INTERVIEW. Pour Nouméa, "les exactions qui ont été commises représentent huit milliards au bas mot", évalue la maire Sonia Lagarde

Sonia Lagarde, maire de Nouméa, interrogée à l'hôtel de ville le 21 juin 2024, près de six semaines après le début des violences.
Le coût des dégâts subis depuis la mi-mai par la ville de Nouméa est évalué, de façon provisoire, à huit milliards de francs CFP. Le conseil municipal qui se tenait jeudi soir a été l'occasion de constater l'impact des émeutes. Au lendemain de la séance, entretien avec la maire, Sonia Lagarde,

Le conseil municipal de Nouméa avait lieu ce jeudi soir. Il a approuvé les comptes administratifs pour l'année 2023. Mais après la vague de violences et de destructions que la première ville calédonienne vient de connaître, une grande incertitude plane sur les finances communales. Entretien. 

NC la 1ère  : Pouvez-vous tirer un premier bilan de ce que les destructions vont coûter ? Est-ce qu'on peut le chiffrer ?  

Sonia Lagarde : Toutes les exactions qui ont été commises dans la ville représentent aujourd'hui huit milliards [de francs CFP]. Cela comprend les écoles qui ont brûlé, les deux médiathèques, le pôle de service de Rivière-Salée, les 57 caméras de vidéosurveillance hors service, plusieurs dizaines de véhicules, une partie de nos ateliers municipaux, les routes qui sont très endommagées… La liste est relativement longue. On est en train de faire le bilan de tout ça, de voir avec l'assurance et les experts. Mais au bas mot, c'est huit milliards.

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Est-il prévu de reconstruire, de réparer, ce qui a été détruit ?

S.L.: Il y a une priorité qui est devant nous, c'est celle de réparer les routes, déjà. Il y a eu des barrages et des feux, le bitume a fondu… L'autre priorité est bien évidemment de reconstruire les écoles. Parce qu'on en est à prioriser ce qu'on va pouvoir faire : les routes, et les écoles. Le reste viendra après, quand on aura à nouveau de quoi faire les travaux nécessaires.  

Sur le court terme, que deviennent les élèves qui n'ont plus d'école ? 

S.L.: On rencontre encore des difficultés sur les quartiers Nord, en particulier Rivière-Salée et la zone de Ducos. Des écoles ont brûlé. On n'est pas à même aujourd'hui de pouvoir replacer les enfants. La rentrée scolaire va se faire de manière échelonnée, avec un suivi pédagogique pour les enfants qui ne vont pas à l'école. On espère pouvoir les "recaser" dans d'autres établissements. Ce n'est pas si simple.

Quel est l'impact pour les finances de la ville et ses salariés ?

S.L.: Nos finances sont au plus bas, puisque la Nouvelle-Calédonie est en cessation de paiement. Les communes perçoivent chaque mois des fonds qui nous viennent de la Nouvelle-Calédonie. Mais comme la Nouvelle-Calédonie n'a plus de trésorerie, plus rien n'arrive dans les communes.

On a en caisse aujourd'hui, je vais vous le dire très franchement, 800 millions.

Sonia Lagarde, maire de Nouméa

Avec près de 1 800 agents, les salaires coûtent environ 650 millions par mois. 650 millions avec les charges. On va pouvoir payer le mois de juin, le mois de juillet, sans pouvoir payer les charges sociales de la Cafat. Et tout le monde est dans le même bain. Pas seulement la commune de Nouméa, les autres communes aussi.

Dans ce contexte, quelle visibilité avez-vous pour le reste de l'année ?

S.L.: Il faudrait que la Nouvelle-Calédonie nous verse ce qu'elle nous doit, chaque mois. Elle est dans l'impossibilité de le faire aujourd'hui. La situation est dramatique. L'expectative est là. C'est une situation extrêmement compliquée et on n'a pas de vision à long terme.

Dans quelle situation se trouve le Centre communal d'action sociale ?

S.L.: Le CCAS est indispensable. C'est là que l'on a du personnel qui mène des actions sociales, souvent envers des personnes âgées, des personnes handicapées… On en suit de manière régulière entre 400 et 500 par mois. Des gens qui sont vraiment dans la précarité. On leur vient en aide tous les mois. On a aussi les aides de première nécessité, ce qu'on appelle les bons alimentaires.

Les bons alimentaires et toutes les aides confondues coûtent au CCAS de Nouméa environ six millions par mois. Nous avons dû les cesser [jeudi]. Nous n'avons plus les moyens.

Sonia Lagarde, maire de Nouméa

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Comment appréhendez-vous la suite, pour la Nouvelle-Calédonie ?

S.L.: Avec les exactions qui ont été commises, toute une population n'a pas d'autre issue que d'aller vers une extrême précarité. Ceux qui sont à l'origine de tout ça doivent se poser une seule question : est-ce que c'est ça qu'on a voulu ? Mettre nos populations, toutes ethnies confondues, dans cette précarité ? On est dans une situation où je ne sais pas si la Nouvelle-Calédonie va pouvoir se redresser.

Je souhaite que le plus rapidement possible, on arrête tout ça. Qu'on se mette autour de la table et qu'on engage des discussions. Qu'on ait cette transparence pour savoir ce que veulent les uns et les autres. La perspective de l'avenir, c'est d'avancer, ce n'est pas de détruire. Le chemin de la paix, le chemin du possible, est devant nous. C'est tellement plus facile de détruire, que de construire. 

Synthèse dans ce reportage de David Sigal et Christian Favennec

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