Ramadan et confinement, une période compliquée économiquement, mais bienfaitrice spirituellement

Après plus de deux mois de confinement, dont un englobant le mois de ramadan, certains Mahorais avouent que leur vie a été bouleversée. Plus rien ne se fait comme avant et il faut s’adapter.
 
« Compliqué ! » La majorité des Mahorais avouent que ces deux derniers mois ont été difficiles à vivre. Depuis le 17 mars, le confinement est en vigueur à Mayotte en raison de l’épidémie de coronavirus. Tout s’est brusquement arrêté : fermeture des restaurants, bars, écoles, commerces non-alimentaires, compétitions sportives, etc.
CORONAVIRUS : Quelques heures avant le confinement à Mayotte
Les plages ont été interdites, les déplacements non prioritaires également et de nombreux salariés ont été priés de rester chez eux, soit pour travailler à distance, soit en chômage partiel. Et du 24 avril au 24 mai, les Mahorais ont dû composer également avec le ramadan.

À Mayotte, la majorité de la population est de confession musulmane et suit avec dévotion le quatrième pilier de l’islam. Durant ce mois, de l’aube au coucher du soleil, on doit notamment ne pas manger, ni boire, ni avoir de relations sexuelles. La pratique des prières est quant à elle renforcée avec notamment la prière nocturne (non obligatoire, mais fortement recommandée) du tarawih, on se doit de ne pas proférer de méchancetés et de faire le bien, notamment en pensant aux plus démunis.
 

Pas de "futuru" géant pour le BCM

Ce mois est également synonyme de partage. Un partage symbolisé notamment par le futuru (de l’arabe iftar), le repas de la rupture du jeûne au coucher du soleil, qui se fait avec la famille élargie, voire les amis ou les collègues de travail. Mais pour cette année, en raison du confinement, il a fallu revoir sa copie, puisque les rassemblements ont été interdits.
Daoulab Ali Charif Président du BCM

« Si quelqu’un vous dit que le confinement n’a rien changé, c’est qu’il ne l’a pas respecté ! Pendant le ramadan, j’ai l’habitude d’être invité au moins 2 fois par semaine pour le futuru, je me rends dans ma famille dans le Sud au moins une fois par semaine, là je ne suis pas sorti à part pour les courses et pour aller au travail le matin. Je fais le futuru à la maison » explique Daoulab Ali Charif, président du Basket Club de M’tsapéré (BCM). Chaque année, il a l’habitude d’organiser un futuru géant avec les 200 adhérents du club et leur famille. Mais cette année, chacun est resté de son côté à la maison. « Les entraîneurs et dirigeants sont en contact avec les joueurs. Les gens pensent basket. Le lien est toujours présent via le téléphone et les appels vidéo. Mais ce n’est pas pareil » poursuit-il.
Pas de tournoi sportif du ramadan cette année. La plage de Mtsanyunyi (Tahiti Plage) est restée déserte, contrairement aux années précédentes.
De même, c’est avec regret qu’il n’a pu assister au tournoi ramadan organisé tous les ans par les joueurs du club. Un tournoi mêlant dans les mêmes équipes hommes et femmes de 18 ans et plus dans une ambiance conviviale et festive. En temps habituel, le sport ramadan permet d’améliorer la cohésion au sein des clubs et au sein des quartiers de Mayotte, dans un cadre informel, puisque non dépendant des ligues sportives. Là encore en 2020, personne n’a pu avoir l’occasion de se défouler et de voir les meilleurs s’affronter sur les plateaux, les terrains de foot ou les plages pour les finales du jour de l’Aïd-el-Fitr.
 

La désinfection fait un carton, la coiffure et les soins de beauté en berne

Le mois de ramadan est également une période importante pour les commerçants. Le chiffre d’affaires réalisé à cette période est primordial, notamment pour les vendeurs de vêtements ou encore les commerces alimentaires. Avec le confinement décrété dès le mois de janvier en Chine, beaucoup de commerçants n’ont pu se rendre dans l’Empire du Milieu pour acheter leurs produits.

Et pour ceux qui ont pu se ravitailler ailleurs, le confinement et la fermeture des commerces a contrecarré leurs projets initiaux. Ousseni Saïd Soilihi est entrepreneur. Il a ouvert un institut de beauté à Dzoumogné au nord de Mayotte il y a 6 mois et comptait le faire monter en puissance en ce début d’année 2020. Autant dire que l’épidémie de coronavirus n’a pas arrangé ses affaires.

L’institut est couplé à un salon de coiffure. J’ai été obligé de fermer depuis le début du confinement. J’ai 4 salariés, j’ai été obligé d’en licencier un

déplore-t-il.
Et s’il envisage une réouverture prochaine, c’est parce qu’il a eu un peu de chance. « J’ai également une entreprise de nettoyage. Au début, je l’ai fermé également, mais dès que nous nous sommes réorientés vers la désinfection, tout est reparti. On n’a même eu un surcroît d’activité. On a réalisé un chiffre d’affaires doublé par rapport à l’année dernière à la même période. C’est ce qui m’a permis de faire tenir l’institut et le salon de coiffure » assure le chef d’entreprise.

Des aides aux entreprises insuffisantes

Pour la reprise, il a investi dans du matériel permettant d’accueillir ses clients : blouses jetables, gants, masques. Et les habitués sont de retour. « On n’a plus le temps de souffler. Les clientes n’ont pas eu de rendez-vous pendant deux mois. D’habitude, on prend sans rende-vous, mais exceptionnellement, on a instauré des rendez-vous, car il y a du monde et on a supprimé 2 postes sur 5 pour respecter les distanciations sociales » explique Ousseni Saïd Soilihi.
Celui-ci a sollicité les aides de l’État et les a obtenues.

Une aide de 1500 euros et le chômage partiel, ce n’est pas suffisant, mais ça aide

 affirme Ousseni Saïd Soilihi.
En revanche, pour les aides du département, il a laissé tomber. Trop de documents difficiles à obtenir en ce moment notamment auprès des experts-comptables, et du greffe du tribunal de commerce.

Pour Asna Amedi, restauratrice à Kavani dans la commune de Mamoudzou, le ramadan cette année a également été difficile professionnellement. Le restaurant a dû fermer et ses deux salariés ont préféré partir vers d’autres horizons. « J’ai essayé de faire des repas à emporter, mais les commandes étaient irrégulières. C’était décourageant, donc j’ai fermé. Mais je me suis accrochée, les deux dernières semaines du ramadan, j’ai eu des commandes de desserts » nous livre-t-elle. En temps normal, pendant le mois du ramadan, elle reçoit une clientèle fidèle qui ne jeûne pas. Alors, ce peu d’activité cette année lui permet de reprendre espoir, mais cela ne suffit pas.

Les factures s’accumulent. Les aides, c’est bien, mais ce n’est pas grand-chose quand on doit payer l’électricité, les assurances, l’eau, les charges. Tout ça n’est pas annulé, mais reporté.

Pour l’instant, la restauratrice ne sait pas quand elle pourra rouvrir, ni dans quelles conditions. Mais elle n’a pas l’intention de jeter l’éponge facilement, son restaurant étant le projet de toute une vie.

90 % d’activité en moins dans le BTP et la restauration

L’INSEE a mesuré l’impact immédiat de l’épidémie de coronavirus sur les entreprises mahoraises :
  • 18 % d’activité économique, entre le début du confinement (17 mars) et la fin du mois d’avril. Une baisse d’activité qui touche de nombreux secteurs, dont le BTP (-90 %), l’hébergement et la restauration (- 90 %) ou encore le transport et l’entreposage (- 59 %).
  • Et plus de 12 000 salariés ont été mis en chômage partiel.

Durant ce mois de ramadan confiné, Asna Amedi en a profité pour faire une introspection sur elle. La première semaine, elle s’est reposée et a fait du rangement chez elle. Elle a évité autant que possible de se rendre dans les magasins alimentaires, très fréquentés et sources pour elle de contamination. « D’habitude pendant le mois de ramadan, je prends le temps pour faire à manger et faire plaisir à ma famille. Mais là, j’ai moins bien mangé, je ne prenais que le strict nécessaire quand je faisais mes courses. Je n’ai par exemple pas mangé de légumes frais. Avec les coopératives, j’ai eu du mal à les avoir, il faut commander en quantité, les marchés de rue avaient disparu. »

Le confinement a permis à Asna Amedi de se rapprocher de sa famille et notamment de son frère, entrepreneur comme elle. « On se donnait des conseils, on s’est motivé. Je me suis aussi rapprochée de ma sœur et de ma mère aussi. »
Elle a également pu conserver le lien avec les membres de son club de sport grâce aux applications de visioconférence. Les séances ont pu se tenir, chaque membre a pu donner de ses nouvelles et de nouvelles affinités se sont créées.

Un confinement qui favorise l’activité spirituelle

Mais le ramadan, c’est avant tout la spiritualité. Et en étant confinée, la restauratrice a également eu plus de temps pour accomplir des prières et se remettre en question. « Je me suis beaucoup interrogée sur l’après-épidémie. Que vais-je faire ? »
Abdel Latuf Ibrahim pour sa part a pris l’épidémie de Covid-19 comme une bénédiction. Et ce mois de ramadan lui a permis de vraiment se consacrer à la pratique religieuse. « C’est le mois de ramadan où je me suis senti le proche de notre Seigneur. Il n’y a pas eu de distraction, d’occupation extérieure, j’ai passé plus de temps la maison et j’en ai profité pour plus lire le Qur’an (Coran). Pour les prières du tarawih, je me suis forcé à les faire à la maison, avec ma femme et les enfants. Et à l’origine, le prophète Muhammad accomplissait le tarawih individuellement » affirme-t-il.

Les points clés du mois de Ramadan: 

En revanche Daoulab Ali Charif, a eu plus de mal à suivre cette prière nocturne. Tout seul à la maison, la motivation est plus difficile à trouver. En tout cas beaucoup plus que quand il sortait pour se rendre à la mosquée de Passamaïnty ou de M’tsapéré.

Cette année, tout a changé pour Abdel Latuf Ibrahim. D’habitude, cet avocat part tôt de Sada pour travailler à Mamoudzou. Et il rentre tard. « Je ne passe qu’une heure à peine avec mes enfants avant de dormir. Et le week-end, je dors pour rattraper le sommeil perdu dans la semaine. Là, j’ai eu plus de temps avec eux, je me suis rapproché de ma famille et la vie familiale a pris plus d’importance. » Il a assisté aux cours en ligne de ces enfants, que ce soit pour l’école ou la madrasa (école coranique). La seule chose qu’il regrette, c’est justement qu’il ne puisse pas sortir en famille.

Apprendre à vivre avec le coronavirus

Au niveau professionnel aussi, beaucoup de choses ont été chamboulées pour Abdel Latuf Ibrahim. Son cabinet a dû fermer ses portes et il a dû se résoudre à télétravailler. Cela lui a coûté sa clientèle non connectée et qui paie en espèces. Heureusement pour lui, il traite beaucoup de dossiers relatifs au droit du travail. Et en ce moment avec les mesures de chômage partiel et l’incertitude pesant sur de nombreuses entreprises mahoraises, l’avocat est très sollicité. Et ces clients-là peuvent payer en ligne. En revanche, beaucoup de dossiers ont été retardés, les audiences au tribunal étant reportées à cause d’une diminution des effectifs en cette période.

Depuis quelques jours, les commerces ont donc été autorisés à rouvrir, avec obligation de prendre des mesures comme le port obligatoire du masque, ou encore de respecter les mesures de distanciation sociale.

Les plages seront bientôt accessibles si les maires le veulent. Quelques communes ont décidé de rouvrir les écoles.

L’épidémie de coronavirus est toujours en phase ascendante. La vie d’avant ne reprendra pas immédiatement à Mayotte. Il faudra donc vivre avec le coronavirus. « C’est un mal pour un bien cette épidémie. En restauration, nous avons l’habitude, mais là les gens vont peut-être être plus consciencieux, ils feront plus attention à leur hygiène de vie. Et peut-être que le civisme fera son retour. En tout cas, j’ai hâte de retrouver les clients » espère Asna Amedi.