Les échanges constructifs s’enchaînent : deux réunions ont été organisées, afin d’apaiser la situation au sein de la filière canne-sucre, après la menace d’un collectif de planteurs de mettre en place des barrages routiers. Ces derniers exigent une revalorisation du prix de la tonne de canne, via un nouveau mode de calcul de leur rémunération.
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Ce mercredi matin (21 février 2024), les présidents des collectivités régionale et départementale ont reçu les planteurs mécontents, au siège de la Chambre d’agriculture, à Convenance (Baie-Mahault).
Dans l’après-midi d’hier, c’est l’Etat qui a réuni les acteurs de ce secteur agricole, dans les locaux de la Direction de l’alimentation de l’agriculture et des forêts (DAAF), à Saint-Phy (Saint-Claude).
Il en ressort que la balle est dans le camp de l’usine de Gardel, dont la direction est appelée à jouer la transparence et à partager équitablement l’argent issu de la canne.
Région et Département à l’écoute des planteurs mécontents
Les membres du Kolèktif des Agriculteurs et les Jeunes Agriculteurs, à l’origine du mouvement de grogne contre l’actuel mode de calcul du prix de la tonne de canne, tenaient à être entendus par les présidents des collectivités majeures de la Guadeloupe. Ary Chalus, président de la Région et Guy Losbar, son homologue au Département, ont répondu à cette attente, ce mercredi matin. Des représentants de l’Union pour le développement cannier et agricole de Guadeloupe (UDCAG) étaient également conviés à la Chambre d’agriculture, dont le président Patrick Sellin était également là.
Les planteurs souhaitent que le mode de calcul du tarif de la tonne de canne soit revu, avant le début de la campagne sucrière 2024. En l’état actuel des choses, ils affirment travailler à perte, obligés de reverser leurs gains, voire plus, aux opérateurs de coupes (dont les marges ont augmenté de 12 à 43%)... sans compter le coût des intrants (la tonne d’engrais a historiquement dépassé les 1000€).
Pour eux, outre sur le sucre en vrac, leur rémunération doit aussi s’appuyer sur les gains issus de la vente des sucres spéciaux, de la mélasse et de la bagasse.
Ils exigent aussi plus de transparence, alors que la richesse saccharine des cannes est exclusivement évaluée par l’usinier, sans contrôle possible par les producteurs.
Ils dénoncent enfin le mode d’échantillonnage des cannes servant de base au calcul de leur dû.
À défaut, les planteurs militent pour un paiement suivant un montant fixe, en attendant la révision du modèle actuellement appliqué, d’ici trois ans au plus. La stratégie voulue, pour répondre à l’urgence, est le passage à 160 €/t, sans prise en compte de la richesse saccharine.
Des spécialistes ayant produit des études, dont certains mandatés par l’UDCAG, abondent en ce sens.
L’équation repose sur un protocole, le protocole signé entre l’usinier et les planteurs, qu’on appelle le protocole de réception saccharimétrique ; il est en annexe de la convention canne. Normalement, à chaque révision de la convention canne, ce protocole devrait être revu. Problème : pour la convention 2023-2028, il n’a pas été revu.
Jean-François Dorville, physicien, un des experts mandatés par l’UDCAG et le Kolèktif des Agriculteurs
Au final, suite à des échanges de propositions et contre-propositions, les parties n’ont pas réellement trouvé de terrain d’entente. Le délai est trop court pour révolutionner un système qui perdure depuis plusieurs années, selon les élus.
Pour autant, ceux-ci ont accepté d’intervenir auprès de l’Etat et de la direction de Gardel, afin de faire entendre les doléances des planteurs, qui s’estiment pris à la gorge. De l’avis des parties présentes, c’est désormais à l’usinier de mettre la main au portefeuille, pour que l’argent de la canne soit équitablement réparti.
On n’est pas venus demander, ni à la Région, ni au Département, ni à l’Etat de l’argent. On est surtout venus dire que l’usinier doit mettre, cette année, ce qu’il doit mettre.
Xavier Pajamandy, membre des Jeunes Agriculteurs
L’État ne peut pas financer l’usine à un niveau très élevé, pour que la tonne de canne soit aussi basse (...)
Ary Chalus, président de la Région Guadeloupe
Sur le principe, tout le monde doit reconnaître qu’il faut revoir le mode de calcul du prix de la canne (...). Mais, en très peu de temps, on ne peut pas refonder complètement tout un modèle économique qui date de plusieurs années.
Guy Losbar, président du Département de la Guadeloupe
Il est hors de question, pour les acteurs du Kolèktif des Agriculteurs, de fonctionner comme jusqu’à présent. À défaut de changement, les professionnels à l’origine de la grogne préfèrent tout arrêter ; d’où leur menace de blocage.
Le président de la coopérative agricole de la Basse-Terre UDCAG exprime sa grande souffrance. Pour lui, "qu’il y ait récolte ou pas cette année-ci, l’année prochaine il y aura plein de surfaces de canne qui vont disparaître".
Comment pouvez-vous me demander, en tant que producteur, de continuer à produire à perte pour faire vivre les autres ?! C’est là que je ne comprends pas !
Roméo Meynard, président de l’UDCAG, coopérative agricole
L’État à la manœuvre de son côté
Mardi après-midi, c'est à huis clos que le préfet de région a reçu les signataires de la Convention canne 2023-2028, signée le 1er avril 2023. Leurs échanges ont duré près de 4 heures, dans le but de trouver des solutions pour mettre fin à la crise.
À l’issue de cette réunion, prudemment, aucune information précise n’a été divulguée, quant à un éventuel déblocage rapide de la situation. Les pourparlers vont bon train, puisque les discussions doivent reprendre avec les planteurs.
On doit se concerter, prendre des décisions ensemble et se réunir tous ensemble, mais ne pas partir dans une division.
Grégory Titus, membre du conseil d’administration du syndicat agricole Coordination Rurale Guadeloupe
Ces diverses occasions de communiquer entre les parties laissent tout de même entrevoir une lueur d’espoir. Tous aspirent à une ouverture de la campagne sucrière dans les temps (le 1er mars en Guadeloupe dite "continentale" et le 14 à Marie-Galante), afin que la production ne soit pas perdue, après le désastre de l’an dernier. Les dates arrêtées correspondent à la période de pic de richesse saccharine des cannes.
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La Guadeloupe compte près de 3500 producteurs de cannes-à-sucre (le Kolèktif des Agriculteurs revendique 500 adhérents).
La surface cannière s’étend sur 13.000 hectares, en Grande-Terre et en Basse-Terre.
En 2023, 220 hectares sont restés sur pied, soit 12.000 tonnes de cannes ; c’est 15% de la production globale.