire la marge des commerçants locaux ? 


Face aux prix toujours plus élevés, les consommateurs locaux pointent parfois du doigt la marge des commerçants, que certains estiment trop importante. Mais les distributeurs justifient l'équilibre des prix par les réalités économiques d'un territoire disposant d'une clientèle restreinte, et un niveau de vie plus élevé qu'en métropole nécessitant de mieux rémunérer les employés. Dans son supermarché, Marcel-Christophe Dagort estime n'avoir que peu de latitude pour faire baisser sa marge.

" Il faut bien voir qu'à la fin de l'année, lorsqu'il nous reste 1 % ou 1,5 % [de marge], on est très heureux. " " Tous les acteurs du secteur alimentaire font tout ce qu'ils peuvent pour maintenir un niveau de prix le plus bas possible. Mais la conjoncture de l'archipel fait que c'est extrêmement difficile. "

Marcel-Christophe Dagort


L'entretien de Marcel-Christophe Dagort, responsable commercial du supermarché Marcel Dagort de Saint-Pierre, avec Adrien Develey.

©SPM la 1ère

 

Une inflation difficilement tenable


A Saint-Pierre et Miquelon, les yaourts français font partie des quelques produits vendus à des prix aussi surprenants. Mais que ce soit le secteur de l'alimentaire, ou celui des biens d'équipement, les prix publics sont souvent 1,5 à 2 fois plus élevés que ceux constatés en France métropolitaine. Conséquence d'augmentations régulières liées à ces contraintes insulaires, et aussi à la dépendance du Canada voisin et au taux de change entre les monnaies. 

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Selon l'étude menée par Archipel Développement en 2018, en vingt ans, l'inflation générale s'établit à +76 %, soit plus du double de celle mesurée dans l'Hexagone. Alors que l'évolution des salaires, elle, reste calée sur le modèle métropolitain. 
 

La crise sanitaire aggrave l'inflation


Après plusieurs années d'amélioration, et la mise en place à la demande des autorités d'un panier d'une cinquantaine de produits alimentaires et d'hygiène à prix bloqué au supermarché (Bouclier Qualité-Prix), les voyants de l'archipel sont repassés au rouge depuis la sortie du confinement. Entre juin 2019 et juin 2020, les produits alimentaires intégrés à l'Indice des Prix à la Consommation ont flambé de 4.4 %. Et l'augmentation se serait même accélérée depuis la fin du printemps, selon les relevés de la cellule préfectorale de suivi post-covid. Des hausses qui affectent également certains secteurs non alimentaires
 

La vie chère, un enjeu d'avenir


A Saint-Pierre et Miquelon, le sujet de l'inflation locale est désormais une préoccupation partagée par tous les acteurs de terrain, inquiets de voir les jeunes locaux hésiter à rentrer après leurs études pour des raisons financières.