"Ce matin, nous avons croisé la mort." C'est par ces mots que débute le témoignage d'un enseignant du lycée du Nord alors que l'établissement est touché par l'intrusion d'une trentaine d'individus à 7h mardi matin. Les cours viennent de débuter depuis dix minutes quand l'alarme "alerte intrusion" se met à sonner. "J’ai ouvert ma salle de classe et ai demandé au maximum d’élèves d’entrer à l’intérieur. Nous sommes passés de 25 à 67 élèves."
"Je croyais qu'il allait me tuer le premier"
Il suffit de quelques minutes pour voir arriver "des jeunes hommes cagoulés (sont venus) dans le couloir de notre bâtiment. Nous les avons entendus défoncer une par une les portes des premières salles, en sachant que les nôtres étaient les prochaines."
L'enseignant, seul adulte, au milieu de ses élèves leur demande de bloquer les portes avec tables et de tenir. La porte de la salle centrale est fermée à clef et bloquée par des tables. Mais "les jeunes cagoulés ont défoncé la porte à l’aide d’une grosse chaîne d’une quarantaine de centimètres à laquelle était accroché un cadenas de métal plein. Ils sont restés devant la porte. Tous étaient armés. Barres en acier, machettes, couteaux, haches."
Un seul est entré, armé de la chaîne et d’une machette. Il m’a regardé et a commencé à armer le bras pour frapper. Il était à deux mètres de moi. Je ne voulais pas reculer pour faire barrage entre lui et les élèves. Je l’ai regardé dans les yeux, je ne voulais pas perdre le contact, je lui ai dit calmement de ne pas faire ça, que ça ne servait à rien, qu’il n’y avait personne qu’ils recherchaient dans ces salles. Je croyais qu’il allait me tuer le premier, je l’ai vu me regarder, pencher la tête, tendre le bras qui tenait sa machette en arrière pour préparer un coup, commencer à prendre du recul. Je pense qu’il a entendu ce que je lui disais mais j’ai pensé qu’il frapperait et qu’il ferait le tour des salles jusqu’à trouver un enfant de Bandraboua pour le tuer également. Je n’ai jamais vu de regard si déterminé. Il s’est tourné vers les élèves, a passé son arme sur sa gorge et en a montré certain du doigt… j’ai cru qu’il allait attaquer. Je ne sais pas pourquoi ils sont repartis.
Un enseignant de la cité du Nord
L'enseignant demande aux élèves de Bandraboua présents, "entre les cris de peur et de détresse, entre les pleurs et les sanglots" de se cacher sous les tables "au cas où ils reviendraient."
Les individus sont de retour dix minutes plus tard. "Ils étaient déterminés à entrer, plus encore que la première fois." et parviennent à rentrer une première porte dans une salle communicante. "Je suis allé voir, j’ai ramené tous les élèves de cette salle dans la principale en courant, dans la panique, les gens cagoulés derrière nous." Elèves et enseignant bloquent tous les accès à la salle.
Nous avons réussi à ce qu’elle ne cède pas, elle est sortie de ses gonds, j’hurlais aux élèves qui tenaient avec moi de tenir bon, de ne pas faiblir. Les cris des cagoulés à l’extérieur, le bruit des machettes passées sur les barreaux des fenêtres, le bruit des béliers contre les portes, les coups de couteau donner dans les vitres, les barres d’acier que l’on voit passer à travers les vitres en les brisant, les cris et les pleurs des élèves. Nous avons tenu, ils n’ont pas réussi à passer.
Un enseignant de la cité du Nord
Face à la résistance de l'enseignant et de ses élèves, les individus hurlent "en shimaoré ou en shibushi" à la recherche des jeunes de Bandraboua tout en continuant à vouloir entrer dans la salle "pendant 10 minutes au moins, je pense." avec le bruit des machettes contre les barreaux, les pleurs et le bruit du verre brisé "Nous avons tenu jusqu’au bout, les heures qui ont suivi, nous les entendions passer et repasser, nous les voyions dehors, essayer d’entrer dans les salles de collègues confinés. Nous n’avions aucune nouvelle, j’ai appelé plusieurs fois la gendarmerie pour savoir ce qui se passait. Nous sommes tous certains d’avoir croisé la mort, et d’avoir fait en sorte qu’il n’y en ait pas."
"Le rectorat avait mis fin au précédent droit de retrait"
Le confinement sera levé à 12h30. Dans un communiqué de presse publié ce mercredi, l'intersyndicale du Lycée professionnel d'Acoua (LPO) ainsi que sa communauté éducative annonce être en droit de retrait. "L’ensemble de la communauté éducative est sous le choc et abasourdi par un tel déchaînement de violences : portail détruit à l’aide d’un bélier et d’un marteau, intrusion dans les salles de classes dans lesquelles les élèves et les enseignants étaient confinés, gymnase pris d’assaut, menaces de mort."
Un droit de retrait qui intervient une semaine après le précédent "Le rectorat avait mis fin au précédent droit de retrait, et ordonnait aux personnels de reprendre leur poste sous peine de retrait de salaire, affirmant que la sécurité de l’établissement serait assurée" peut-on lire dans le communiqué. Un droit de retrait "perdurera tant que des mesures de sécurisation ne seront pas mises en place et que l’établissement ne sera pas mis aux normes."
des mesures de sécurisation avaient été demandées et le sont toujours : fermeture de l’établissement, réparation et installation d’un portail automatique et sécurisé, installation d’une clôture, vidéosurveillance, réparation des salles de classe et matériels vandalisés, exclusion et poursuites des individus identifiés comme auteurs des violences.
Intersyndicale du Lycée professionnel d'Acoua
Le Recteur de son côté s'est rendu sur place mercredi pour notamment rencontrer les parents d'élèves.
Pour rappel, en avril 2021, à la cité du Nord, Miki, âgé de 17 ans, avait été assassiné alors qu'il venait de terminer sa journée de cours et allait monter dans son bus pour rentrer chez lui. A l'époque, son assassinat avait créé une onde de choc sur tout le territoire.