Cinq choses à savoir sur la chenille légionnaire, cet insecte ravageur qui inquiète les agriculteurs calédoniens

Ce nuisible a été identifié en début d'année sur des exploitations à Pouembout, Bourail, La Foa et Boulouparis. De quoi inquiéter le gouvernement qui a décidé de mettre en place un plan pour faire face à cette chenille qui fait déjà des ravages dans le monde.

Un insecte à la conquête du monde. La chenille légionnaire d’automne, qui a déjà ravagé l’Afrique avant de se propager en Asie puis en Australie, a débarqué en Nouvelle-Calédonie en début d’année. Conscient du risque que fait planer ce nuisible sur les champs de maïs calédoniens, qui pour certains ont déjà été durement touchés, le gouvernement a décidé de mettre en place un plan de bataille. Mais ce combat s’annonce compliqué face à un insecte aussi redoutable. NC la 1ère vous propose 5 choses à savoir sur cette chenille.

  • 1. Elle vient d’Amérique

Une grande voyageuse. Avant de se répandre aux quatre coins de la planète, la chenille légionnaire d’automne se situait à l’origine sur la quasi-totalité du continent américain, à l'exception de ses régions les plus froides. Son nom scientifique, "Spodoptera frugiperda", fait référence aux ailes à motifs gris des papillons adultes et aux ravages qu’elles occasionnent sur les fruits. Son nom courant renvoie au fait que les chenilles se déplacent en masse à l’automne.

Le papillon "Spodoptera frugiperda" après sa sortie de sa chrysalide.

Cette chenille se retrouve ainsi au Mexique et dans la partie sud des États-Unis, en Amérique centrale et en Amérique du Sud, de la Colombie à l'Argentine et au Chili. Elle peut même apparaître en fin d'été et en automne dans le nord des États-Unis et dans les provinces méridionales du Canada.

  • 2. Elle est considérée comme "une machine à détruire"

La chenille légionnaire, à l'état de larve ou de chenille, est une véritable machine à détruire : elle se niche dans la végétation entourant l'épi et s'y attaque méthodiquement, comme en attestent dans les parcelles affectées les feuilles déchiquetées et des épis en partie dévorés. 

"Ce fut une attaque-éclair et sans merci. En très peu de temps, de larges portions de terres cultivées ont été mangées", se rappelle Wycliffe Ngoda, un fermier de 64 ans des environs de Kisumu (ouest du Kenya), en parlant de sa principale récolte de 2017. Résultat: "J'ai perdu 50% de ma récolte. D'autres jusqu'à 70%", explique le cultivateur.

Le cycle de vie de la "Spodoptera frugiperda" est certes relativement court - environ un mois et demi - mais la chenille légionnaire se transforme pour ses deux dernières semaines en papillon : aux chenilles fantassins font place les divisions aéroportées, capables de parcourir 100 kilomètres en une seule nuit. 

Chaque femelle peut pondre entre 1 000 et 1 500 oeufs, assurant une croissance exponentielle à cette armée dotée d'une remarquable capacité d'adaptation. Si le maïs est sa cible prioritaire, cette chenille peut s'attaquer à plus de 350 espèces végétales, y compris le riz, le coton ou la canne à sucre, selon le Centre international pour l'agriculture et les biosciences (Cabi), une organisation à but non lucratif basée au Royaume-Uni.

  • 3. Elle a provoqué des ravages en Afrique

Officiellement détectée pour la première fois en Afrique de l'Ouest en 2016, la chenille beige et marron a débarqué vraisemblablement à bord de cargaisons en provenance d'Amérique du Sud, par mer ou par avion. "Depuis, elle s'est rapidement propagée à travers le continent. Elle fait des ravages dans plus de 40 pays en Afrique", expliquait en 2018 Boddupalli Prasanna, directeur du programme maïs pour le Centre international d'amélioration du maïs et du blé (CYMMYT). L'invasion de la chenille légionnaire a pris tout le monde de court, au Kenya comme dans nombre de pays du continent.

Pour lutter contre son invasion et ses dégâts dans les plantations de maïs, certains Etats africains ont pris des mesures de prophylaxie suggérée consistant à sauter une des deux saisons de culture de maïs par an. En vain : la chenille s'est rabattue sur les bananiers, les plans de millet, de sorgho etc.

Quelques mois plus tard, la chenille légionnaire d’automne a pour la première fois été repérée en Asie, dans le sud de l'Inde. Il se peut que l'homme soit responsable de ce mouvement. Mais il est aussi possible qu'elle soit arrivée en Inde parses propres moyens, car le papillon peut parcourir des centaines de kilomètres en une nuit avec des vents favorables.

  • 4. Elle est arrivée en Nouvelle-Calédonie en début d’année

"Ça fait dix-huit ans que je plante du maïs là, c’est la première fois que je vois ça." Début 2021, Roger Gaillot, producteur à la Ouenghi en Nouvelle-Calédonie, a eu le désagréable honneur de rencontrer la chenille légionnaire. Sa parcelle de 27 hectares de maïs a été totalement dévastée. En quatre mois à peine, l’insecte a détruit les tiges, les feuilles et hélas, les épis, soit plus de 200 tonnes de grains destinées à l’alimentation animale. "Il y a eu plusieurs générations, parce que j’en ai trouvé des grosses, des moyennes et des toutes petites. Donc deux ou trois générations ont déjà pondu et ça continue à éclore. Et voilà ce que ça fait", poursuit l’exploitant agricole. 

Les premiers spécimens ont été détectés en début d’année sur des exploitations à Pouembout, Bourail, La Foa et Boulouparis, a confirmé, mercredi 21 avril, le gouvernement calédonien. "La Nouvelle-Calédonie est quasiment autonome en production de maïs, donc l’enjeu est important pour cette filière", a averti dans un communiqué Jean-Louis d’Anglebermes, membre du gouvernement en charge de l’agriculture.

Il va falloir apprendre à vivre avec ce nouveau ravageur. La direction des Affaires vétérinaires, alimentaires et rurales participe, avec les autres acteurs, au travail qui va nous permettre de le maîtriser.

Jean-Louis d’Anglebermes, membre du gouvernement en charge de l’agriculture

 

Face à cet insecte, qui menace la filière maïs dont le chiffre d’affaires est estimé à 600 millions de francs, le gouvernement a décidé de mettre en place un plan adapté évalué à 10 millions de francs pour 2021. La stratégie repose sur plusieurs axes : la surveillance, la lutte chimique à court terme, le développement de la lutte biologique, l’adaptation des pratiques agronomiques et la communication auprès des producteurs. 

  • 5. Elle affiche une résistance inquiétante aux pesticides

Problème de taille, cette chenille est une dure à cuire. Tous les pays touchés ont ainsi vu leurs tentatives d’éradication échouer. En Afrique, et plus précisément au Kenya, l'utilisation des pesticides s'est avérée décevante malgré l'expérience des pays d'Amérique latine. La chenille légionnaire développe une résistance à l'utilisation prolongée d'un même pesticide et il faut donc en changer régulièrement pour obtenir des résultats.

Une analyse partagée par Kerstinb Kruger, professeure en zoologie à l'université de Prétoria en Afrique du Sud. "Une autre raison de la difficulté à les appréhender réside dans leur capacité à résister aux pesticides, explique-t-elle dans une analyse publié sur The ConversationOn a ainsi essayé d’éradiquer cette chenille à l’aide de maïs BT (génétiquement modifié), mais ces plantations sont toujours très controversées dans de nombreux pays africains."

Pour faire face, les agriculteurs calédoniens sont déjà sur le pied de guerre. "Il faut se former et apprendre à la contrôler", explique à NC La 1ère Antoine Perrard, dont la parcelle de maïs a été touchée à Boulouparis. Détectée déjà dans les quatre bassins de production du pays, il est en effet trop tard pour tenter de l'éradiquer. Pour contrôler la propagation de cette chenille, le groupement de défense sanitaire du végétal et ses partenaires ont mis en place un plan de gestion adapté.

Des agriculteurs devant leur parcelle de maïs à Boulouparis touchée par les chenilles légionnaires, en Nouvelle-Calédonie, le 21 avril 2021.

Car si certains produits phytosanitaires peuvent ponctuellement venir à bout de ce ravageur, à long terme les chercheurs misent davantage sur la lutte biologique, d'autant que la Nouvelle-Calédonie abrite déjà plusieurs ennemis naturels de la chenille légionnaire. "On sait qu'on a déjà un cortège d'auxiliaires, de parasitoïdes, en particulier des micro-guêpes, qui vont être capable de parasiter les chenilles, les œufs de ces papillons, assure à NC La 1ère Christian Mille chercheur en entomologie à l'institut agronomique. On espère qu'il y aura un contrôle biologique au fur et à mesure au cours de cette installation."