Gestion des risques climatiques majeurs, la Nouvelle-Calédonie très (très) à la traîne

De gauche à droite et de haut en bas : la caserne d'Ouvéa, celle de Boulouparis, un camion des pompiers de Nouméa et la caserne de Koné.
La chambre territoriale des comptes a rendu son rapport d’observations définitives sur la politique de sécurité civile dans le domaine des risques climatiques majeurs depuis 2018. Il pointe du doigt de nombreux manquements sur tous les plans. La CTC met en exergue un manque cruel de moyens matériels, humains et juridiques.

La Nouvelle-Calédonie est-elle prête à affronter un risque naturel de grande ampleur ? Dispose-t-elle des moyens nécessaires pour protéger ses populations ? Non, le pays n’en a pas les capacités et surtout les moyens. C’est en substance ce que décrit la chambre territoriale des comptes dans son rapport. Les magistrats ont épluché toutes les données depuis 2018 avant d’émettre quatorze recommandations. Quelques-unes d’entre elles sont inquiétantes. On découvre également dans ce rapport que seules douze communes sur trente-trois disposent d’un plan communal de sauvegarde. 

Aucune politique de prévention des risques

"La politique de prévention des risques en Nouvelle-Calédonie est émergente, parfois embryonnaire pour certains de ces volets", c’est ainsi que la CTC décrit la politique du pays. En clair, elle est quasi inexistante alors que la compétence de la sécurité civile a été transférée à la collectivité en 2014, et de surcroît, que le pays est très exposé aux conséquences des changements climatiques. Pourtant, la Nouvelle-Calédonie dispose de nombreuses données scientifiques pour mettre en œuvre des plans de prévention.

Pour expliquer cette déficience, l’élue Isabelle Kaloi-Bearune expliquait devant les élus du congrès que "les travaux conduits dans ce domaine sont multiples et conduits en ordre dispersé par de nombreux acteurs publics, parapublics et privés. Certains projets ne sont pas financés, tels que le projet de relevé numérique du littoral de la Nouvelle-Calédonie. Un projet réalisé pour l'ensemble du littoral français hexagonal et outre-mer, indispensable pour réaliser des simulations de submersion et d'inondation". 

Mais si la collectivité ne connaît pas les risques ou les phénomènes naturels qui peuvent impacter les populations, comment peut-elle identifier les enjeux et ainsi définir les mesures à mettre en place ?

80% de pompiers volontaires et des sapeurs-pompiers professionnels peu formés

C’est un chiffre qui témoigne de manière criante le nombre de ressources humaines. Le pays n’est doté que de 955 sapeurs-pompiers, soit 31, 5 agents pour 10 000 habitants contre 37, 3 dans l’hexagone. Ce qui est d’autant plus inquiétant est qu’un grand nombre de ces agents n’est pas professionnel. Pour établir ce constat, les magistrats ont choisi quelques collectivités ou départements  composés du même nombre d'habitants que la Nouvelle-Calédonie. Ainsi, en fonction du nombre du nombre de pompiers professionnels dans les Hautes-Pyrénées, la Haute-Loire ou encore la Polynésie française ou la Guyane, il s'avère que le Caillou est en deça du ratio règlementaire qui est de 49, 4 pour 10 000 habitants. On dénombre seulement 6, 6 sapeurs-pompiers professionnels pour 10 000 habitants. 

Seule la Polynésie-Française dispose de moins de sapeurs-pompiers que la Nouvelle-Calédonie. Toutefois, la Polynésie-Française présente le ratio le plus élevé de sapeurs-pompiers professionnels de l’échantillon, avec un ratio de 9,6 sapeurs-pompiers pour 10 000 habitants. Sur ce point, la Nouvelle-Calédonie est nettement en deçà, avec un ratio de 6,6 sapeurs-pompiers professionnels pour 10 000 habitants

Rapport de la CTC

Ajouté à cela, le manque de pompiers volontaires à la direction de la sécurité civile et de la gestion des risques, la situation est "dangereuse compte tenu du niveau et de la multiplicité des risques sur le territoire" s’inquiètent les magistrats. Sur les 122 sapeurs-pompiers enregistrés, seuls 13 sont aptes à intervenir sur des opérations de secours sur le terrain. Ils sont, à contrario, majoritaires dans les communes. En effet, 774 agents composent le vivier de volontaires, 181 sont professionnels. Cette situation peut-être "en partie soulagée par l’action autonome des provinces, par les réserves communales de sécurité civile et par les associations agrées de sécurité civile" précise la chambre. 

L’évolution du statut des sapeurs-pompiers pourrait également répondre au besoin. Sur ce point, les acteurs sont unanimes pour dire qu’il y a urgence à réformer. Selon la chambre, "la pratique est de recourir aux sapeurs-pompiers volontaires pour couvrir des besoins permanents, ce qui n’est pas interdit mais ne correspond pas à la logique d’emploi des sapeurs-pompiers volontaires". Ce problème d’effectifs en implique un autre. Un seul groupe spécialisé peut être déployé sur le terrain lors de crise majeure, par manque de moyens humains, mais aussi par manque de formations adaptées.

Qu’il s’agisse de feux de forêt ou d’assistance, les agents doivent impérativement être formés. Des personnes, notamment en brousse,  sont embauchées et occupent des postes à responsabilité pour lesquels ils n’ont peu voire aucunes compétences. Dans le rapport, on découvre que "selon la direction de la sécurité civile, le niveau de qualification des sapeurs-pompiers reste globalement insuffisant et les agents occupant des postes de responsabilité ne sont pas toujours suffisamment formés". Faute de formation, les centres de secours manquent, de fait, d’encadrants. Ainsi, "la chambre rejoint la direction de la sécurité civile pour constater que la réponse spécialisée n’est pas réellement opérationnelle, ce qui est préoccupant". 

Des moyens de communication défectueux 

Alors que le territoire est très exposé aux aléas climatiques, les moyens de communication ne sont pas adaptés à la hauteur des enjeux. Si le 18 est un numéro à composer en cas d’urgence, encore faut-il que les secours nécessaires puissent être joignables. La CTC explique que "le 18 ne sert qu’à prévenir les centres de secours communaux ou l’un des deux centres de la sécurité civile qu’un sinistre est en cours". Mais le dispositif est éclaté. À titre d’exemple, "huit communes ne reçoivent pas directement les appels du 18, passés depuis leur territoire. Ces appels sont reçus par le centre de traitement des appels de Normandie. Ce centre renvoie vers la mairie concernée si elle dispose d’un centre d’incendie et de secours. Pour les communes ne disposant pas d’un centre de secours (Pouébo, Ouégoa, Belep, Poya et l’Île des Pins), le centre d’appels de Normandie bascule vers l’officier de permanence du centre d’intervention sud de la direction de la sécurité civile, lequel sollicite le centre de secours le plus proche – qui peut refuser – ou envoyer des moyens de la direction de la sécurité civile ou s’adresser à la mairie pour qu’elle prenne des mesures adaptées (moyens des services techniques de la mairie, moyens des entreprises privées notamment minières, moyens des sapeurs-pompiers des aérodromes quand c’est possible)".

Le temps passé entre l’alerte et l’intervention est beaucoup trop long et rend le service très déficient. Une anomalie de plus dans les dysfonctionnements qui doit être réglée.

Créer une structure territoriale…

Il s’agit là de la dernière recommandation de la chambre : "créer en coordination avec les provinces et les communes une structure territoriale unifiée de gestion des moyens et des opérations de services d’incendie et de secours". Cette structure pourrait rendre le service de secours et d’incendie plus efficient. Ce manque de coordination pourrait partir du postulat que les maires craignent de perdre leur pouvoir de police sur leurs territoires respectifs. "J’ai trop souvent entendu cette crainte" déplore le Général Frédéric Marchi-Leccia, le directeur de la sécurité civile.

Je milite depuis déjà plusieurs années sur la création d'un dispositif territorial qui pourrait rassembler sous une même bannière et avec une volonté politique forte l’ensemble des moyens de secours, qui serait coordonné à l'échelon territorial. Sachant que le maire conservera toujours son pouvoir de police sur le territoire de sa commune et qui restera directeur des OP (opérations de secours, ndlr)  de secours quel que soit le volume des moyens engagés.

Général Colonel Frédéric Marchi-Leccia, le directeur de la sécurité civile

Séance au congrès de la Nouvelle-Calédonie

L’idée d’un centre territorial pourrait résoudre plusieurs problématiques auxquelles les communes sont confrontées comme le manque de moyens financiers.

…pour faire face aux sinistres

Alors que la compétence de la sécurité civile a été transférée par l’Etat à la Nouvelle-Calédonie en 2024, les textes n’ont pas évolué. Les plans ORSEC qui sont des dispositifs d’urgence de gestion de crise n’ont pas été mis à jour et sont aujourd’hui obsolètes. Il est donc urgent que la collectivité définisse son "schéma directeur d’analyse de couverture des risques et le règlement opérationnel des services d’incendie et de secours". Les communes, également, sont très à la traîne puisque seules 12 communes sur 33 disposent d’un plan communal de sauvegarde. Cela sous-entend qu’en cas d’urgences climatiques, comme les tsunamis, les communes qui en sont dépourvues n’ont aucune solution de mise à l’abri des habitants.

"Plan stratégique de la sécurité civile"

Devant le congrès, le directeur de la sécurité civile, le Général Frédéric Marchi-Leccia a reconnu que les "moyens sont restreints". Ceci étant, un "plan stratégique de la sécurité civile 2023-2026". Ce "plan stratégique" doit définir la politique de gestion des risques. Pour la définir, il faudra patienter un peu, car "c’est du terrain que remonteront les éléments qui permettront de dresser une vision globale sous la forme d’un schéma territorial d'analyse et de couverture des risques qui tracera le bilan des enjeux et des aléas qui pèsent sur ces mêmes enjeux" explique le Général.