Les acteurs de la filière canne-sucre se sont une nouvelle fois réunis, ce mardi après-midi (20 février 2024), dans les locaux de la Direction de l’alimentation de l’agriculture et des forêts (DAAF), à Saint-Phy (Saint-Claude) ; cette fois, en l’absence des membres du Kolèktif des agriculteurs (KDA), des professionnels qui, depuis l’an dernier, multiplient les actions pour dénoncer leurs faibles rémunérations, en paiement de leur dur labeur.
Ces derniers menacent de mettre en place des barrages, ces jours prochains, afin de se faire entendre.
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Lors de la rencontre de ce jour, qui se tient à huis clos, il s’agit, pour les autres organismes impliqués, d’échanger autour de cette actualité qui n’augure rien de bon et de poursuivre les échanges, après ceux du 6 février dernier.
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En attendant, le divorce entre les syndicats et une partie des planteurs semble consommé, notamment du fait de leurs divergences de méthodes.
Dur labeur contre maigre salaire ?
La crise ne date pas d’aujourd’hui. Déjà en 2014, où le prix de la tonne de canne avait fait l’objet d’une revalorisation (une première depuis 1975), les producteurs contestaient la méthode de fixation de ce tarif, qui ne s’appuie que sur la production de sucre en vrac ; les sucres spéciaux, qui représenteraient 80% de la production de l’usine de Gardel (Le Moule), ne sont pas pris en compte dans le calcul, déplore le leader de l'Union des producteurs de la Guadeloupe (UPG).
Là, je pense qu’il y a quelques réponses à nous donner. Parce qu’en changeant simplement quelques paramètres au sein de la formule et en mettant la valeur des sucres spéciaux, plutôt que la valeur du sucre en vrac, vous verrez que, très rapidement, le prix de la tonne de cannes devrait augmenter, sans pour autant qu’on nous dise qu’on nous fait un cadeau.
Alex Bandou, secrétaire général de l’UPG
La Convention canne 2023-2028 a été signée entre l'État, la Région, le Département, les représentants des industriels et les planteurs de l’interprofession Iguacanne, le 1er avril 2023. Cette signature est l’aboutissement de quatre mois de négociations entre l’ensemble des acteurs de la filière canne-sucre ; elle devait permettre une réévaluation de la tonne de canne de 84,33€ à jusqu’à 113,33€ pour la Guadeloupe.
Mais le compte n’y est pas, pour les membres du KDA, d’autant que les coûts des indispensables intrants ont augmenté de 135% en 3 ans, expliquent-ils.
Il y avait une clause de "revoyure" chaque année ; cette année, on n'a rien entendu. Ils ont dit qu’on a été augmentés de 30% ; on n’a jamais vu ça. L’année dernière, les opérateurs de coupe ont été augmentés de 41% (...).
Antoine Pirbakas, 1er vice-président du KDA
Une filière dont les acteurs sont divisés
Les planteurs remontés se sont donc rassemblés sous la bannière du Kolèktif des agriculteurs (KDA), une association nouvellement créée qui affirme compter près de 500 adhérents.
Ces professionnels estiment que les syndicats censés les représenter ne défendent pas leurs intérêts comme il se doit. Ils affirment aussi ne pas avoir été consultés par ceux qui ont signé en leur nom la Convention canne 2023-2028.
Dans ce contexte, ils s’estiment toujours lésés, quant à la méthode de calcul du prix de la tonne de canne.
D’où le cri du cœur de Roland Pétilaire. Ce planteur se dit pris à la gorge ; il liste les charges auxquelles il doit faire face et ses griefs envers les syndicats :
On a de gros problèmes entre les planteurs de canne et les syndicalistes, parce qu’aujourd’hui, on ne comprend pas ce qu’ils font pour nous. Ils décident à notre place, sans nous consulter. Parmi tous les syndicats en place, on ne sait pas réellement, s’ils tiennent des assemblées générales, combien d’adhérents à jour sont présents.
Roland Pétilaire, planteur de cannes-à-sucre à Port-Louis (GFA Beauplan à Port-Louis)
Aujourd’hui, le secrétaire général de l’UPG, Alex Bandou, dit comprendre les raisons de la colère des membres du KDA. Il comprend aussi la demande de ces professionnels, à savoir une rémunération à hauteur de 160 à 210 € par tonne de canne.
Mais, de son point de vue, de la scission entre les syndicats et leurs mandants est le fruit d’une fine manipulation orchestrée par le directeur de l’usine de Gardel, à Moule.
Au final, l’an dernier, explique Alex Bandou, il a fallu signer la convention canne 2023-2028, afin que démarre la campagne sucrière 2023 au plus vite. Le retard pris a quoi qu’il en soit été lourd de conséquences puisque, de l’avis de tous, ce fut une année désastreuse.
On a eu un directeur de l’usine de Gardel omniprésent, qui a été suffisamment filou pour essayer de monter un collectif antisyndical. Et donc, l’an dernier, les syndicats qui travaillaient sur la convention, on a été confrontés à un collectif organisé, alimenté par le directeur de Gardel. Ils allaient tellement loin dans leur relation, qu’ils envisageaient même, Gardel et le collectif, de monter une CUMA [NDLR : coopérative d'utilisation de matériel agricole]
Alex Bandou, secrétaire général de l’UPG
Alex Bandou réfute l’accusation du Kolèktif des agriculteurs, selon laquelle les syndicats ne défendent pas les intérêts des planteurs. Pour lui, la méthode de ceux qui tapent actuellement du poing sur la table n’est pas la bonne. La Convention canne 2023-2028 étant ouverte, il est toujours temps d’en peaufiner les contours.
L’UPG se battra sur plusieurs fronts : il s’agit d’obtenir une meilleure répartition des richesses issues de la filière canne-sucre, d’empêcher les pertes liées à une éventuelle année blanche ou à un retard de lancement de campagne sucrière et, par ailleurs, veiller à ce que les démêlés locaux ne se soldent pas par davantage d’importations de sucres venus de l’extérieur.