Il est 20h. Comme chaque mercredi et vendredi, pendant la saison carnavalesque, le terrain de la Rénovation urbaine à Cayenne vibre au rythme de Kassialata. Les sons des tomes et des caisses claires se font entendre dans plusieurs rues parallèles, de quoi attirer les jeunes riverains du quartier.
"Une association, c’est l’aspect social" souffle Stéphane Sainte-Foie, dit "Phano", chef d’orchestre et président du groupe. "On fait beaucoup de choses hors carnaval. Tout le monde voit que le carnaval c’est de l’amusement mais faut pas croire (…) il y a moins de jeunes en perdition car même s’ils ne sont pas intégrés dans le groupe, certains viennent assister aux répétitions, ils sont là. Il y a moins de vols, de braquages, de vols à l’arraché…"
Les gens ne s’en rendent pas compte : bien que l’association fonctionne via des cotisations, certains jeunes n’ont pas les moyens et c’est là où l’aspect social entre en jeu. Beaucoup de jeunes ne travaillent pas et on essaie de les placer.
Stéphane Sainte-Foie, dit "Phano", président de Kassialata
Transmettre l’amour du carnaval de rue, "presque en perdition"
Kassialata regroupe plus d'une centaine de personnes dont une quarantaine de danseurs, 84 musiciens, les membres actifs du bureau, les porteurs d’eau… "Tout ce qui concerne la logistique. Ça fait un tout. Le plus jeune a 16 ans, le plus âgé a la soixantaine" complète Phano.
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On essaie de composer avec tout le monde afin d’avoir une belle cohésion. On veut transmettre à la jeunesse pour que la tradition du carnaval de rue perdure.
Stéphane Sainte-Foie, dit "Phano", président de Kassialata
Le plus jeune du groupe, c’est Mohann Noncent. Casquette vissée sur la tête, le regard concentré… Le musicien bouge ses baguettes sur sa tome en rythme, de manière automatique : "comme on connaît les sons, ce n’est pas trop compliqué. Au début, c’est un peu dur mais avec l’habitude ça va" confie-t-il.
Quand on lui demande pourquoi il est dans un groupe, la réponse est limpide : "depuis petit, grâce à mes cousins j’aime le carnaval et c’est pour cela que j’ai décidé de jouer dans un groupe" commente Mohann, des étoiles plein les yeux. "Mon premier défilé ? C’était à Cayenne. C’était bien, il y avait beaucoup de monde et ça s’est bien passé" se souvient-il d’un air rêveur.
Des jeunes comme Mohann, il en faut pour faire perdurer le carnaval de rue, "presque en perdition. Si on ne le transmet pas à notre jeunesse, on risque de ne plus en avoir" souligne Phano. "Pour faire perdurer ça, il faut déjà avoir l’amour du carnaval de rue".
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Il y a beaucoup de jeunes qui veulent entrer dans un groupe non pas parce qu’ils aiment le carnaval mais parce qu’ils veulent être dans un groupe populaire car ils aiment la popularité. Moi, je me bats contre ça.
Stéphane Sainte-Foie, dit "Phano", président de Kassialata
Pour que le carnaval de rue se passe bien, "il faut avoir trois éléments fondamentaux" insiste Phano :
- la musique,
- la tenue,
- la danse.
"S’il nous manque un élément, on n’est pas en phase. On essaie de transmettre ça aux jeunes qui viennent vers nous et qui veulent faire partie de l’association".
Dans le groupe, certains préfèrent jouer de la musique, d’autres danser. Dès que le jeune s’épanouit, c’est le plus important.
Stéphane Sainte-Foie, dit "Phano", président de Kassialata
Des costumes contemporains pour émerveiller le public
Les tenues, parlons-en. Au-delà de la musique, Kassialata c’est aussi cette vague colorée que l’on voit lors des parades dominicales.
"On a une responsable costume : c’est ma fille". En termes d’organisation, "je lui propose des dates et lui demande un calendrier. Elle me propose également des tenues, que je valide pour chaque dimanche. Il faut être dans une perpétuelle réflexion et imagination car le carnaval, c’est coloré et festif avant tout" souligne Phano. Les tenues validées, direction chez les couturiers.
Il y a un éternel débat entre le traditionnel et le contemporain. Nous, on a choisi le contemporain. Libre à nous. Certains vont vers le traditionnel. Ça fait un melting-pot.
Stéphane Sainte-Foie, dit "Phano", président de Kassialata
Quid de la danse ?
Parmi les groupes de carnaval de rue, Kassialata fait partie de ceux qui proposent des chorégraphies. À quelques mètres des musiciens, on retrouve des danseurs dirigés par Mona Noncent, danseuse et l’une des chorégraphes de l’association.
"Déjà 11 ans que je suis au sein du groupe et depuis 2016-2017 je suis chorégraphe. Aujourd’hui on transmet notre expérience aux jeunes de cette génération" sourit-elle, essoufflée par les mouvements de danse qu’elle vient d’effectuer.
Avec le temps, la chorégraphie est devenue importante au sein d’un groupe de carnaval. Avec internet, tout passe à travers le monde virtuel : Instagram, Facebook… On est obligé de produire pour proposer au public quelque chose de beau et de joli.
Mona, danseuse et chorégraphe de Kassialata
Ce que le public voit chaque dimanche, "ce sont les mêmes chorégraphies : elles ne changent pas car on s’entraîne sur le long terme sur tous ces mouvements. C’est tout un travail derrière. C’est pour cela aussi que l’on a des séances de cardio les lundis pour se produire correctement dans les rues. C’est très sport et il y a beaucoup de rigueur" souligne Mona.
Mona, c’est aussi la mère de Mohann. "Mon fils et moi vivons la même passion. Lui il est musicien, moi danseuse. Ça me fait vraiment plaisir qu’il évolue dans le même groupe que moi. Il est ravi d’être dans ce groupe. On se motive tous les deux". Pour Mohann, c’est une fierté partagée que de voir sa mère dans ce groupe : "elle s’amuse et ça me fait plaisir de la voir comme ça". La danse ? Très peu pour lui en revanche… "Je préfère jouer d’un instrument" répond-il timidement.
Ce soir-là, c’est sous un temps mi-figue mi-raisin que les répétitions se sont déroulées. Pas de quoi perturber le groupe. "La pluie ne nous arrête pas et ne nous arrêtera jamais, que ce soit en répétition ou les dimanches lors des défilés" conclut Mona, d’un ton déterminé. Une détermination que l’on retrouve chez chaque membre de Kassialata.