Entrepreneurs pessimistes, vie chère, filière nickel… 13 constats qui confirment l'impact destructeur des émeutes sur l'économie calédonienne

A Dumbéa, le centre commercial Kenu-In et les enseignes alentours ont été ravagées lors des émeutes de mai 2024.
L’économie calédonienne a été très durement affectée par les émeutes qui ont éclaté à la mi-mai. Un fait certain, désormais étayé par les données de l’IEOM. L’Institut d’émission d’Outre-mer a en effet publié les tendances de la conjoncture pour le deuxième trimestre, qui couvre la période d'avril à juin. Le climat des affaires accuse une chute historique, tandis que de nombreux indicateurs affichent une forte dégradation.

Pas de surprise, les voyants s'allument tous en rouge. Le deuxième trimestre 2024 commençait de façon classique, malgré des contraintes importantes. Mais à mi-parcours, les troubles insurrectionnels ont plongé la Calédonie dans le chaos. Les données statistiques qui évaluent la santé économique traduisent et précisent cet impact. On le voit à travers les "tendances conjoncturelles" que l'IEOM a publiées cette semaine. Il y est déjà question d'un "effondrement".

1Un climat des affaires au plus bas

Le climat des affaires n'a jamais autant plongé.

Depuis sa création en 1999, l’indicateur du climat des affaires n'a jamais été aussi bas. Et pour cause : l'ICA évalue l’opinion des entrepreneurs sur la conjoncture. Il a perdu plus de dix-huit points, atteignant un plancher historique de 64,1 sur 100. L'indicateur était déjà bien faible au premier trimestre, en lien avec la crise dans le secteur du nickel. Désormais, il dégringole. 

2Dans le contexte des destructions

Incendies, saccages, pillages… "Le coût des destructions du tissu économique liées aux émeutes est considérable, rappelle l'Institut d'émission d'Outre-mer. Plusieurs centaines d’entreprises ont subi des dégradations, sans compter les infrastructures publiques. Au-delà du bilan humain et matériel, ces destructions entraînent une hausse substantielle du nombre de chômeurs, alors que la situation financière des comptes sociaux était déjà critique."

3Le ressenti de 167 entreprises

Précisons que pour son enquête de conjoncture, chaque trimestre, l'IEOM interroge un échantillon jugé représentatif du microcosme économique. Au deuxième trimestre, des questions ont été ajoutées pour que les dirigeants évaluent l'impact des émeutes : si leurs sociétés ont été affectées, de quelle façon, le délai estimé avant un retour à une activité normale, le chiffre d'affaires… 167 entreprises sur 197 ont répondu. 

4Activité dégradée pour 85 % d'entre elles

Au deuxième trimestre, l'activité s'est dégradée pour 85 % des sociétés qui ont donné suite. "Durant les émeutes, 42 % ont subi des dégradations voire ont été détruites, 74 % font état d’une baisse de la demande qui leur est adressée et 80 % rapportent des difficultés de transport pour leurs salariés."

5Pas de visibilité

Au moment de se projeter dans le troisième trimestre, 88 % anticipaient une baisse d'activité. Et "dans ce contexte de crise exacerbée", écrit l'institut, le monde de l'entreprise considère globalement qu'il n'y aura pas d'investissement dans les douze prochains mois. Cela "souligne l’absence totale de visibilité". Sauf pour prédire des lendemains encore pires.

659 % redoutent une défaillance

Plus d'une entreprise qui a répondu sur deux, soit 59 %, craint en effet d'être défaillante au cours de l'année à venir. "Un niveau jamais observé jusque-là." 90 % ont indiqué que les évènements survenus dégraderaient leur trésorerie. 81 % sentaient venir une détérioration de leur carnet de commandes. 78 % déclaraient que leurs effectifs diminueraient cette année...

7 Exceptions dans la sécurité et l'hôtellerie

En ces temps délétères, on relève des exceptions. Quelques entrepreneurs "anticipent une amélioration de leur situation pour l’année 2024 (1 à 2 % des répondants en fonction des questions). Il s’agit essentiellement de dirigeants d’entreprises du secteur de la sécurité et d’hôtels hébergeant des forces de l’ordre venues de l’Hexagone."

Quelques indicateurs passés en revue au deuxième trimestre 2024.

8La consommation s'est contractée

L'IEOM relève aussi la "très nette dégradation de la consommation des ménages". Pendant la première semaine d'émeutes, durant laquelle une partie de la population est restée cloîtrée ou bloquée, les paiements et les retraits par carte bancaire ont été divisés par 2,4 comparé à la même période l'année d'avant. Au-delà de ces quelques jours, à l'échelle du trimestre, les transactions par CB ont baissé d'environ 17 %. 

9Deux fois moins de crédit à l'habitat

Les ménages ont été beaucoup moins nombreux à vouloir ou à pouvoir contracter un crédit pour acheter un logement : au deuxième trimestre, les prêts à l'habitat ont diminué de 49 %. L'octroi de prêts personnels et de prêts à la consommation a accusé une chute de 45,7 %. Le nombre d'immatriculations de véhicules particuliers neufs a également fléchi d'environ 45 %.

10 Pire que les confinements

"Malgré un rebond lié à la réouverture progressive des commerces", observe l'IEOM, la consommation des ménages est apparue largement inférieure à celle observée au deuxième trimestre 2023. Cette baisse serait plus importante que celles constatées lors des confinements liés à la pandémie de Covid. Cela dit, "les indicateurs de vulnérabilité des ménages n’indiquent pas encore de dégradation significative". Reste à voir ce que dira le troisième trimestre… À ce stade, la quantité d’interdits bancaires a augmenté de 1,8 % et le nombre de personnes qui se sont vues retirer leur carte a grimpé de 15,6 %.

11Les prix ont bondi

Autre confirmation peu réjouissante, l'impact sur la cherté de la vie. Au deuxième trimestre 2024, l’indice des prix à la consommation est apparu en nette hausse : + 2 % comparé au trimestre précédent. C'était même + 3,5 % pour les denrées alimentaires, + 3,6 % sur l'énergie et + 2,1 % sur les produits manufacturés. "Alors que les tensions inflationnistes s’étaient progressivement apaisées en 2023, les émeutes ont provoqué une hausse sensible des prix, notamment alimentaires en juin 2024. En effet, les difficultés d’approvisionnement ont affecté à la fois l’offre et la demande de biens et services". D'un côté, des pénuries. De l’autre, des achats par peur de manquer.

Zoom sur certains secteurs.

12"Une crise sans précédent" dans la filière nickel

L’ensemble des activités minières a été "fortement touché par la crise que traverse le territoire depuis le 13 mai", insiste l'IEOM. "Le secteur métallurgique était déjà confronté à une crise sans précédent".

  • À l'usine du Nord, KNS, environ 1 200 salariés, a mis en œuvre son plan de licenciement.
  • "L’activité de la SLN est très fortement ralentie. Les sites miniers de Thio et de Kouaoua sont totalement à l’arrêt depuis le début des émeutes, conduisant une partie des 2 200 salariés au chômage partiel", énumère l'institut. "Ces difficultés majeures sur les sites d’extraction menacent directement l’approvisionnement de la SLN, dont la survie de l’appareil productif en dépend à très court terme."
  • Enfin, dans le Grand Sud, coupé du monde par voie terrestre, "Prony Resources est également à l’arrêt depuis les émeutes. Une grande majorité des 1 350 employés a été placée au chômage partiel."

13Le BTP "à l'arrêt" et autres secteurs malmenés

Ce point de situation mentionne aussi un secteur du BTP "à l'arrêt". Il relève que "le pessimisme des professionnels du tourisme s'accentue", entre des croisières qui ont cessé après une bonne reprise, un aéroport international fermé plusieurs semaines, des compagnies étrangères qui ne veulent pas reprendre la destination et un trafic aérien interne "en forte dégradation" (- 52 % entre le premier et le deuxième trimestres). Et puis dans le secteur primaire (agriculture, élevage, pêche), les professionnels craignent "une nette dégradation de l’activité au cours des prochains mois".