Le gouvernement a été trop ambitieux sur ses prévisions de croissance pour l'année 2024 au moment de boucler son budget. De 1,4 %, la hausse du PIB est désormais évaluée à 1 %, a annoncé le ministre de l'Économie Bruno Le Maire dimanche dernier. Conséquence : l'État va encaisser beaucoup moins de recettes que prévu. Le ministre a donc annoncé un allègement du budget 2024 de l'ordre de 10 milliards d'euros, afin d'éviter le déraillement des finances publiques après des années de politique du "quoi qu’il en coûte".
Dans un décret publié jeudi 22 février, le Premier ministre Gabriel Attal, le ministre de l'Économie et son ministre délégué aux Comptes publics Thomas Cazenave ont précisé l'effort que devront faire l'ensemble des ministères. Car tous les postes de dépense de l'État sont concernés : baisse de 2,2 milliards d'euros à l'écologie, 1,1 milliard d'euros au travail et à l'emploi, 692 millions à l'éducation, 307 millions à la solidarité, l'insertion et l'égalité des chances, 70 millions d'euros à la santé...
78,8 millions d'euros en moins pour les Outre-mer
Le ministère des Outre-mer doit lui aussi faire des économies. Sur les 2,8 milliards de crédits alloués à la mission Outre-mer pour l'année 2024, le gouvernement a donc décidé d'en annuler 78,8 millions (-2,8 %). Une baisse "inadmissible" pour le député guyanais Davy Rimane (Gauche Démocrate et Républicaine), par ailleurs président de la Délégation aux Outre-mer à l'Assemblée nationale : "Ces annulations affectent doublement les Outre-mer, dénonce-t-il dans un communiqué. D'une part, ces territoires sont victimes des mesures concernant le régalien, et, d'autre part, de celles portant sur la mission 'Outre-mer'."
Quant au député guadeloupéen Elie Califer, il s'interroge : " Comment peut-on, en deux/trois mois, changer de cap aussi subitement ? Cette coupe budgétaire est d’une très mauvaise tonalité. Elle est un mauvais signal lancé par le Gouvernement qui a pourtant lui-même adopté ce budget fin 2023 à base de 49-3. Elle invite à se questionner, si ce n’est même à douter de la méthodologie budgétaire qui guide la majorité."
Dans le détail, la baisse du budget dédié aux territoires ultramarins concerne deux postes de dépenses. C'est le premier, intitulé "conditions de vie Outre-mer", qui voit une bonne partie de ses crédits diminuer (-74 876 808 €). Ces dépenses concernent principalement la continuité territoriale, la politique du logement, l'aménagement du territoire... L'autre poste de dépenses, "emploi Outre-mer", perd 3 921 959 €.
Contactés, les ministères de l'Intérieur et celui des Outre-mer n'ont pas apporté de précisions sur l'impact précis de ces économies sur les différents dispositifs déployés en Outre-mer. Jeudi, le directeur de LADOM (L'Agence de l'Outre-mer pour la mobilité) Saïd Ahamada se voulait toutefois rassurant sur la politique de continuité territoriale, alors que le gouvernement avait augmenté ses moyens pour aider au déplacement des Ultramarins entre l'Hexagone et leur territoire. "L'ambition reste à son niveau", assurait-il, sans pour autant savoir dans quelle mesure l'agence qu'il dirige sera impactée par ces baisses. "On fera en sorte qu'il n'y a pas d'impact sur les dispositifs qui sont les nôtres. On travaillera de manière encore plus efficace s'il le faut."
Des territoires en crise
"Le Sénat avait vu juste", estime de son côté la sénatrice de Saint-Barthélemy Micheline Jacques (Les Républicains), dont le groupe avait milité pour une baisse du budget général de l'État. Présidente de la Délégation sénatoriale aux Outre-mer, elle reconnaît néanmoins "que les Ultramarins ne vont pas comprendre que l'on puisse ponctionner sur le budget des Outre-mer", alors qu'ils accumulent les crises économiques, sociales, sécuritaires, environnementales...
Je pense, et j'en suis convaincue, que le gouvernement pourrait trouver des économies structurelles dans l'efficacité de la dépense publique, mais en adaptant au mieux le cadre normatif.
Micheline Jacques, sénatrice LR de Saint-Barthélemy
Son collègue de Guadeloupe et ancien ministre des Outre-mer Victorin Lurel (Socialiste, Écologiste et Républicain) déplore l'entêtement du gouvernement "dans sa stratégie d'appauvrissement de l'État en refusant de chercher de l'argent où il se trouve et en préférant opérer des coupes sèches sur l'ensemble des politiques publiques". Selon lui et ses collègues de gauche, l'exécutif devrait plutôt taxer les superprofits et rétablir l'impôt sur la fortune pour augmenter ses moyens.
Arrivée au ministère des Outre-mer il y a deux semaines seulement, la nouvelle ministre déléguée Marie Guévenoux devra ainsi s'accommoder d'un budget amoindri, alors que le gouvernement s'est engagé à mettre en œuvre rapidement plusieurs mesures pour améliorer le quotidien des Ultramarins. La tâche s'annonce ardue, tant les crises s'enchaînent en Outre-mer, comme elle a pu le constater au lendemain de sa nomination en se rendant à Mayotte, alors que le département était bloqué par des barrages.
"Cette politique austéritaire de casse des services et des politiques publics fait le lit des prochaines crises et ne manquera pas d'alimenter légitimement des colères qui risquent d'ajouter à une terrible crise sociale, une profonde crise politique et démocratique", prévient le sénateur socialiste Victorin Lurel.