La reconnaissance du créole comme "langue officielle" de la Martinique au même titre que le français est le sujet de la missive. Selon ses auteurs, cette décision votée presque à l'unanimité en plénière est "un cavalier".
Après votre déclaration demandant la reconnaissance en tant que langue officielle, du créole à côté du français, force est de constater que nous nous trouvons devant "un cavalier". Le terme "cavalier" désigne, dans le jargon législatif, une disposition non prévue dans la loi. Cette disposition, c’est-à-dire, la reconnaissance en tant que langue officielle, du créole à côté du français, tombe comme un cheveu sur la soupe.
Cette délibération qui suscite la polémique, retoquée par le représentant de l'État et le Comité interministériel des Outre-mer (CIOM), ne laisse que peu de place à d'autres problématiques qui troublent "la vie quotidienne de la population martiniquaise".
Cela nous paraît extrêmement dangereux, car ce "cavalier" semble prendre le pas sur tous les autres problèmes affectant la vie quotidienne de la population martiniquaise et probablement celle des autres DROM, à savoir : routes, eau, électricité, infrastructures publiques, éducation, formation professionnelle, sécurité, croissance bleue (développement portuaire, zones franches, ports francs, ouverture sur la Caraïbe...), mais de plus, la mise en place d’une atmosphère fiscale et réglementaire permettant à nos entreprises locales d’avoir les mêmes chances en termes de concurrence, que les entreprises européennes et caribéennes. Autant d’attentes et de réponses dont dépendent le mieux vivre de notre population et l’arrêt de ce processus de dépeuplement progressif et inéluctable qui frappe la Martinique.
Si les deux auteurs regrettent le manque d'échange sur cette décision, ils reconnaissent volontiers l'évolution de la langue à travers le temps. Mais ce n'est pas la priorité insistent-ils.
Récemment, vous avez allégué que cette question de la reconnaissance du créole comme langue officielle au même titre que le français revêtait une importance fondamentale dans le débat pour le développement de la Martinique. C’est, selon nous, une vue de l’esprit ! Nous pensons au contraire que cette démarche est loin d’être une priorité.
Opposant une "langue maternelle" et une "langue officielle", les auteurs incitent à privilégier l'ouverture à d'autres dialectes plutôt que "se couper du reste du monde", citant pour l'occasion Aimé Césaire.
Pour notre part, il nous semble plus important de souligner que l’apprentissage de l’anglais, de l’espagnol, du portugais, dès l’école maternelle jusqu’à l’université, constitue pour nos enfants de Martinique un outil indispensable pour préparer leur insertion dans le monde à venir.
Les auteurs de la lettre proposent au président du conseil exécutif de méditer sur une même morale en langue créole et française.
Trop pressé pa ka fè jou ouvè. Rien ne sert de courir il faut partir à point. Jean de Lafontaine
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Lettre ouverte à Monsieur le Président du Conseil Exécutif de la CTM.
Objet : Un « cavalier », le créole « langue officielle », dans le débat sur le développement de la Martinique.
Monsieur le Président,
Martiniquais soucieux du progrès de notre pays dans le cadre d’un développement au service de tous, et qui revendiquent l’héritage spirituel et politique d’Aimé Césaire, nous avons l’honneur d’attirer votre attention comme suit.
Monsieur le Président, à l’actualité de votre agenda politique, apparaît un dossier qui suscite un certain nombre de réflexions et d’interrogations au sein de l’opinion martiniquaise - toutes sensibilités confondues. Il s’agit précisément de votre initiative pour « la reconnaissance, en tant que langue officielle, du créole à côté du français ».
Monsieur le Président, comme tout Martiniquais et toute Martiniquaise ayant le souci de l’intérêt de notre pays et de sa population, nous avons accueilli avec une certaine satisfaction les conclusions du CIOM qui, avec la quarantaine de propositions mises sur la table, a affiché une volonté partagée par le gouvernement et les Départements et régions d’outre-mer dont nous sommes toujours membres à part entière, de sortir d’une conjoncture économique et sociale délétère.
Ces orientations qui découlent des travaux des RUP Régions ultra-périphériques de mai 2022 et de « l’appel de Fort de France » ouvrent des perspectives de développement légitimement attendues par la population nécessiteuse et les acteurs socio – professionnels.
Or aujourd’hui, après votre déclaration demandant « la reconnaissance en tant que langue officielle, du créole à côté du français », force est de constater que nous nous trouvons devant « un cavalier ». Le terme « cavalier » désigne, dans le jargon législatif, une disposition non prévue dans la loi ; cette disposition, c’est-à-dire, « la reconnaissance en tant que langue officielle, du créole à côté du français », tombe comme « un cheveu sur la soupe ».
Cela nous paraît extrêmement dangereux, car ce « cavalier » semble prendre le pas sur tous les autres problèmes affectant la vie quotidienne de la population martiniquaise et probablement celle des autres DROM, à savoir : Routes, eau, électricité, infrastructures publiques, éducation, formation professionnelle, sécurité, croissance bleue (développement portuaire, zones franches, ports – francs ,ouverture sur la Caraïbe, etc. ) ; mais de plus, la mise en place d’une atmosphère fiscale et réglementaire permettant à nos entreprises locales d’avoir « les mêmes chances » en termes de concurrence, que les entreprises européennes et caribéennes. Autant d’attentes et de réponses dont dépendent le mieux vivre de notre population et l’arrêt de ce processus de dépeuplement progressif et inéluctable qui frappe la Martinique.
Concernant la place du créole par rapport à la langue française, nous pensions qu’en amont de la délibération de la CTM votée à « l’unanimité », un débat aurait pu être institué dans le pays à l’instar de celui pour le choix d’un drapeau ou d’un hymne qui aurait permis d’approfondir démocratiquement une si importante question !
Chacun peut constater que le créole a fait d’énormes progrès depuis une quarantaine d’années, surtout après la loi du 23 juillet 2008 reconnaissant les langues régionales comme patrimoine de la France.
Ceux qui ont suivi de près, depuis les années soixante, la bataille pour la reconnaissance du créole comme langue, savent que cela n’a pas été facile et que les chercheurs martiniquais y ont joué un rôle déterminant. Aujourd’hui, le créole est de plus en plus enseigné dans nos écoles primaires, secondaires et à l’université ; mieux, il fait l’objet de deux concours nationaux au professorat : le CAPES et l’agrégation. Cela nous encourage à penser qu’il reste encore beaucoup à faire pour la promotion du créole martiniquais.
Récemment, vous avez allégué que cette question de la reconnaissance du créole comme langue officielle au même titre que le français revêtait une importance fondamentale dans le débat pour le développement de la Martinique. C’est, selon nous, une vue de l’esprit ! Nous pensons au contraire que cette démarche est loin d’être une priorité.
En effet, il y aurait d’abord nécessité de clarifier sur le plan sémantique ce qu’est une langue maternelle et ce qu’est une langue officielle.
Le créole est incontestablement la langue maternelle des Martiniquais et Martiniquaises de souche. C’est la langue du pays où l’on est né. C’est une langue régionale au même titre que le breton, le basque ou le corse.
La langue officielle est celle du pays dont on se réclame au plan politique et international.
C’est le cas de l’anglais pour l’Inde, la République sud – africaine ; du français pour des pays d’Afrique de l’Ouest ; du portugais pour le Brésil ; de l’espagnol pour de nombreux pays d’Amérique latine. Rappelons-nous la formule de Pablo Neruda concernant l’Amérique latine : « Les Espagnols sont partis, mais ont laissé la langue ».
Il ne nous semble pas que ces langues d’origine européenne soient un handicap pour le développement et le rayonnement international de ces pays.
De même, nous invitons les uns et les autres à méditer cette réponse de Césaire dans une fameuse interview donnée en 1962 : « Le créole est une petite langue régionale d’une influence extrêmement limitée...choisir le créole, c’est un peu se couper du reste du monde ».
Par ailleurs, M. le P.C.E, vous avez jusqu’ici déclaré militer pour l’autonomie de la Martinique dans le cadre de la République française. Permettez-nous de vous rappeler que, dans le cadre de la République française, la langue officielle reste le français, et que de plus, votre proposition d’élever le créole au niveau d’une langue officielle ne figure pas dans le programme que votre liste a proposé aux citoyens martiniquais lors des dernières élections territoriales.
Pour notre part, il nous semble plus important de souligner que l’apprentissage de l’anglais,de l’espagnol , du portugais, dès l’école maternelle jusqu’à l’université, constitue pour nos enfants de Martinique un outil indispensable pour préparer leur insertion dans le monde à venir.
Pour conclure ; Monsieur le Président du Conseil Exécutif de la CTM nous soumettons à votre sagacité deux proverbes à méditer :
« Trop pressé pa ka fè jou ouvè ». (« Rien ne sert de courir il faut partir à point », Jean de Lafontaine).
Veuillez agréer Monsieur le Président, nos salutations distinguées.
Signataires :
- Rodolphe DESIRE (Ancien Secrétaire Général du PPM ; Ancien Sénateur, membre honoraire du Parlement),
- Michel PONNAMAH (Ancien membre du Bureau Politique du PPM ; Proviseur honoraire).