Une victoire peut en cacher bien d'autres ...

L'ordonnance du Tribunal Administratif en faveur de la demande de l’UGTG face à l’ARS et au CHU quant à leurs prises de décision pour protéger les Guadeloupéens du Coronavirus, a ouvert un champ de possibilités qui dépasse de beaucoup ce seul contexte et l'unique périmètre de la Guadeloupe
 
S’il s’agissait d’une autre affaire où l’exécution de la décision judiciaire ne supposait aucune autre suite que son application, l’histoire ne souffrirait d’aucune interrogation. Mais en la matière, elle n’a pas manqué d’en susciter.

Ordonnance du Tribunal Administratif de Basse-Terre


D’abord, cette ordonnance de l’institution judiciaire en faveur de l’organisation syndicale est à marquer d’une pierre blanche. Se battant souvent sur des principes qui peuvent dépasser la sphère sociale, l’UGTG a fréquemment voulu bousculer les décideurs politiques et administratifs, sans pour autant y parvenir. Ses requêtes ne sont pas toujours suivies de succès.

Alors, pourquoi celle-ci ?


En fait, il faut entrer de plain-pied dans l’argumentation pour comprendre ce dont il s’agit. Formellement, le syndicat attaque l’ARS et le CHU pour leur imprévision, notamment, pour l’approvisionnement en masques sanitaires, en tests de dépistage, et même en chloroquine. Chacun sait que, sur ces questions, l’Agence Régionale de Santé et de fait, le CHU, ne font qu’appliquer les décisions gouvernementales avec les moyens que l’Etat leur octroie. Or, tandis que l'ordonnance du Tribunal était rendue publique, le Chef du gouvernement et son ministre de la santé  étaient en direct devant les Français, pour une explication de texte sur leur gestion de la crise et sur leurs décisions notamment de commander en masse des masques et des tests afin de pourvoir les établissements de santé et, plus généralement, les intervenants nécessaires à la bonne marche du pays.
Le Syndicat comme le tribunal ne pouvaient ignorer que les interlocuteurs désignés, l’ARS et le CHU, n’ont aucune autonomie de décision en la matière. Preuve s’il en fallait, lors de la crise de l’incendie du CHU, l’organisation syndicale a mené un combat au nom des personnels de l’hôpital, pour que des mesures réelles soient mises en œuvre pour leur sécurité et leur protection sanitaire. Or, sans faux-semblants, elle s’est adressée au gouvernement, faisant constater le manque de réalisme dans les décisions des prédécesseurs de Valérie Denux et Gérard Cotellon et en appelant directement au gouvernement pour la gestion de cette crise. Ses premiers échanges avec la nouvelle directrice de l’ARS puis avec le nouveau directeur du CHU, la feront d’ailleurs se tourner une nouvelle fois vers le gouvernement, le rendant directement responsable des décisions prises, ou non prises, par la direction de l’ARS et du CHU.
Il est donc évident qu’à leur niveau, les deux mis en cause ne sont que les relais de la politique gouvernementale. La décision du Tribunal Administratif s’adresse donc au gouvernement, puisque c’est lui, et lui seul, qui peut permettre au CHU et à l’ARS d’appliquer la décision judiciaire. D’ailleurs, en sortant du cadre de la question posée par le syndicat pour demander une décision applicable à tous les Guadeloupéens, le Tribunal a, de fait, sous-entendu l’implication de l’Etat dans l’application de sa décision.

Une victoire pour qui ?

C’est la question qui s’impose ensuite. Puisqu’on sait que les deux interlocuteurs visés ne peuvent appliquer par eux-mêmes la décision, il faut donc conclure qu’ils n’auront pas les moyens de la mettre immédiatement ou à court terme en application. Concrètement, il n’y aura pas de distribution de masques, de tests ou de chloroquine à chaque Guadeloupéen cette semaine.
Mais en sortant de son cadre social pour une nouvelle fois, et cette fois sans le cadre très large du LKP, l’UGTG permet à toutes les sphères décisionnelles de la Guadeloupe et plus généralement à l’opinion publique, de constater que ses domaines d’intervention n’ont pas de limite et qu’elle se pose désormais, sans le LKP, en force politique en Guadeloupe. Son avocat Patrice Tacita, interrogé par Guadeloupe la 1ère, n’a pas manqué de souligner qu’au-delà de la défense des salariés, l’organisation syndicale se positionne pour que l’on sache qu’elle s’exprimera aussi hors du champ social.
Pour sa part, le Tribunal Administratif aura saisi l’occasion de battre en brèche l’idée qu’il favorise les décideurs administratifs et politiques contre les organisations syndicales. Une telle décision ne lui coûtait pas grand-chose sur le fond, les deux parties y ont trouvé un avantage, et, sur la forme, il a pu renforcer l’image d’une justice impartiale. Mais si ce jugement peut encore être remis en cause par le Cour administrative, ces mots du Tribunal Administratif de la Guadeloupe seront probablement scrutés minutieusement :

« S’il convient d’être prudent sur les résultats de cette étude et sur les effets de ces médicaments, il n’en demeure pas moins que, là encore au nom du principe de précaution, et pour les mêmes raisons qu’évoquées au paragraphe précédent, il est nécessaire d’anticiper les besoins de la population, sauf à porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie. »

Des mots qui devraient désormais faire jurisprudence et susciter de nombreuses autres affaires. Preuve s’il en fallait que cette décision du Tribunal Administratif ne se limitait pas lui non plus, au seul périmètre de l’Archipel Guadeloupéen.