A l’aube, de très nombreux mahorais contemplent le lever du soleil depuis l’habitacle de leurs voitures. Des véhicules à perte de vue devant et derrière, la radio pour rythmer ce trajet. Il faut de la patience pour circuler à Mayotte, notamment dans l’agglomération de Mamoudzou, mais pas seulement à l’heure de pointe. "Il m’a fallu trois heures pour aller de Passamainty à Haut-Vallons", peste un automobiliste en plein après-midi.
"Mamoudzou, c’est 80% du trafic routier de l’île", explique Mohamed Hamissi, expert en mobilité. Il a notamment été chef de projet aménagement urbain pendant huit ans à la mairie de Mamoudzou puis chef de projet transport et déplacements pour la Cadema pendant cinq ans. "On a des embouteillages constants de Tsararano jusqu’à Mamoudzou-centre via la RN2 et la RD14, puis jusqu’à Longoni via la RN1." Sur la portion du rond-point du Manguier jusqu’à la barge, 20.000 véhicules par jour sont recensés, soit environ 2.000 véhicules en même temps aux heures de pointe. Les infrastructures routières sont saturées notamment à cause de la concentration dans Mamoudzou-centre et Kawéni des "générateurs de déplacement", les administrations, les grandes entreprises ou les centres commerciaux. Au nord, le développement socio-économique intensifie le trafic, auquel il faut ajouter les poids lourds qui sortent du port de Longoni et représentent 15% du trafic.
L'effet papillon des comportements
Les usagers, bien trop nombreux, ont aussi leur part de responsabilité. "Il y a beaucoup d’arrêts intempestifs, de stationnements gênants, des priorités qui ne sont pas respectées", énumère celui qui est actuellement en charge des transports pour la communauté de communes de Petite-Terre. "Tout cela engendre un effet papillon sur la circulation." Ainsi les embouteillages par saturation, quand il y a trop de voitures sur un axe, sont complétés par les embouteillages "en accordéon", quand un conducteur freine et entraîne des ralentissements à la chaîne.
Les conditions de circulation ne sont pas non plus idéales. "A M’tsapéré et Passamainty, il y a un partage de la voirie qui est inégale, il n’y a pas de place de stationnement ni trottoir donc des piétons qui empiètent sur la route", explique Mohamed Hamissi. "La voirie n’est pas non plus adaptée pour la circulation des poids lourds." Autre exemple : le tronçon entre Hauts-Vallons et Mamoudzou. "En allant vers le sud, la plupart des administrations et commerces se trouvent sur la gauche, obligeant de couper la file et donc de ralentir la circulation."
"Ça n'a pas été anticipé"
"De manière générale, quelque chose nous a échappé", reconnaît celui qui a conçu le projet Caribus, lui valant le prix Talents européens de la mobilité. Dans le chef-lieu, plusieurs modes de trafic se superposent : ceux qui traversent l’agglomération, ceux qui s’y arrêtent et ceux qui se déplacent au sein de l’agglomération. S’il y a dix ans, il y avait déjà des embouteillages pour entrer dans Mamoudzou, la commune est devenue avec le temps elle-même émettrice de trafic, notamment vers le nord. "Le réseau routier, n’a pas été conçu pour supporter un tel trafic, ça n’a pas anticipé", précise Mohamed Hamissi. "Avec la croissance démographique, il est tout aussi compliqué de prévoir précisément la demande à l’avenir."
Le pire reste encore à venir. Environ 30% des foyers sont équipés d’un véhicule, contre 70% à La Réunion et 81% pour la moyenne nationale. Ce taux est en constante augmentation dans le département avec l’augmentation du niveau de vie. "On est mal barré", résume l’expert. "Il faut s’interroger sur la finalité, est-ce qu’on veut qu’on veut circuler avec nos voitures ou faciliter les déplacements de la population ?" La municipalité de Mamoudzou, dont il a fait partie, a fait son choix. "On a instauré le stationnement payant et les zones bleus en 2017 pour réguler le stationnement", explique-t-il. "Le remplacement des giratoires par des carrefours avec des feux ne vise pas à fluidifier le trafic général, mais celui des Caribus et des véhicules de secours."
Les transports en commun, la marche et le vélo
Selon l’expert, la solution ne peut reposer que sur deux piliers : moderniser et optimiser le réseau routier existant et accompagner les changements de comportements. "Je ne suis pas convaincu par une déviation ou une voie rapide, plus d’infrastructures, c’est plus de véhicules. Si on créé une offre, la demande va continuer d’augmenter", précise-t-il. "À La Réunion, la construction de la route des Tamarins et de la nouvelle route du littoral n’ont pas fait disparaître les embouteillages." Délocaliser les administrations et les centres économiques ne ferait que déplacer le problème alors que Combani et Sada font déjà face à un trafic important. En revanche, développer les commerces de proximité et les antennes de services publiques comme les Maisons France Service pourraient alléger la pression sur le bitume. "Les déplacements pendulaires (ndlr : domicile-travail) ne représentent que 25% à 30% des déplacements quotidiens à Mayotte, ce n’est pas seulement une question d’infrastructure routière", ajoute Mohamed Hamissi.
Il plaide pour développer les transports en commun, comme le prévoit le projet de Caribus, mais aussi les mobilités douces comme la marche et le vélo. "On a une population très jeune, il faut miser sur les changements de comportement, mais ce ne sera pas possible tant qu’on ne créé pas les conditions pour", avance Mohamed Hamissi. "Les gens vont avant tout regarder le gain de temps." Il appelle tous les acteurs à se mobiliser sur cette question : l’État qui a la charge du réseau routier national, les intercommunalités qui ont la compétence des transports et des mobilités, les communes qui entretiennent les voiries communales, le département "qui a 143 km de voiries entre ses mains, un réseau qui est loin d’être au mieux", mais aussi les administrations publiques et les entreprises. "Si on n’arrive pas à changer les comportements et à optimiser le réseau existant, on va continuer de vivre ce qu’on vit actuellement, mais encore pire", résume l’expert, peu optimiste.