Covid-19 : étoile jaune, "code de Nuremberg"... Comment des symboles du nazisme ont fini par apparaître au sein des mouvements anti-vaccins

Injection de vaccin anti-Covid à l'unité du Médipôle.

L'utilisation d'une étoile jaune, jeudi, pour promouvoir une marche à Nouméa contre un éventuel pass sanitaire a suscité de vives réactions. Une référence inédite en Nouvelle-Calédonie, mais qui fait partie des arguments utilisés par les sphères complotistes en France et dans le monde.

Une initiative qui fait polémique. Dans un tract commun pour annoncer leur manifestation, samedi 24 avril à Nouméa, contre "l’obligation vaccinale" pendant l'épidémie de Covid-19, les associations Corail Vivant ou EPLP (Ensemble Pour la Planète) ont mis en avant l’étoile jaune portée par les juifs durant la Seconde guerre mondiale. Objectif : comparer la situation des personnes réticentes à se faire vacciner aux juifs persécutés par le régime nazi.

De quoi faire bondir la Ligue des droits de l’homme et du citoyen de Nouvelle-Calédonie, qui a fustigé cette initiative jeudi dans un communiqué, et le Haut commissariat qui a dénoncé dans un tweet une utilisation de ce symbole qui "relève d’un amalgame aussi indigne qu’inacceptable".

Mais si cette utilisation d’un symbole du nazisme pour dénoncer la campagne de vaccination est une première en Nouvelle-Calédonie, elle existe depuis plusieurs mois en France et dans le monde.

Des incidents similaires à Prague, Troyes ou Avignon

“Non vaccinés”. Lors d’une manifestation à Prague en Tchéquie, le 8 janvier 2021, plusieurs personnes affichent ces deux mots sur une étoile jaune qu’ils portent ostensiblement. Une initiative dénoncée dans la foulée par la fédération tchèque des communautés juives, rapporte la RTBF

Quelques semaines plus tard, c’est en France qu’une initiative similaire est repérée. Tout d’abord à Avignon, où une cinquantaine de manifestants défilent, le samedi 27 février, contre les restrictions sanitaires. Parmi eux, certains arborent une étoile jaune, barrée de la mention "non vacciné". Là encore, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer ce parallèle, rapporte l’Obs. Puis le 17 avril à Troyes, des images où figurent une étoile jaune sur laquelle est notée "sans vaccin" sont scotchées sur quelques arrêts de bus durant une manifestation contre les restrictions sanitaires, souligne L'Est éclair.

En réalité, il s’agit de la face visible de l’iceberg tant les parallèles entre les crimes nazis et les restrictions gouvernementales ou la campagne de vaccination sont présents sur les réseaux sociaux depuis plusieurs mois.

Camps de concentration et "code de Nuremberg"

Cela peut prendre la forme d'un montage superposant des photos de file d'attente devant un centre de vaccination et celle, en noir et blanc, de populations entassées devant des wagons, avec un commentaire sans équivoque : "Ils pensaient que ce n'était qu'une douche. Ils pensaient que ce n'était qu'une piqûre". Ou encore cette rumeur largement relayée sur les réseaux, et pourtant factuellement démentie, assurant que l'Allemagne ouvre des camps pour enfermer les personnes qui ne respectent pas leur quarantaine.

Mais aussi par des références au code de Nuremberg. Des internautes anti-vaccins ou vaccino-sceptiques l’utilisent pour justifier leur opposition aux vaccins contre le Covid-19. Mais le parallèle qu'ils établissent avec les pratiques de médecins nazis est abusif et trompeur comme le rappellent LCI, Libération ou Arte.

Une stratégie déployée à bas bruit

Selon les experts interrogés par l'AFP, cette stratégie mémorielle s'est déployée à bas bruit au début de l'épidémie dans les cercles négationnistes. Ils ont tenté de réactiver l'imagerie, remontant au Moyen-âge, du juif propagateur de la peste. Sur fond de défiance envers les autorités, elle s'est ensuite amplifiée avec la campagne de vaccination - et les craintes qu'elle suscite - autour d'une idée forte : développés dans des délais réduits, ces vaccins seraient comparables aux expériences menées par les médecins nazis sur les déportés.

"Dans ces publications, il y a une banalisation extrême de la politique du IIIe Reich qui permet aux anti-vaccins de s'identifier aux juifs persécutés et de présenter les démocraties libérales comme des régimes génocidaires", explique l'historienne Valérie Igounet, spécialiste du négationnisme. Se poser aujourd'hui en victime d'un tel ennemi permet, selon Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l'Université de Paris, "de se draper d'un courage et d'une posture de résistance à la manière d'un Jean Moulin du Covid".

Des inquiétudes au sein de la communauté juive

Une recrudescence de références au régime nazisme qui inquiète du côté de la communauté juive. "La pensée et le discours antisémites trouvent de nouveau une voix, sont de nouveau présentables, de l'école aux manifestations" anti-masques, a ainsi lancé, le 27 janvier, Charlotte Knobloch, dans un discours au Bundestag.

La présidente de la communauté juive de Munich et de Haute-Bavière faisait notamment référence aux étoiles jaunes identiques à celles imposées aux Juifs sous le régime nazi et portées par certains manifestants protestant contre les mesures coercitives liées à l'épidémie. Munich avait dû faire interdire le port de ces signes marqués d'un "non-vacciné" par des protestataires.

Un sentiment partagé par Jonathan Braun​, président de l’Union mondiale des étudiants juifs (WUJS) et Emile Ackermann, rabbin orthodoxe en formation dans une tribune intitulée "Non à l’instrumentalisation de la Shoah". "A force de crier au nazisme, nous risquerions de ne pas le reconnaître lorsqu’il se présenterait à nous, nos capacités d’analyse se confondant avec les fortes émotions que provoquent les émois de la vie politique", écrivent-ils dans ce texte publié dans Libération le 3 mars.

Il n’est dès lors pas étonnant qu’en 2021, des personnes peu touchées personnellement par les atrocités du nazisme reprennent à leur compte des comparaisons douteuses avec des éléments empruntés à cette période.

Jonathan Braun et Emilie Ackermann

En Nouvelle-Calédonie, l’apparition pour la première fois de ces références dans le débat sur la vaccination inquiète la communauté juive. "Pour nous, c’est un sujet qui, même 70 ans après [la Shoah], reste très brûlant, on est tous touchés, a confié vendredi 23 avril, très émue à NC La 1ère Alexandra Beraha, représentante de l’association cultuelle israélite de Nouvelle-Calédonie. C'est manquer de respect et c'est ce qui nous indigne."