Lorsque après cinq mois de captivité en Irak, l’ex-otage française Florence Aubenas est revenue à la liberté en juin 2005, elle a fourni un détail significatif sur ses conditions de détention. Elle a expliqué qu’à un moment donné, suite à l’émoi suscité en France par la diffusion sur les télévisions d’une vidéo où elle appelait au secours, l’attitude de ses ravisseurs avait positivement changé. Ils lui avaient même offert le Coran en dix volumes.
Ce jour-là, en écoutant la journaliste Florence Aubenas, l’opinion publique française a compris, mieux que par de grands discours ou d’interminables débats, l’importance qu’il y a à se mobiliser pour un ou une otage et à le faire savoir. L’otage finit toujours, même au fin fond de sa cellule, à l’autre bout du monde, par l’apprendre d’une manière ou d’une autre, soit par des proches, soit par un changement d’attitude de ses geôliers.
Faut-il faire du bruit autour des otages ou laisser le gouvernement agir en coulisses et garder le silence sur les négociations forcément secrètes en cours ? Le débat a été effectivement posé pour Florence Aubenas et plus encore pour deux autres journalistes, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, restés 547 jours aux mains des talibans en Afghanistan en 2009.
L’époque a changé. Aujourd’hui, le silence l’emporte sur le bruit. Jusqu’à leur libération en 2011, à chaque édition du journal des chaînes de France Télévisions, les présentateurs rappelaient le décompte des jours de captivité de leurs collègues. "Cela fait x jours que nos confrères Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, ainsi que leurs trois accompagnateurs sont retenus en otages en Afghanistan. Nous ne les oublions pas, ainsi que les six autres otages français retenus dans le monde".
L’époque a changé et cela se ressent dans le cas d’Olivier Dubois. Si en 2010, personne ou presque n’ignorait qu’Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier étaient retenus en Afghanistan, combien savent aujourd’hui qu’un journaliste, correspondant pour Libération, Jeune Afrique et Le Point au Mali, est détenu dans ce pays et qu’il est le seul otage français recensé dans le monde ?
En juin 2022, comme d’autres familles confrontées avant elle à la même situation, les proches d’Olivier Dubois s’inquiètent du silence qui entoure sa captivité. Canèle Bernard, sœur du journaliste, l’a d’ailleurs déploré publiquement, après le lancement notamment d’une pétition pour sa libération.
C’est une situation qui reste dans la tête. Tous les jours on est sur internet pour voir ce qui sort sur Olivier, et sur la politique africaine qui a forcément une incidence sur sa prise d’otage. On se demande continuellement comment on va faire pour le mettre au cœur du débat public ? La pétition, c’est une sorte d’arme. Plus on met Olivier au centre du débat public, plus le peuple s’exprime et signe, plus c’est un fort encouragement, pour ne pas dire une pression sur les grandes instances françaises.
Canèle Bernard, sœur du journaliste Olivier Dubois
Faut-il faire du bruit autour des otages ? Pour le gouvernement, c’est "non", aujourd’hui comme hier. "Tout manquement à la discrétion met en péril et complique le travail réalisé. En matière d’enlèvements, il n’y a qu’une règle : c’est vraiment de respecter, le plus strictement possible, cette obligation de discrétion", souligne la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna en promettant que "tous les efforts sont déployés pour obtenir la libération d’Olivier Dubois, depuis son enlèvement".
Faut-il faire du bruit ou garder le silence ? Le débat a été également posé, lors de la captivité d’un autre otage martiniquais, Thierry Dol, détenu pendant 1139 jours au Sahel. Jusqu’à son retour le 8 novembre 2013, les enfants, les sportifs, les politiciens, les médias, bref toute l’île s’était mobilisée à haute voix, comme un seul homme, pour réclamer sa libération.
L’époque a changé. À l’exception d’un noyau dur, la Martinique est aujourd'hui moins impliquée dans la captivité d’Olivier Dubois, au moment même où Paris est en délicatesse avec Bamako. Les tensions entre les deux capitales sont connues. En août 2022, à la demande des autorités maliennes, la dernière base militaire française a été évacuée, signant la fin d’une présence qui aura duré neuf ans.
Faute de relais politiques à Bamako et faute de contacts réguliers sur le sol malien avec des intermédiaires susceptibles de pouvoir faciliter les négociations avec les preneurs d’otages, le gouvernement français n’a pas la tâche facile pour agir en faveur de la libération d’Olivier Dubois. C’est une raison de plus pour que l’opinion publique joue son rôle à fond, en sachant garder le silence quand il le faut mais aussi faire du bruit quand c’est nécessaire.