Crise calédonienne : les entreprises obligées de changer leurs habitudes d’achat et d’importation

Le Port autonome de Nouméa, image d'illustration.
Depuis le 13 mai, les voyants de l’économie calédonienne sont dans le rouge. Les entreprises encore debout doivent modifier leurs comportements d'achat pour mieux affronter leurs nombreuses difficultés : diminution des commandes, manque de trésorerie ou encore nouvelles contraintes imposées par les fournisseurs. La liste est longue, dans un climat où les consommateurs calédoniens sont plus frileux à dépenser.

Sur le port de Nouméa, les conteneurs ne s’accumulent pas et pour certains, ils ne sont pas pleins. Depuis le début de la crise insurrectionnelle, le fret maritime fonctionne tant bien que mal, mais le volume des importations a baissé. C’est ce que confie un transitaire majeur de la place : depuis le mois de juillet, ce dernier a perdu 50 % de son volume habituel en sortie de port du Havre vers la Nouvelle-Calédonie. La compagnie maritime MSC confirme elle aussi que toutes les sociétés qui travaillent au port ont vu leur activité baisser d'au moins 50 %. Qu’est-ce qui a changé ?

Des commandes à la baisse

Avec plus de 800 entreprises touchées par les émeutes, il est évident que la quantité de marchandises importées n'est plus la même. Pour les sociétés encore en activité, la situation s'avère également compliquée. Dans le secteur de la santé par exemple, la demande de soins a baissé, d’après le gérant d’une société de dispositifs médicaux. Il confie avoir donc réduit son volume de commandes de 30 %. "Le secteur de la santé est déficitaire, alors on est obligés de diminuer les stocks", explique celui qui a préféré garder l’anonymat.

Parmi les articles qu’il commande moins depuis plusieurs semaines : du matériel de dialyse ou encore des consommables. Difficile pour lui de constituer des stocks, car cela signifie "une trésorerie qui dort sur les étagères" et ces derniers temps, comme beaucoup, il ne peut pas se le permettre. De plus, avec une demande qui baisse "et des clients dans le public qui ne payent pas", avoir de la trésorerie relève presque de la mission impossible.

On peut s’attendre à 25 à 30 % de volume d’activité en moins sur toute la partie importation maritime, pour l'année 2024.

Maxime Tinel, directeur général de la compagnie maritime MSC

Des fournisseurs plus sévères

Depuis le 13 mai, une nouvelle difficulté s'est ajoutée : le paiement des fournisseurs. Didier Lamielle, directeur d’une enseigne de jouets et d’articles de puériculture à Nouméa, commande sa marchandise dans l’Hexagone. Certains fournisseurs lui demandent désormais de payer au moment de la prise de commande, et non plus à "30 jours fin de mois", après réception des produits. "Atradius par exemple, une assurance fournisseur en Métropole, a tout coupé pour les clients de Nouvelle-Calédonie. Quand c’est trop risqué, l’assurance ne veut pas assurer le fournisseur, donc le fournisseur nous dit : 'Si tu veux la marchandise, il faut nous payer d’avance'."

Un phénomène que constate également le gérant de l’entreprise de dispositifs médicaux. Triste constat, qui signifie que la confiance des fournisseurs extérieurs a été grandement mise à mal avec les émeutes.

Les délais de livraison qui s'allongent

Si ce paramètre n'est pas lié à la crise actuelle, il reste un inconvénient de plus pour les entreprises locales. Il est en effet de coutume que les délais de livraison pour la Nouvelle-Calédonie soient longs. Mais depuis le mois de janvier, la marchandise venue d'Europe met plus de temps que d'habitude, une semaine de plus selon Maxime Tinel, le directeur général de la compagnie maritime MSC.

"Plus aucun navire ne passe par le canal de Suez et ça rallonge le temps de transit. Aujourd’hui, la totalité des flux qui vont vers l'Asie ou l’Océanie doivent contourner l'Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, ce qui est le cas pour nos navires." Un changement de route rendu obligatoire par les nombreuses attaques que subissent les bateaux, en lien avec les conflits en cours au Moyen-Orient.

Un trafic plus important, des moyens supplémentaires et un coût du fret qui augmente : difficile pour le Caillou de "tirer son épingle du jeu", conclut Maxime Tinel.

Des commandes sur mesure

En ces temps de crise économique et sociale, le secteur alimentaire doit lui aussi s’adapter à la demande des clients. Les milliers de Calédoniens aux revenus diminués ne recherchent plus les mêmes produits, alors les grossistes s’adaptent. "Riz, pâtes, farine, mais aussi des produits comme les nouilles asiatiques, des produits qui coûtent moins cher en fait. Ils les vendaient déjà, ces produits-là, mais ils constatent qu’il y a de plus en plus de volumes de vente, et donc ils en commandent plus pour répondre aux besoins des clients" explique Sylvie Jouault, déléguée principale du syndicat des importateurs.

Il est vrai que dans certaines grandes surfaces de Nouméa, ces produits sont mis en avant dès l’entrée du magasin, avec des marques que l'on ne voit pas souvent, voire pas du tout, dans les rayons en temps normal. Des produits qui font partie des moins chers sur le marché, et intéressent une clientèle aux petits budgets. Car aujourd’hui, beaucoup ont changé leurs habitudes de consommation, par précaution ou par obligation, les personnes au chômage étant beaucoup plus nombreuses. "Il y a également un phénomène de surstockage de peur de manquer, de revivre ce qu’il s’est passé le 13 mai, de nouvelles émeutes et autres", ajoute Sylvie Jouault.

Et en 2025 ?

Avec plus de 25 000 Calédoniens sans emploi, l’incertitude pour les chefs d’entreprise réside désormais dans les futurs comportements d’achat. "Face aux départs annoncés de consommateurs, certains revoient à la baisse leurs commandes parce qu’ils sont en attente de savoir combien vont partir, sont déjà partis, comment vont être les nouvelles habitudes de consommation après toute cette crise économique et sociale", explique Sylvie Jouault.

De son côté, si Didier Lamielle n’a pas prévu de diminuer ses commandes car "il croit en la Nouvelle-Calédonie", il va en revanche changer ses habitudes pour 2025. 

Si on surstocke, le problème c’est qu’avec les assurances, si on se fait piller ou brûler, ce n’est pas remboursable. Jusqu’au 31 décembre, j’ai l’assurance pour émeutes mais à partir du 1er janvier, s’il m’arrive quelque chose, les assurances ne rembourseront pas.

Didier Lamielle, directeur d'un magasin de jouets à Nouméa


Au lieu de commander beaucoup de marchandises en deux ou trois fois dans l’année, Didier Lamielle commandera plus souvent. "Plutôt que de commander cinq millions de marchandises d’un coup, je vais peut-être commander un peu tous les mois, ou tous les deux mois."

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