Que restera-t-il du Centre Hospitalier Universitaire de la Guadeloupe ?

Le CHU de Pointe-à-Pitre, Les Abymes.
Déjà cinq mois depuis le début du conflit contre l’obligation vaccinale. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, des paroles et des actes aussi. Mais le CHUG lui, qui passe de crise en crise depuis l’incendie, ne sait même pas s’il pourra se relever pour aborder son prochain déménagement en 2023.

Le jour se lève à peine et elle doit se préparer pour rejoindre son service à Palais Royal.

Depuis la crise, il a fallu s’adapter. Ici, on fait des vacations de douze heures. Une adaptation nécessaire pour garantir la qualité des soins prodigués et la permanence d’un personnel médical devant les patients.
Infirmière dans l’un des services relocalisés sur ce site, elle se souvient de l’incendie dont l’impact avait été direct pour son service.

Et puis la longue escale à la Polyclinique, puis une nouvelle escale avant d’arriver à l’autre extrémité des Abymes.

Et par-dessus tout, elle se souvient de la mobilisation de tous pour faire avec, faire malgré tout, faire davantage encore que ce qu’il fallait faire. Elle se souvient de la grande solidarité entre tous. Il y avait des personnels qu’elle n’avait jamais rencontrés et qui se sentaient vraiment sur le même bateau qu’elle.

Elle se sentait fière d’appartenir à ce monde-là, son monde.

Mais les crises se suivent et ne se ressemblent pas.

Il y a ensuite eu le coronavirus. Une "grippette" qui ne durerait pas, disaient certains.
La première, la seconde et la troisième vague avaient d’ailleurs renforcé cette impression. Au point que certains étaient même sûrs que les rimèd razyé étaient ce qui protégeait les Guadeloupéens.
A vrai dire, le confinement particulièrement bien respecté et l’arrêt quasi total de la vie y étaient pour beaucoup. Alors, quand la quatrième vague a frappé aux portes de la Guadeloupe, beaucoup n’ont pas compris. Il fallait se battre pour s’en sortir, se battre contre le découragement, se battre face à l’afflux de malades, se battre et toujours continuer à se battre face aux inévitables décès…
Et enfin, se battre désormais contre un ennemi d’un genre nouveau, qu’on n’aurait jamais imaginé devoir affronter un jour. Mais il était là, bien dressé devant eux : la division radicale des personnels à propos de la vaccination.

Stress, angoisses et peur…


Au début, elle avait l’impression que l’on finirait par se comprendre et que tout rentrerait dans l’ordre. Mais progressivement, les positions se sont figées. Pire, des camps se sont formés. Vaccinée, elle s’est vue devenir paria pour certains de ses collègues. Pour faire respecter leur choix, ils estimaient désormais avoir le droit d’insulter ceux qui avaient fait un autre choix.

Le climat était tel que même des personnels vaccinés préféraient ne pas en faire état pour ne pas être catalogués par les autres.

Ce qu’elle vivait là, c’était tout l’établissement sur l’ensemble de ses pôles qui le subissait. Pas un service, pas une personne à quelque service qu’elle appartienne, ne pouvait s’en sortir indemne. Et ce matin-là, en se préparant pour aller remplacer l’équipe de nuit, elle y réfléchissait encore et ne ressentait que stress, angoisses et peur :

 « Stress, car l’ambiance sociale et sanitaire est pesante au quotidien et qu’on doit malgré tout puiser dans nos ressources pour faire notre travail correctement et avec le sourire.


Angoisses, parce que, étant en sous-effectif, pour moi, notre travail n’est pas fait de façon optimale !
Le relationnel, l’accompagnement, le fait de rassurer, d’écouter, n’ont plus vraiment de place. Le travail d’équipe est gâché !


Peur, car je sens que tout le monde est à bout de souffle. Nous venons faire nos heures de travail comme des robots. Le mot humain n’existe plus. »

Et après un instant de réflexion encore, elle ajoute :

« Je crois que ce qui me manque le plus c’est de retrouver mes collègues chéries... »


Un mot qu’elle prononce sans pouvoir s’empêcher d’écraser une larme qui a échappé à ses yeux qui se sont embrumés pendant qu’elle s’exprimait.

Une larme, une de plus depuis le début de cette guerre de position qui s’est ensuite transformée en guerre de tranchées.

Son angoisse, ils sont nombreux à la ressentir. Mais personne n’ose s’exprimer en public, de peur des représailles. D’ailleurs, quand ils acceptent de témoigner, c’est toujours de manière anonyme, avec l’assurance que l’on ne mentionnera pas leur vrai service d’affectation.

Une ambiance que l’on n’aurait crue possible que dans les films d’espionnage du temps de la guerre froide. Mais aujourd’hui, c’est bien celle qui règne dans les couloirs et aux entrées des pôles du CHUG et les évènements de ce mardi 4 janvier n’ont fait qu’accroître l’intensité de ce climat.
Un paroxysme que la manifestation de soutien dans le hall de l’hôpital a voulu exprimer au grand jour.

 
Derrière cette unanimité, il y a des histoires individuelles qui finissent toutes par se ressembler. Ce jeune interne avait désiré venir au CHUG. C’est vrai, il y a le classement, mais il avait vraiment l’impression de mettre le plus tôt possible ce qu’il avait appris au service de sa Guadeloupe natale. Désormais, il n’est pas sûr de vouloir y rester.

Ailleurs, on sera peut-être considéré comme des scientifiques qui ont quelque chose à apporter à la médecine et à la population. Ici, tout le monde sait mieux que nous ce qui est bon pour la santé.

Quand on doute d’une telle façon des avancées de la médecine et qu’on la banalise avec toutes sortes de propos tenus sur les réseaux sociaux, outre la COVID, il y a tant d’autres maladies à soigner.

Quelle confiance on peut avoir en son médecin pour traiter un cancer si on estime qu’il va nous empoisonner en nous conseillant un vaccin ?

Et cette autre interne avait accepté volontiers l’affectation qui lui avait été proposée en Guadeloupe, loin de sa Charente natale, parce qu’elle estimait qu’un malade, qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, est d’abord une personne à soigner.
Et puis, il y a eu ce jour où un mouvement de personnes l’avait particulièrement effrayée alors qu’elle arrivait sur le site de l’hôpital. Avec cette impression qu’on lui en voulait personnellement, qu’on en voulait à sa vie, elle qui venait pour sauver des vies.

"Etre pris à partie à cause de sa conscience professionnelle"

Le travail accompli, les résultats obtenus, les efforts en équipe pour aller toujours plus loin dans la qualité des soins, tout cela semble être oublié.
Comme si tout cela n’était pas la première raison d’être du CHUG.
La seule d’ailleurs.

Une réflexion que cette jeune femme, médecin dans un service de pointe, se fait avec une tristesse qu’elle ne peut même plus cacher.
Venue d’ailleurs, elle  a eu de multiples propositions formulées par des hôpitaux de l’hexagone et même d’ailleurs. Mais il y avait ce quelque chose de particulier qui l’attachait au CHUG, au point de repousser toutes les autres propositions.
Mais aujourd’hui, elle est amère. Tout cet investissement personnel semble n’avoir aucune valeur pour ceux qui, pour défendre leur position, détruisent progressivement ces socles de qualité que le CHUG a eu tant de mal à bâtir.

"…La souvenance et la considération d'un patient pour un médecin, d'un Guadeloupéen pour un soignant est devenue si rare… les soignants sont pris à partie pour être vaccinés ou pour avoir une conscience professionnelle...  je ne réponds plus...  comment faire comprendre que ce ne sont pas mes amis et ma famille que je soigne quotidiennement au prix de ma lassitude physique et psychique..."

Lassitude d’un combat qui n’était pas le leur et qu’il fallait mener en même temps que des vies étaient encore à sauver.

Un CHUG vidé de son savoir-faire

Bien sûr, la question de la mise à pied de certains de leurs collègues, en raison de leur refus de la vaccination, ne les divise même pas. Ils auraient tous préféré qu’une autre solution soit trouvée.
Raison d’ailleurs pour laquelle, ils comprennent encore bien moins que certains de ces mêmes collègues ne s’opposent pas aux violences qu’ils subissent, depuis toutes ces semaines de mobilisation, et alors même que chacun sait qu’en y entrant, c’est leur mission de soignants, la raison d’être de tous, vaccinés ou non, qu’il leur revient d’assumer au nom de tous.

Ils ont du mal à comprendre qu’on veuille leur faire subir les revers d’une décision gouvernementale face à laquelle l’établissement n’a qu’une option possible : l’appliquer.

Ils ont du mal à comprendre que, justement, l’intérêt des patients, que tous disent vouloir garantir, ne pèse pas autant que le reste dans la balance du conflit.

Et puis, ce n’est même plus un murmure. Au début de la crise, le CHUG avait tout mis en œuvre pour prouver son attractivité. A grand renfort d'explications médiatiques, il avait fait savoir qu’il avait son quota habituel d’internes. Preuve, disait-il, que la crise n’avait pas affecté l’apport en internes, nécessaire pour que la qualification universitaire lui soit reconnue et surtout, pour la bonne marche des services.

Mais quelques mois plus tard, plus personne n’en parle vraiment. Ce n’est d’ailleurs un secret pour personne, les internes actuels sont obligés de rester et très peu le font de bon gré. Et ils ne sont pas les seuls. Les spécialistes aussi regardent ailleurs. Ce que notre médecin résume ainsi, presqu’à regret de se l’avouer :

 Je n'ai pas envie de quitter mais je m'y sens contrainte par la force des mots méprisants et la violence des actions populistes... 

 

Une situation chaque jour un peu plus compliquée

N’en déplaise à certains, la guerre contre l’obligation vaccinale concerne de moins en moins le CHUG.
Petit à petit, les agents de l’établissement ont accepté de se placer dans le cadre dessiné par la loi.
A l’heure actuelle, la plupart des personnels soignants sont désormais vaccinés et les personnels administratifs et techniques s’y soumettent progressivement. Ils composent encore le plus grand nombre des réfractaires à la vaccination. Moins de 5% des personnels du CHUG.
Progressivement, le mouvement concerne surtout les médicaux et paramédicaux du secteur libéral encore réticents à la vaccination.

De fait, de moins en moins de personnels du CHUG sont suspendus et peuvent donc reprendre leur travail.
Mais cette normalisation progressive ne traduit que le retour des personnels à leur poste de travail, elle ne signifie aucunement un fonctionnement normal de l’établissement.
Parce que les stigmates du conflit sont désormais inscrits durablement en chacun d’entre eux. Les uns se seront sentis contraints et forcés de se faire vacciner et ont déjà un goût amer d’un conflit qui se termine pour eux par l’acceptation de ce qu’ils refusaient au début. L’amour-propre en prend un coup. Alors, certains sont en arrêt maladie. Et quand on revient, on en veut à tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec soi durant le conflit, leur faisant presque payer ce que la loi a exigé d’eux.

Les autres ont encore en mémoire, les exactions, les menaces, les insultes et tant d’autres choses qui seront difficiles à oublier. Bien sûr, praticiens dans l’âme et dans les gestes, tant qu’ils seront là, ils veilleront tous à faire pour le mieux. Mais personne n’est dupe : l’esprit n’y est plus. Ce qu’une jeune médecin résume en disant :

Nous naviguons à vue dans ce climat anxiogène.
On se lève et on va au CHU en se demandant ce qu’on va encore rencontrer ce qui va encore se passer. Et, vu l’état des relations humaines, on se dit que plus rien ne sera jamais comme avant. 

Et au milieu de tout cela, le Directeur Général. Contre vents et marées, il reste à la barre. La crise lui a appris à naviguer dans tous les états de l’océan social où le CHUG flotte autant que possible. L’épisode de mardi dernier n’a en rien entamé sa détermination.

Voir : Le CHU de la Guadeloupe dénonce la violente agression de son directeur, Gérard Cotellon

Gérard Cotellon se souvient de son arrivée et des mots de Gaby Clavier à son propos. Presque bienveillants malgré la réserve syndicale. Depuis, c’est au tribunal que leur relation conflictuelle les a conduits, comme si quelque chose d’autre animait l’antipathie viscérale que le syndicaliste voue au directeur de l’établissement. Entre insultes et menaces, l’homme s’est fait une raison.

Garant de la cohésion sociale au sein de l’établissement, il ne veut s’exprimer que dans cette optique. Malgré son grand objectif à moyen terme, en l’occurrence l’entrée dans le nouveau CHUG à Dothémare, il n’a les yeux rivés que sur le baromètre sanitaire. Il voit déjà l’augmentation des cas de contaminations et sait qu’elle se traduit toujours quelques semaines plus tard par une pression sur l’hôpital. Pour l’instant, il faut s’y préparer. Il faut veiller à ce que tous les personnels se sentent vraiment à leur place au sein de ce grand paquebot sanitaire.

Mais précisément, c’est peut-être le plus gros combat de sa carrière qu’il doit mener aujourd’hui. Il ne dépend d’aucune stratégie financière, d’aucune ingénierie médicale. Reconstituer la communauté hospitalière au sein de l’établissement qu’il dirige. Cela ne dépend pas de lui aujourd’hui, mais essentiellement du moral des troupes. Lui, il le dit à qui veut l’entendre : Il ira jusqu’au bout de sa mission.

En filigrane, l’homme n’hésite pas à souligner qu’il lui importe de faire du CHUG un établissement qui fonctionne et pour cela, il le souligne lui-même, il faut remettre de l’ordre dans une situation que trente années de pratique ont progressivement générée.

Gérard Cotellon directeur du CHUG

Et c’est peut-être là, la source cachée de la guerre frontale que l’UTS-UGTG a décidé de lui livrer. Parce que, dans la tête du directeur général, mettre de l’ordre c’est remettre en question les potentats usuels pour en revenir à un fonctionnement normal.
Et en la matière, Gérard Cotellon ne s’est pas fait que des amis.
Mais pour lui, l’entrée à Dothémare passe aussi par cette normalisation pour ne pas gangréner le nouveau CHUG avant même sa mise en service.

Mais en l’état actuel des choses, à court, moyen ou long terme, les objectifs ne manquent pas sur la table de Gérard Cotellon. Mais le premier auquel il doit maintenant s’attaquer, c’est le rétablissement du vivre ensemble au sein du CHUG, et ce en sera pas une mince affaire
Alors, dans un mot commun, bien avant les incidents de cette semaine, alors que les dernières heures de 2021 sonnaient déjà, le directeur de l'établissement et le président du Comité Médical avaient tenu à remercier les personnels de l'hôpital pour leur engagement professionnel sans faille, malgré la crise.

Des mots que chacun aura entendu selon ses ressentiments.