Cela fait désormais 31 jours que la Nouvelle-Calédonie s'est enfoncée dans une profonde crise politique, sociale, économique et sécuritaire. La rédaction vous propose, ce jeudi 13 juin, de revenir sur dix dates marquantes de ce premier mois, à l'issue duquel le retour à l'apaisement demeure incertain malgré une relative accalmie à Nouméa.
Lundi 13 mai : la nuit où tout a basculé
Ce 13 mai est marqué par une nouvelle mobilisation de la CCAT contre le dégel du corps électoral, actant la fin des "dix jours pour Kanaky" décrétés par la cellule. Les militants s'installent sur les ronds-points du grand Nouméa et de premiers barrages sont mis en place à Saint-Louis, alors que le Congrès vote une résolution demandant le retrait du projet de loi constitutionnelle.
L'après-midi, trois gardiens de prison sont pris en otage lors d'une mutinerie au Camp-est, l'un d'eux est grièvement blessé. Invité du JT de NC la 1ère, le haut-commissaire Louis Le Franc rejette à ce stade l'idée d'un couvre-feu qui "mobiliserait trop les forces de l’ordre” selon lui.
En début de soirée, l'agglomération s'embrase. Les manifestants devenus émeutiers bloquent les routes. Sidérés, les Calédoniens voient défiler les images de pillage et de destruction de bâtiments sur les réseaux sociaux. Des magasins, des stations-services, des pharmacies, des concessions automobiles sont incendiées. Un flot de violences impossible à contenir pour les policiers et gendarmes totalement submergés.
Dans la nuit, une jeune femme de Boulouparis perd son bébé in utero, faute d’avoir pu rejoindre le Médipôle à temps en raison des barrages.
Mardi 14 mai : mise en place du couvre-feu
La population de l'agglomération se réveille sonnée. En l'espace d'une nuit, les émeutiers ont fait des dégâts considérables. De nombreux barrages tenus par des militants indépendantistes sont désormais en place dans les quatre villes de l'agglomération.
Pour protéger leur quartier, certains habitants en barricadent les entrées et s'organisent dans des groupes de défense qu'ils qualifient de "voisins vigilants", toujours actifs aujourd'hui. Un peu plus au nord, l'aéroport de La Tontouta ferme ses portes pour une durée indeterminée. Le Betico, les taxis et les bus sont également mis à l'arrêt.
En parallèle, le haut-commissaire annonce l'instauration du couvre-feu de 18 heures à 6 heures du matin. La mesure, initialement prévue pour durer une nuit, sera finalement prolongée plusieurs fois et restera en vigueur au moins jusqu'au 17 juin.
Mercredi 15 mai : état d'urgence et premiers morts
Le couvre-feu ne change pas grand-chose dans un premier temps. Les nuits se suivent et se ressemblent. Le territoire déplore également de premiers morts tués par balle. Quatre victimes sont annoncées au cours de ce mercredi noir : trois civils, deux hommes de 19 et 36 ans et une jeune fille de 17 ans, ainsi qu'un gendarme âgé de 22 ans. Dans les semaines suivantes, un deuxième gendarme et trois autres civils seront tués par balle.
L'après-midi, Louis Le Franc prend la parole et annonce que "ce territoire va basculer dans l’apocalypse" si tout le monde ne revient pas à la raison.
Le soir même, Emmanuel Macron décrète l'état d'urgence qui entre en vigueur le lendemain matin. Parmi les mesures décidées par l'exécutif : l’envoi de renforts, le déploiement de l’armée pour sécuriser ports et aéroports, des assignations à résidence et l’interdiction de Tik Tok, une première sur le territoire français.
Dans le même temps, la situation se complique sur le terrain : l’accès aux établissements de santé demeure très perturbé voire impossible et de nombreuses personnes dialysées se retrouvent en détresse. Quartiers bouclés, magasins fermés… les habitants du Grand Nouméa commencent à manquer de vivres et de médicaments. Mais la solidarité s’organise, notamment entre voisins et sur les réseaux sociaux.
Dimanche 19 mai : premier dégagement de l'axe Nouméa-Tontouta
Alors que l'accès aux services publics et à l'alimentation se précarise chaque jour un peu plus et que les violences continuent d'émailler le Grand Nouméa, une opération de grande envergure est menée pour dégager l'axe routier entre Nouméa et l’aéroport de la Tontouta. 600 gendarmes, appuyés par de nombreux véhicules blindés, s'échinent à déblayer les voies.
Le haut-commissaire annonce le soir même que la route est sous contrôle de l'Etat. "Nous allons continuer à maintenir coûte que coûte le rétablissement de cet axe", indique-t-il après le démantèlement de plusieurs dizaines de barrages. Dans les faits, beaucoup seront cependant réinstallés après le passage des forces de l'ordre et à ce jour, la libre circulation n'est toujours pas garantie sur l'axe Nouméa-Tontouta malgré l'intervention quasi-quotidienne des forces de l'ordre.
Jeudi 23 mai : le déplacement d'Emmanuel Macron
L'annonce a pris tout le monde de court deux jours plus tôt. Pour la deuxième fois en moins d'un an, Emmanuel Macron se déplace en Nouvelle-Calédonie, jeudi 23 mai, alors que des pillages et des incendies sont toujours constatés dans l’agglomération. Le chef de l'Etat est accompagné notamment du ministre des Armées Sébastien Lecornu, et de celui de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin.
Objectif affiché : installer une mission de médiation pour renouer les fils du dialogue. Si les rumeurs faisaient d'Edouard Philippe, Manuel Valls ou encore Alain Christnacht des candidats crédibles, elle sera finalement composée de trois hauts-fonctionnaires méconnus du grand public.
Au cours de son déplacement éclair, Emmanuel Macron rencontre les différents partis politiques. Il s'entretient notamment avec une délégation composée de membres du FLNKS et du leader de la CCAT Christian Tein. Le président demande la levée des barrages, ses interlocuteurs exigent quant à eux le retrait du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral et la fin des assignations à résidence, permises par l'état d'urgence.
Le dispositif sera bel et bien levé quelques jours plus tard, mais Emmanuel Macron demeure flou concernant le projet de loi, promettant qu'il n'y aura pas "de passage en force". Il quitte la Nouvelle-Calédonie le lendemain aux aurores, sans qu'un réel accord ait été trouvé.
Christian Tein communiquera plus tard via une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, appelant les militants à "rester mobilisés" et "maintenir toute la résistance dans les quartiers", tout en "desserrant un peu l'étau sur les artères principales" et en affirmant que "la CCAT n'a jamais eu pour objectif d'atteindre la vie des gens".
Vendredi 31 mai : "Nouméa sous contrôle" selon Louis Le Franc
Le statu quo reste de mise dans les jours suivant le déplacement présidentiel. Malgré une relative accalmie dans certains quartiers, la situation semble empirer dans d'autres, où les habitations sont de plus en plus ciblées. Des familles doivent en urgence fuir leur foyer ravagé par les flammes à Kaméré, Vallée-du-Tir, ou encore Rivière Salée.
C'est dans ce même quartier, l'un des plus impactés depuis le début des émeutes, qu'une opération d'ampleur est menée vendredi 31 mai pour rétablir l'ordre. Plusieurs centaines de gendarmes, des unités d'élite, des véhicules blindés et un hélicoptère Puma sont dépêchés sur la zone. Bilan à la fin de la journée : douze interpellations et vingt-six barrages nettoyés.
"C'était le dernier quartier sous le contrôle de la CCAT, ce n'est plus le cas", déclare le haut-commissaire Louis Le Franc à l'issue de l'opération. "La totalité de la ville de Nouméa est sous contrôle de l'Etat", conclut-il, catégorique. L'affirmation, reprise par de nombreux titres de presse dans l'hexagone, ne convainc pas les habitants des quartiers les plus impactés. À la Vallée-du-Tir, plusieurs d'entre eux nous racontaient il y a quelques jours un quotidien toujours empreint de peur et d'insécurité.
Mercredi 5 juin : reprise des vols et aide de l'Etat
Après trois semaines d'émeutes, l'annonce semble aussi soudaine qu'inattendue. Par le biais d'un communiqué, Aircalin annonce la reprise "partielle" et "très progressive" de ses vols à compter du mercredi 5 juin, en dépit de la fermeture de l'aéroport international.
Un système spécifique de navette est mis en place pour transporter les passagers à l'aérodrome de Magenta, à partir duquel ils sont ensuite acheminés par voie aérienne jusqu'à Tontouta. La compagnie Air Calédonie reprend elle aussi ses rotations, à raison d'environ cinq par jour.
Ce mercredi 5 juin coïncide également avec une autre annonce : celles des aides de l'Etat au monde économique calédonien, décidées par Bruno Le Maire. Le gouvernement versera entre 7,5 et 15% du chiffre d'affaires mensuel moyen des TPE et des PME, financera 50% de la prise en charge de l’activité partielle et facilitera les démarches bancaires et assurantielles. Un soutien salué par les entrepreneurs calédoniens, qui auraient toutefois espéré davantage.
D'un point de vue strictement politique, le 5 juin marque également la fin de non-recevoir de l'Union Calédonienne, qui dans un communiqué, indique qu'elle ne rencontrera pas la mission de médiation installée par Emmanuel Macron "dans ces conditions". Après avoir fustigé "les répressions policières et militaires qui persistent depuis la levée de l'état d'urgence", le parti affirme qu'il "ne changera pas de cap et apporte son total soutien à tous ses élus à tous les niveaux".
Samedi 8 juin : l'appel à la paix de Louis Mapou
Quelques jours plus tard, le discours de Louis Mapou s'inscrit dans une toute autre philosophie. Le président du gouvernement, dont certains avaient regretté la discrétion au cours des trois premières semaines de crise, se livre à une allocution télévisée de 26 minutes. Visiblement ému, le cadre de l'UNI ne veut "pas croire un seul instant que l’émancipation à laquelle nous travaillons depuis tant d’années se construise sur la destruction de ce que nous avons déjà réussi à réaliser".
Tout en pointant un projet de loi constitutionnelle ayant "rouvert une plaie que nous avons mis du temps à panser et à cicatriser", le dirigeant "appelle les responsables du CCAT, ses relais locaux et la jeunesse du pays à lever les barrages, les blocages, et à cesser toutes les exactions". Louis Mapou veut voir chacun "s'engager résolument dans des discussions approfondies sur l'avenir et sortir des stratagèmes à visée électorale de court terme."
La position semble difficilement conciliable avec celle adoptée le même jour par le président de l'Union calédonienne, en ouverture du comité directeur du parti à Canala. "La France nous a tellement trompés que notre souveraineté ne pourra qu’être immédiate, pleine et entière et non négociable", assène Daniel Goa, tout en proposant une date "pour la déclarer" : le 24 septembre 2024, soit le 171e anniversaire de la prise de possession du territoire par la France.
Lundi 10 juin : la dissolution surprise de l'Assemblée nationale
Le contexte tendu n'empêche pas les électeurs d'aller glisser leur bulletin dans l'urne, dimanche 9 juin, à l'occasion des élections européennes. Malgré un faible taux de participation, le scrutin, particulièrement surveillé, révèle un vote clair des électeurs calédoniens pour la majorité présidentielle. Mais au niveau national, le gouvernement essuie un échec cuisant.
Le Rassemblement national sort vainqueur des élections, avec un score historique. À la surprise générale, Emmanuel Macron décide de dissoudre l'Assemblée nationale, une première depuis le pari raté de Jacques Chirac en 1997.
Ressenti comme un séisme politique dans l'hexagone, le choix du chef de l'Etat pourrait avoir des répercussions jusqu'en Nouvelle-Calédonie. La dissolution rend plus imbrobable encore le passage, devant le Congrès de Versailles, du projet de loi constitutionnelle modifiant le corps électoral.
Elle pourrait également rebattre en partie les cartes du jeu politique local, les deux députés sortants Nicolas Metzdorf (Les Loyalistes / Renaissance) et Philippe Dunoyer (Calédonie Ensemble / Renaissance) n'étant pas sûrs de conserver leur fonction à l'issue du scrutin, dont le premier tour est prévu le 30 juin prochain.
Mercredi 12 juin : le projet de loi "suspendu"
Deux jours plus tard, le chef de l'Etat convoque les médias pour une conférence de presse relative à la dissolution annoncée. Interrogé sur le devenir des projets de loi en cours, il annonce avoir "décidé de suspendre" celle sur le dégel du corps électoral "pour donner toute sa force au dialogue sur place et au retour à l'ordre".
"On ne peut pas laisser l'ambiguïté dans la période" actuelle, ajoute Emmanuel Macron. Les prochains jours diront si cette nouvelle prise de parole aura une quelconque incidence, mais il est permis d'en douter. Car si le président évoque une "suspension", il n'est à ce stade pas question d'un retrait tel que le demande une partie de la classe politique locale et nationale.