Avenir de la Nouvelle-Calédonie : ce que dit l’avis rendu par le Conseil d’Etat pour assurer la continuité des institutions

Façade du Congrès, le 11 janvier 2024
La Nouvelle-Calédonie a terminé l'année 2023 avec la promesse de deux importants projets de loi déposés par l'Etat en 2024. L'un, pour réviser la Constitution française de façon à rendre plus ouvert le corps électoral provincial. L'autre, pour reporter les élections provinciales. Cette double démarche a été annoncée après un avis consultatif du Conseil d'Etat. NC la 1ère s'attarde sur ses arguments et ses observations, qui semblaient mener à différentes solutions.

L’État a dévoilé ses intentions, concernant les prochaines provinciales. Pour rappel, le gouvernement Borne va déposer un projet de loi constitutionnelle, en vue de dégeler le corps électoral de ce scrutin. L'idée est de l'ouvrir aux électeurs présents en Calédonie depuis au moins dix ans. Le Parlement doit se prononcer au cours du premier semestre 2024. Si la réforme est adoptée par le Congrès de Versailles, elle n'entrera pas en vigueur avant le 1er juillet, pour laisser la priorité à un éventuel accord politique local sur le sujet.

Autre décision annoncée par l'Etat français juste après Noël : afin de reporter les élections provinciales, au plus tard le 15 décembre, il va présenter un projet de loi organique (pour faire simple, c'est au-dessus d'une loi ordinaire et en dessous d'un loi constitutionnelle).
La synthèse de Dave Waheo-Hnasson au journal télévisé du 27 décembre


Pour s'engager dans cette voie, Paris s’est appuyé sur un avis, consultatif, demandé au Conseil d’Etat (à lire ici). L'un des rôles de cette autorité administrative est en effet de conseiller le gouvernement. Rendu le 7 décembre 2023, le document de neuf pages n’a été publié qu’une vingtaine de jours après. Et sa lecture montre que plusieurs options semblent possibles. NC la 1ère détaille cet avis en dix points.

 

1 Il répond à quatre séries de questions

Le 16 novembre 2023, le Conseil d’État a été saisi par la Première ministre, Elisabeth Borne, pour une demande d’avis “relative à la continuité des institutions en Nouvelle-Calédonie”. Plusieurs questions étaient posées.

  • "Quel est le droit applicable à l’issue du processus d’autodétermination prévu par l’Accord de Nouméa ? Cet aboutissement peut-il être regardé comme un changement de circonstances de nature à modifier la portée de certaines dispositions normatives ? Dans quelle mesure ?"
  • "Le gouvernement estime nécessaire de moderniser les règles électorales pour répondre aux exigences démocratiques élémentaires, notamment au regard des obligations conventionnelles de la France. Dans cet esprit, les évolutions démographiques et notamment celle du poids relatif de la population des trois provinces appellent-elles des évolutions de la composition du corps électoral ou du cadre électoral en vigueur ?"
  • "Le législateur organique est-il compétent pour modifier les dispositions électorales en Nouvelle-Calédonie ?"
  • "Dans quelles conditions est-il possible de reporter la date des prochaines élections provinciales, prévues en mai 2024, le temps de mettre en œuvre la réforme des règles électorales ou un accord politique plus large ?"

Le Conseil d'Etat y a répondu en se référant à plusieurs sources juridiques : Constitution française, Accord de Nouméa, loi organique du 19 mars 1999 sur la Nouvelle-Calédonie, Conseil constitutionnel, code de justice administrative, Cour européenne des Droits de l'Homme.

2 Il estime que "le processus initié par l’Accord de Nouméa est achevé"

C'est une des observations faites par le Conseil d'Etat dans cet avis : "La troisième consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté ayant eu lieu, le processus initié par l’Accord de Nouméa est aujourd’hui achevé et sa mise en œuvre peut être regardée comme complète." Elle a du poids, quand on sait le débat et les positions politiques tout à fait opposées autour de la question suivante : "l'Accord de Nouméa est-il achevé/caduc ?"

3 Mais le cadre juridique reste valable tant que la Constitution n'est pas révisée

Le Conseil d'Etat complète ce constat par un autre, tout aussi éloquent : il considère "que le cadre juridique applicable à la Nouvelle-Calédonie en vertu de la loi organique du 19 mars 1999 demeure applicable après la troisième consultation (…) aussi longtemps qu’une révision de la Constitution ne sera pas intervenue".

4 Il constate la proportion grandissante des électeurs "privés de droit de vote"

Dans ce cadre juridique, il y a notamment la restriction du corps électoral. D'après le Conseil d'Etat, "il résulte des informations données par le gouvernement que la proportion des électeurs privés de droit de vote pour l’élection des assemblées de province et du Congrès est passée de 7,46 % en 1999 à 19,28 % en 2023" - ça fait presque un cinquième des électeurs. 

Plus loin, il "constate que les règles en vigueur concernant le régime électoral des assemblées de province et du Congrès dérogent de manière particulièrement significative aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage, notamment en excluant du droit de vote des personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou qui y résident depuis plusieurs décennies. À défaut de modification des règles applicables, l’ampleur de ces dérogations ne pourrait en outre que s’accroître avec l’écoulement du temps." 

Autre remarque : "Si les circonstances propres à la situation particulière de la Nouvelle-Calédonie sont toujours de nature à justifier l’existence d’un corps électoral spécifique, la compatibilité des règles en vigueur avec les engagements internationaux de la France est incertaine alors que le processus défini par l’Accord de Nouméa est achevé." 

5 Il cite les écarts de représentation "accrus" entre les provinces

Toujours en évoquant les "informations données par le gouvernement", le Conseil d'Etat relève "que les écarts de représentation entre les provinces au Congrès par rapport au critère démographique se sont également accrus. La province Nord, la province Sud et la province des Iles Loyauté représentaient ainsi respectivement 

  • 21,04 %, 68,35 % et 10,61 % de la population de la Nouvelle-Calédonie en 1996 
  • et 18,39 %, 74,85 % et 6,76 % en 2019, 
  • alors qu’elles sont représentées au Congrès respectivement par 27,78 %, 59,26 % et 12,96 % des sièges depuis 1999." 

6  Sans modification, prévient-il, le corps électoral "finirait par s’éteindre"

Bref, lira-t-on ensuite : "sous l’effet de l’écoulement du temps depuis 1998, les écarts de représentation par rapport au critère démographique se sont significativement accrus, tant du point de vue des restrictions du droit de suffrage des électeurs (…), que du point de vue de la représentation des trois provinces au sein du Congrès." Le Conseil d'Etat prévient : si ces conditions ne sont pas modifiées, le corps électoral "connaîtrait à terme une attrition [diminution naturelle] telle qu’il finirait par s’éteindre de façon certaine, privant ces institutions de tout corps électoral" ! Il estime donc que ni les partenaires historiques ni le  pouvoir constituant n'ont voulu un gel du corps électoral illimité. 

7 Il prône la révision de la Constitution

Ailleurs dans l'avis, ça se précise, même si la tournure s'avère compliquée. "Le Conseil d’Etat estime que l’organisation politique issue de la mise en œuvre de l’Accord de Nouméa ne peut, sous réserve des dispositions organiques intervenant dans le cadre des orientations définies par l’Accord, et à l’exception des cas dans lesquels les dispositions mêmes de la Constitution le permettent, être modifiée sans une révision de la Constitution, nécessaire pour s’écarter de ces orientations, et notamment pour modifier les dérogations aux règles et principes de valeur constitutionnelle que l’Accord comporte." 

Et d'ajouter : "Pourraient ainsi être corrigées, par exemple, les dispositions (…) qui prévoient de ne pas inclure dans le corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces les personnes qui se sont installées en Nouvelle-Calédonie après le scrutin organisé en 1998, ni celles qui, bien que résidant alors en Nouvelle-Calédonie, n’ont pas accompli les démarches permettant de s’inscrire sur les listes électorales, non plus que les descendants de ces personnes, même nés en Nouvelle-Calédonie."

8 Sans révision constitutionnelle, il faudrait une loi organique

Au douzième niveau de son argumentaire, le Conseil d'Etat livre toutefois une position nuancée, concernant la représentativité des élus : "seule une révision de la Constitution permettrait en principe de modifier le régime électoral des assemblées de province et du Congrès, afin d’établir un cadre pleinement adapté aux évolutions démographiques (…) et à leurs perspectives. Toutefois, eu égard à ces évolutions, plusieurs considérations peuvent conduire à estimer que les dispositions de l’article 77 de la Constitution (…) ne font pas obstacle à ce que le législateur organique puisse, le moment venu et si une révision constitutionnelle n’est pas venue régler plus tôt la difficulté, intervenir pour atténuer l’ampleur des dérogations aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage". 

Ou pour le dire autrement : "à défaut de révision constitutionnelle, une correction, à mesure que le temps réduira le corps électoral, s’avérera inéluctablement nécessaire pour préserver ce fonctionnement démocratique." Conclusion : "Le Conseil d’Etat considère (…) que l’intervention du législateur organique sera, en l’absence de modification de la Constitution, nécessaire à terme, pour modifier les dispositions du régime électoral des assemblées de province et du Congrès qui dérogent aux principes constitutionnels d’universalité et d’égalité du suffrage afin d’en corriger le caractère excessif résultant de l’écoulement du temps."

9 Il ne voit pas d'urgence à modifier la composition du Congrès

En ce qui concerne la composition du Congrès, l'avis s'appuie sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Par exemple, "elle n’exige pas que la répartition des sièges soit nécessairement proportionnelle à la population de chaque circonscription, et n’exclut pas qu’il puisse être tenu compte d’autres impératifs d’intérêt général, ces considérations ne pouvant toutefois intervenir que dans une mesure limitée." Certes, vu l'évolution démographique, la composition de l'hémicycle boulevard Vauban "pourrait à terme s’écarter [des exigences constitutionnelles] dans une mesure telle qu’elle rendrait nécessaire une intervention du législateur organique." Toutefois, modère le Conseil d'Etat, "la situation n’apparaît pas aujourd’hui de nature à justifier [cette] intervention pour modifier la composition du Congrès et la répartition des sièges entre les provinces." La Première ministre n'a pas prévu d'y toucher, pour l'instant. Ce que les Loyalistes et le Rassemblement regrettent.

10 Il ne voit pas d'obstacle à un report des provinciales

Enfin, que pense le Conseil d'Etat d'un report des élections provinciales ? Eh bien, il "estime que le dépôt d’un projet de loi constitutionnelle ou, si les conditions en sont réunies, d’un projet de loi organique comportant une modification du régime électoral des assemblées de province et du Congrès ou, à défaut, la caractérisation d’un processus suffisamment engagé de négociation en ce sens par la signature d’un nouvel accord se substituant à l’Accord de Nouméa, constituerait un but d’intérêt général suffisant permettant au législateur organique de prolonger les mandats en cours des membres des assemblées de province et du Congrès, et de reporter leur élection. Il en déduit qu’un tel report pour une durée de l’ordre de douze à dix-huit mois ne se heurterait à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel."