Alors que plusieurs dizaines de transfuges politiques s’apprêtent à franchir le pas dans le bloc de droite et d’extrême droite incarné par Jordan Bardella du Rassemblement National, en Outre-mer, des personnalités de la société civile rejoignent elles aussi cette alliance.
Dernier exemple en date, Babette De-Rozières, la cheffe cuisinière guadeloupéenne la plus connue en France, qui s'est ralliée au RN. Lors des dernières européennes, son compatriote Rody Tolassy issu lui aussi de la société civile, a été élu. Idem pour Marie-Luce Brasier-Clain de La Réunion, qui est en train de faire elle aussi ses premiers pas à Strasbourg et à Bruxelles.
D'autres figures réunionnaises sont déjà investies par le parti de Jordan Bardella, dont le score historique a atteint dans cette île de l’océan indien, plus de 31% le 9 juin 2024.
En Nouvelle Calédonie, Simon Loueckhote, signataire de l'accord de Nouméa et sénateur pendant près de 19 ans, se présente aux législatives 2024 en tant que représentant du Rassemblement National.
La "dynamique" RN continue ?
Mais qu’est-ce qui motive l’adhésion de personnalités ultramarines au parti de Marine Lepen ? Est-ce la continuité de la "dynamique" observée lors du dernier scrutin européen ou s'agit-il de rapprochements par conviction ?
Nous avons posé la question à deux spécialistes de la politique aux Antilles, Pierre-Yves Chicot et Justin Daniel.
Qui se souvient que François Léotard, ancien Ministre de la Défense de Jacques Chirac venait de l'extrême droite (Occident) et a créé le Parti Républicain ? Il existe des vases communicants entre la droite républicaine et l'extrême droite, même si certains thuriféraires de la droite républicaine s'en défendent. Pire, progressivement "la lepénisation" a considérablement imbibé le logiciel de la droite républicaine. Dernier exemple en date, François-Xavier Bellamy, tête de liste aux européennes qui avoue choisir un candidat RN en lieu et place du Front Populaire, en cas de duel. La messe est dite. Dans ce contexte d'évolution notable de ce parti politique appelé le Rassemblement National, les citoyens ont intégré que celui-ci avait gagné en respectabilité. Lorsque les leaders n'ont plus honte d'une situation, la masse a tendance à suivre. C'est ce qui se produit en France hexagonale et en Outre-mer.
Pierre-Yves Chicot
"Promesses de campagne électorale non tenues… la digue du front républicain vole en éclat"
Par ailleurs, il existe une vraie lassitude des électeurs vis-à-vis d'une part, de promesses de campagne électorale non tenues (exemple : François Hollande déclarant je suis l'ennemi de la finance) et une dégradation en continu de la vie des citoyens électeurs. Dès lors, la digue du front républicain vole en éclat. L'argument consistant à faire peur ne tient plus en criant : au secours l'extrême droite est aux portes du pouvoir... au secours la peste brune nous guette. L'argument péremptoire de la réclamation de l'amélioration de la "condition" (le cadre de vie qui confère le bonheur aussi), du point de vue de la décence des salaires, de la chereté de la vie, d'un environnement sécurisé, l'emporte finalement sur toute autre considération.
P.Y Chicot
"Le RN adoubé par le président de LR"
L'ensemble de ces considérations peuvent expliquer que mêmes les ultramarins ne rechignent plus à voter pour le RN, qui a œuvré à la culture de sa respectabilité, qui a été déclarée comme faisant partie de l'arc républicain, alors qu'on en faisait sortir "La France Insoumise". Enfin, le dernier épisode de l'histoire est le fait que le Rassemblement National a été adoubé par le président de "Les Républicains" et inversement.
Le guadeloupéen Pierre-Yves Chicot(Professeur des universités des facultés de droit, avocat à la Cour, consultant en organisation publique et privée).
Autant à la Martinique, pour le moment, "un certain cran d'arrêt" a joué concernant le RN. Je dis "un certain cran", parce que la progression elle est lente mais elle est là. À La Réunion et en Guadeloupe, cette progression du Rassemblement National est plus franche, donc ce n’est pas du tout étonnant que des personnalités et des politiques cherchent à surfer sur cette progression et à capitaliser, dans le cadre des élections législatives. Généralement, soit cela se passe mal, car parfois les personnalités de la société civile n’arrivent pas à s’imposer dans le champ politique (…), soit c'est le contraire et elles font carrière.
Justin Daniel
"Renaissance et Front Populaire dans une position défensive"
Les élections européennes et celles des législatives, ne sont pas les mêmes scrutins. Ceci étant précisé, très clairement, la dynamique est favorable au Rassemblement National. Renaissance, en perte de vitesse, ainsi que le bloc de gauche, sont en position défensive. Le "Front Populaire" qui a réussi à faire l’unité, essayera de présenter une alternative mais ce n’est jamais facile quand on est dans une position défensive, sauf qu'ils n’avaient pas le choix, compte tenu du mode de scrutin. Pour être élu au premier tour, il faut avoir le quart des inscrits. Aucun mouvement ne peut prétendre à obtenir facilement ce chiffre dans beaucoup de circonscriptions, que ce soit LFI, le PS, le PC ou les Verts. La 2e contrainte qui est encore plus forte, c'est que pour être présent au 2nd tour, il faut avoir 12,5% des inscrits, et donc ils n’avaient pas le choix. Cela va permettre probablement de contenir la vague RN, mais ne permettre forcément de gagner, au moment où je m’exprime.
J. Daniel
Deux questions en perspective
Dans une campagne électorale il peut se passer beaucoup de choses. Maintenant, deux questions se posent, auxquelles nul n’est en mesure de répondre, pas même les sondeurs : est-ce qu'on se dirige vers une situation dans laquelle le Rassemblement National pourrait avoir la majorité absolue en comptant ses alliés, donc la frange LR (Les Républicains) d’Eric Ciotti ? Parce qu’il existe de grandes affinités du point de vue idéologique, entre une partie de son électorat et celui du Rassemblement National. 2e cas de figure qui est peut-être le plus probable, c'est qu'on se retrouve avec 3 blocs : le RN, le bloc de gauche et Renaissance [de la majorité présidentielle]… et personne n'a la majorité. La France serait alors totalement ingouvernable.
Justin Daniel(politologue martiniquais)
Un choix démocratique
Les 29 juin et 6 juillet 2024, au-delà des arguments parfois binaires dans les trois blocs qui ont chacun leurs "casseroles" à des degrés différents, l’heure du choix démocratique a sonné pour les électeurs, dont les réalités quotidiennes semblent prendre le pas sur tout le reste.
Le pouvoir d’achat, la sécurité et l’immigration, sont leurs trois premières préoccupations d’après les sondages.