Sophie Michel n'hésite pas à parler des violences physiques qu’elle a subies il y a une vingtaine d’années.
Cette mère de famille est aujourd’hui apaisée et n’a plus peur de revenir sur son passé. « J’ai rencontré quelqu’un à Gap en France et nous nous sommes mariés. Au fil de notre relation, cet homme a commencé à lever la main sur moi et à m'humilier », se souvient-elle. La jeune femme tombe enceinte et donne naissance à un petit garçon. « Avec le temps, je me disais que la situation allait changer et s'atténuer mais non, ça ne s'arrêtait jamais ».
C’est seulement quelques années plus tard qu’elle s’échappe de cette emprise et sort du silence : « Je n’en pouvais plus. Les marques devenaient de plus en plus visibles, on me posait de nombreuses questions. Je ne voulais plus de cette vie-là, donc j’ai pris mes affaires et je suis partie ». Une décision difficile à prendre, car quitter une relation de violence conjugale comporte certains risques : « Ma sécurité physique et psychologique était en jeu. Tout comme celle de mon enfant, alors âgé d’un an. J’ai pris mon temps pour me préparer et quand je suis partie chez ma cousine en région parisienne, à 500 kilomètres de chez moi, je me sentais prête. J’ai déménagé ensuite à Saint-Pierre-et-Miquelon pour rejoindre mes proches. Quand on prend la décision de partir, je pense qu’il faut avoir un déclic ».
Soutien familial
Dans cette situation, seule sa famille l’accompagne. « Pour nous protéger, moi et mon fils, j’ai posé une main courante à la gendarmerie et je suis allée voir le médecin qui m’a délivré un certificat médical. Les numéros de secours n’existaient pas encore, ni les centres d’hébergement », raconte la Saint-Pierraise.
Sophie divorce et rencontre Pascal : « Avec lui, j’ai appris à me reconstruire, à retrouver un équilibre. Ensemble, nous avons donné naissance à des filles. Mon garçon s’est même attaché à Pascal. Il le considère comme son père ». La page tournée, son ancien conjoint reprend le contact. « Il est venu à Saint-Pierre avec l’espoir de me retrouver, mais ma décision était déjà prise. La première fois que je l’ai revu, j’ai eu peur, je n’étais pas sereine », affirme-t-elle. « Si j'étais restée avec lui, je n’imagine pas ce qu’il serait arrivé ».
Quand on prend la décision de partir, je pense qu’il faut avoir un déclic.
Sophie Michel
Manque de dispositifs d’accompagnement
Son seul regret, aucune structure, aucun lieu d’écoute et d’accueil ne sont mis en place pour accompagner les victimes et éloigner les agresseurs sur le territoire.
Pour le moment, seul un numéro d’urgence téléphonique (3919) est ouvert sur Saint-Pierre. Des prises en charge médico-légale (pompiers, hôpital) et juridique (accueil du palais de justice) sont assurées. Un parcours simplifié pour le dépôt de plainte est également possible (gendarmerie). « Ici, tout le monde se connaît. On est dans un cocon, les gens n’osent pas se dévoiler, ils ont peur du regard des autres et se renferment souvent sur eux-mêmes. Je pense qu’il ne faut pas se sentir coupable, ce n’est pas à nous d’être coupable, mais à notre bourreau. Si on ne parle pas, on vivra toujours avec une crainte ».
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Et de poursuivre. « Il faut se demander : pourquoi l'agresseur réagit-il de cette façon ? Quelles solutions apporter pour améliorer les dispositifs d’accompagnement ? ». Pour répondre à ces interrogations, elle, comme de nombreuses autres victimes auraient souhaité rencontrer Justine Bénin, chargée de la lutte contre les violences faites aux femmes en Outre-mer, en visite auprès des associations et des élus cette semaine dans l'archipel. « L'échange, est une solution permettant de mieux comprendre les problématiques que rencontre un territoire. Mettre en place un groupe de parole aurait été idéal pour évoquer son cheminement personnel ».
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Son cheminement à elle, Sophie en est fière : « Ce que j’ai envie de dire aux victimes c’est qu’il faut prendre du temps pour soi, et avec du recul, poser le pour et le contre. Il est impossible d’oublier ce que j'ai vécu, mais cette situation a fait de moi une femme heureuse et épanouie. J’ai retrouvé le goût et l’envie de vivre. J’essaye de faire en sorte que mon entourage soit le plus sain possible pour ne plus subir ».
La rencontre et l’échange sont des solutions qui permettent de mieux comprendre les problématiques que rencontre un territoire.
Sophie Michel