C'est un procès-fleuve qui s'est tenu tout au long de la journée ce 21 mai. Trois personnes se retrouvent à la barre d'un procès aux multiples volets. Le président de la CADEMA, Rachadi Saindou, le premier vice-président du conseil départemental Salime Mdéré et Zaher Ibrahim, le gérant de l'entreprise May Environnement.
- Le renvoi d'ascenseur
C'est le volet dans lequel se retrouvent les deux élus. Ils sont accusés d'emploi fictif dans ce qui ressemble à un renvoi d'ascenseur. En juillet 2021, Salime Mdéré est élu premier vice-président du Conseil Départemental. Il doit quitter son poste au sein de l'aide sociale à l'enfance, une structure du département.
Il est alors embauché à la CADEMA en tant que chargé de mission du développement économique, un poste pas encore créé au sein de l'intercommunalité. "J'ai reçu l'ordre de recruter Monsieur Mdéré par Monsieur Saindou" dira le DGS de l'époque lors de son audition. Dans le cadre de l'enquête, aucun élément de candidature (CV, lettre de motivation, offre d'emploi, fiche de poste) ne sera retrouvé par la section de recherche de la gendarmerie.
17 jours après son embauche, Salime Mdéré demande à être en télétravail 5 jours sur 5 pendant le reste de son contrat. Demande refusée par le DGS. Un mail lui a été envoyé le 23 novembre 2021 lui demandant d'avoir une activité en présentiel à la CADEMA. Le président est en copie du mail. Salime Mdéré signera un nouveau contrat au 1er janvier 2022. En neuf mois de contrat, il a reçu 549 mails, en a lu 11 et en a envoyé 11. Il sera payé 40 000 euros pour ses neuf mois de contrats à la CADEMA
Le 1er janvier 2022, Rachadi Saindou est lui embauché au conseil départemental, au service foncier. Il vient de quitter son poste de responsable des archives du syndicat des eaux, poste pour lequel il est également poursuivi pour emploi fictif sur l'ensemble de l'année 2021. "Je n'ai jamais été informé de son embauche" dira Salime Mdéré à la barre. Faute d'ordinateur, il ne pouvait pas accomplir son travail auprès de France Domaine. C'est Ben Issa Ousséni, le président du conseil départemental, qui mettra fin au contrat en Août 2022 "au nom de la probité", suite à l'arrivée d'une nouvelle DGS au département. Un agent du service foncier dira en audition " il était présent sauf lorsqu'il n'était pas là."
- La voiture
Ce volet ne concerne que Rachadi Saindou, la justice lui reproche le non-respect des règles de mise en concurrence dans le cadre des marchés publics. "Une pseudo-consultation" selon le procureur a été publiée entre le 24 et le 31 août 2021 pour le véhicule avec une demande "extrêmement précise" ajoute Yann Le Bris à l'audience ajoutant "On habille pour donner un semblant de légalité". La voiture doit être le véhicule de service du président qui "voulait une voiture hybride et robuste" la jugeant "belle" dans Zakwéli en février 2023.
- La société May Environnement
Une "coquille vide" pour le procureur dont les deux associés, au départ, sont la nièce de Zaounaki Saindou, l'épouse du président de la CADEMA ainsi que son ami de longue date à qui il téléphone 147 fois selon l'enquête. L'entreprise est perquisitionnée le 15 juin 2022. Son adresse correspond au domicile familial de Zaounaki Saindou comme nous vous l'avons écrit en juin 2023. Selon l'enquête, c'est le père de cette dernière qui paye les taxes foncières. Rachadi Saindou assure à la barre : " je ne connaissais pas l'existence de l'entreprise ni l'adresse précise de mon épouse." Lors d'une audition, un agent de la CADEMA affirme que "le président a indiqué de choisir May Environnement."
L'entreprise est créée le 4 mars 2021 et le 12 avril 2021, "sans activité, ni locaux, ni salarié" elle est choisie par la CADEMA pour des travaux de curage à hauteur de 85 800 euros " en dehors de toutes les règles de passations de marchés publics." Nouvelle commande le 17 juin à hauteur de 58 800 euros. Il y aura quatre autres marchés attribués à l'entreprise à hauteur de plus de 100 000 euros entre mai 2021 et mars 2022.
Le gérant de l'entreprise, à la barre, avoue ne pas "connaître les travaux de voirie." L'ombre de Roukia Lahadji plane sur ce volet du procès puisqu'elle était à la CADEMA au moment des faits. "J'ai fait confiance à Roukia" témoigne Rachadi Saindou. Les avocats de la défense annoncent qu " elle est la grande absente de la procédure." Réponse du Procureur : "On aurait pu aller beaucoup plus loin, beaucoup plus fort sur un certain nombre de sujets, de protagonistes, les enquêtes se poursuivent."
- Les réquisitions
Dans ses réquisitions Yann Le Bris demande pour Salime Mdéré 24 mois de prison dont 18 avec sursis probatoire pendant deux ans ainsi qu'une amende de 40 000€. Il demande également une peine d'inéligibilité de deux ans avec exécution provisoire ainsi qu'une interdiction d'exercice dans la fonction publique de deux ans.
Pour Rachadi Saindou, le procureur requiert trois ans de prison dont 18 mois avec sursis probatoire de trois ans. Il demande également 75 000€ d'amende et une peine d'inéligibilité avec exécution provisoire de quatre ans et une interdiction d'exercer dans la fonction publique de deux ans.
Ce qui veut dire que si le tribunal suit les réquisitions du parquet, les deux élus devront quitter immédiatement leur mandat. La société May Environnement, elle, encourt 30 000 euros d'amende et la confiscation du camion de l'entreprise ainsi qu'une interdiction de postuler sur des offres de marché public pendant cinq ans.
En conclusion de ses réquisitions, Yann Le Bris a souligné "la fin d'une omerta, désormais les élus, les agents parlent. C'est un message clair pour les élus en place et ceux qui arrivent. L'enquête ayant été ouverte suite notamment à la réception de signalements anonymes."
Le jugement est attendu le 25 juin.